Sans grande surprise, le terrorisme d'Etat exercé par Israël au Liban et Ghaza est perçu avec bienveillance. Le président George W. Bush a soutenu qu'Israël a le droit de se défendre contre « les attaques terroristes ». Les objectifs ciblés de l'aviation et de la marine israéliennes touchent, pourtant les infrastructures de base du Liban, pays déjà meurtri par des années de guerre civile. « Les dommages collatéraux » se chiffrent, en quelques jours, à plusieurs centaines de morts et de blessés et plus de 500 000 personnes déplacées. Washington n'a même pas pris la peine d'appeler les dirigeants de Tel Aviv à freiner les ardeurs des va-t-en-guerre. Plus grave encore, le sommet du G8 de Saint-Petersbourg n'est pas parvenu à appeler à un cessez-le feu « avant d'examiner les causes du conflit ». Isaraël intensifie entre temps les raids et les bombardements sur ces territoires. Les dirigeants du club des riches se sont en revanche préoccupés, à juste titre d'ailleurs, de l'évacuation de leurs ressortissants, comme si les Libanais, les Palestiniens... les Arabes ne sont pas des êtres humains. Pourquoi une telle impunité, quand c'est Israël qui agresse, alors que les lois internationales sont claires quant à ses agissements ? La paix comme un choix stratégique Pour expliquer les guerres au Moyen-Orient, on a coutume d'affirmer tout bonnement qu'Israël constitue « un instrument privilégié de l'impérialisme américain ». Cet outil est utilisé quand on en a besoin, et marginalisé quand ce n'est pas le cas. Selon cette logique, Israël constitue de fait un allié stratégique pour les intérêts vitaux américains dans cette région et dans le monde. Cette thèse est simpliste pour ne pas dire erronée au regard de la réalité des relations internationales. Elle puise en effet ses fondements dans un marxisme réducteur, de type stalinien, dont ses séquelles n'ont pas encore disparu de la pensée arabe. Partant de cette hypothèse, la diplomatie arabe, sous la houlette des Egyptiens et des Saoudiens, a tenté de faire des pressions sur les Américains, semble-t-il, afin d'aider les Palestiniens à recouvrer leurs droits historiques et leur dignité humaine. Cette diplomatie n'a pas été concluante après plus d'un demi-siècle de palabres, compromissions et trahisons. « Si j'étais un leader arabe », David Ben Gourion avait indiqué à Nahum Goïdman, le président du congrès juif mondial, « je ne signerai jamais un accord avec Israël, c'est normal, nous avons pris leur pays... Nous venons d'Israël, mais il y a 2000 ans et qu'est-ce que c'est pour eux ? Il y a eu l'antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais quelle est leur faute ? » Tout compte fait, le rapport de forces existant au lendemain de la création de l'Etat Hébreu en 1947-1948 s'est estompé au fil des guerres israélo-arabes et du processus de paix international. L'intransigeance a atteint un tel degré de cynisme qu'Israël, en reluisant l'échange de paix contre les territoires, est parvenu à imposer ses quatre volontés à tout le monde. Même l'offre arabe proposée par Riyadh mais adoptée par le sommet de Beyrouth de 2003, qui allait bien plus loin qu'une simple paix en proposant à Israël une normalisation arabe en échange de son retrait des territoires occupés a été rejetée ardemment. « La paix comme choix stratégique » était évidemment vouée à l'échec dès le départ. Une telle politique était beaucoup destinée à manipuler la rue arabe tout en s'appropriant le capital de sympathie populaire qu'à lutter efficacement pour une cause juste. Paradoxalement, les régimes arabes sont aujourd'hui parvenus à empêcher leurs populations à manifester leur soutien au peuple libanais et palestinien ! La guerre totale que mène aujourd'hui Israël, sous le regard complice de ces régimes, marque définitivement la fin d'une époque. La double humiliation que vivent dans l'âme les Arabes ne peut-elle pas être transcendée en s'appropriant la question de la souveraineté nationale comme une affaire de citoyenneté. Washington, un outil de Tel Aviv Toutefois, une récente étude publiée sur Internet vient de remettre en cause cette problématique qui a animé le débat sur le conflit arabo-israélien. Cette étude titrée, The Israël Lobby and US Foreign Policy, aurait été dédaignée par l'establishment et jetée aux orties. Mais ce n'est pas le cas. Ce travail a suscité une grande polémique dès sa publication en mars 2006. Les auteurs de cette étude empirique sont accusés par les uns d'avoir cédé à un vieux réflexe antisémite, cependant que d'autres vantent leur « courage » d'avoir abordé de front un « tabou ». De virulentes critiques ont été faites, notamment sur la partie où les auteurs mettent en cause les think tanks, les autres cercles de réflexion et la presse pour leur partialité en faveur d'Israël. Cette polémique a été d'autant plus grande que ses auteurs ne sont que deux éminents spécialistes en matière de politique étrangère, Stephen Walt, professeur à l'université de Harvard et John Mearsheimer, professeur à l'université de Chicago. Rappelons que le premier ouvrage écrit sur cette question est celui du sénateur démocrate Paul Findley, They dare to speak out. Cet ouvrage publié en 1985 n'a pas suscité une telle polémique à l'époque. Pour Mearsheimer et Walt, le soutien indéfectible que Washington accorde à Tel Aviv trouve son explication dans l'influence qu'exerce le lobby juif sur les décideurs américains. Washington met souvent ses intérêts nationaux de côté, selon ces 2 chercheurs, pour poursuivre ceux de Tel Aviv. Un tel soutien pourrait être compréhensible, si Israël possédait des atouts stratégiques vitaux ou s'il y avait une raison morale irrésistible. Mais aucune de ces explications ne tient pas la route, arguent-ils. Le Lobby juif Les Américains juifs représentent moins de 3% de la population, soit 6 millions ils sont pourtant très influents dans les prises de décision de toute une nation. Ils ont créé un nombre impressionnant d'organisation pour influencer la politique étrangère en faveur de l'Etat hébreu et de sa politique expansionniste. Les activités de ce lobby, rappelons-le, ne sont nullement une conspiration, telle qu'elle est décrite dans Les Protocoles des Sages de Sion, un pamphlet raciste écrit par le tsar pour justifier les pogroms. La plus puissante et la mieux connue organisation dans le monde est I'AIPAC (Comité aux affaires publiques américanoisraéliennes). Cette organisation dirigée par des inconditionnels du Grand Israël, représente un véritable Etat dans I'Etat. L'AIPAC poursuit essentiellement deux grands objectifs. Premièrement, cette organisation tente de s'assurer que le discours public décrit Israël comme étant « la victime ». Pour cela, on met à jour les mythes fondateurs de I'Etat hébreu. Le but recherché est d'empêcher tout débat contradictoire dans les médias, les campus universitaires et les cercles de réflexions, alors que tous les autres sujets font d'objet d'âpres discussions aux Etats-Unis. Le contrôle de l'opinion publique américaine et internationale est essentiel pour garantir un soutien inconditionnel. Aujourd'hui, il n'est plus permis de critiquer le gouvernement israélien sans encourir les accusations les plus extravagantes et des mesures de rétorsion qui s'apparentent au terrorisme intellectuel, soutient Pascal Boniface directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Paris), dans son dernier ouvrage : Est-il permis de critiquer Israël ? Une discussion ouverte et sincère sur les relations américano-israéliennes pourrait conduire les Américains à mettre en pratique une politique plus équilibrée dans le monde arabe.Comme second objectif, le lobby juif utilise son influence à Washington en faisant pression sur le Congrès et le bureau exécutif pour faire passer les intérêts israéliens avant même ceux des Américains. Walt et Mearsheimer nous apprennent également que les leaders américains juifs consultent souvent les responsables israéliens pour s'assurer que leurs actions font bien avancer les objectifs israéliens. Le succès de I'AIPAC est dû en grande partie à sa capacité de récompenser ceux qui soutiennent son programme et de punir ceux qui le défient. Cette organisation fait, par exemple, de grosses donations de campagne aux candidats des deux partis. Le Washington Post avait estimé que les candidats démocrates à l'élection présidentielle dépendent des Américains juifs partisans. Ces derniers financent plus de 60% de la campagne électorale. L'APAIC travaille aussi à s'assurer que les critiques d'Israël n'obtiennent pas de postes importants dans la prise de décision en politique étrangère. Le président Jimmy Carter voulait, par exemple, nommer George BaIl comme premier secrétaire d'Etat. Le lobby s'était vertement opposé à cette nomination parce que BaIl était perçu comme un critique aux visées annexionnistes du gouvernement israélien. L'influence de l'AIPAC sur la Colline du Capitole va même encore plus loin. Selon Douglas Bloomfield, un ancien membre de la direction de l'AIPAC : « Il est commun pour les membres du congrès et leurs équipes de se tourner d'abord vers I'AIPAC quand ils ont besoin d'information, avant d'appeler la bibliothèque du congrès, le Service de recherches du congrès, le personnel du comité ou des experts en matière d'administration », rapportent Mearsheimer et Walt. Plus important Bloomfield note que l'AIPAC « est souvent invité à rédiger des discours, à travailler sur la législation, à conseiller sur des stratégies, à effectuer des recherches et à rassembler des cosponsors et des votes ». La puissance du lobby sioniste aux USA, comme en France ou ailleurs, réside dans le fait que ce groupe de pression dépasse le cadre de la communauté juive. Ce groupe comprend aussi des membres appartenant à d'autres communautés. Par exemple, des évangélistes chrétiens influents soutiennent ce groupe, comme Gary Bauer, Jerry Falwell, Ralph Reed et Pat Robertson tout comme Dick Armey et Iom Delay, d'anciens chefs de la majorité à la Chambre des représentants. Toutes ces personnalités croient que la renaissance d'Israël est l'accomplissement d'une prophétie biblique et soutiennent ses activités. L'influence des inconditionnels de la cause israélienne est bien plus prononcée dans l'Administration Bush que dans celle de Bill Clinton. Après le 11 septembre, le Mossad a fourni, selon les 2 chercheurs, à la CIA, de nombreux rapports alarmants sur le programme des armes de destruction massive de I'Irak. Ces informations se sont avérées, au lendemain de l'invasion, sans fondement. Même l'argument massue de « guerre pour le pétrole » n'est plus convainquant au regard de l'enlisement des forces américaines dans la guerre et de la stabilisation profonde de l'Irak qui s'en est suivie. La facture de cette guerre est bien salée pour le contribuable américain. Mais ce qui est encore plus grave dans cette affaire, c'est que le président américain a été contraint de mentir à ses concitoyens et à la communauté internationale. A présent, toutes les études sérieuses sur cette guerre ont conclu qu'elle n'a pas servi les intérêts vitaux américains dans la région. Aide matérielle et diplomatique Selon le décompte de Mearsheimer et Walt, Israël a été le plus grand bénéficiaire de l'aide économique directe et de l'assistance militaire. Israël reçoit environ 3 milliards de dollars par an en aide directe. Ce montant représente un cinquième du budget de l'aide étrangère. La plupart des bénéficiaires de l'aide attribuée à des fins militaires doivent la dépenser en totalité aux Etats-Unis, mais Israël est autorisé à utiliser environ 25% de son attribution pour subventionner son complexe militaro-industriel. Les Etats-Unis ont fourni à Israël presque 3 milliards de dollars pour développer des systèmes d'armements et lui ont donné l'accès à une technologie militaire hautement stratégique. C'est le seul bénéficiaire qui n'a pas à expliquer comment l'aide est dépensée. Ce laxisme rend pratiquement impossible d'empêcher l'argent d'être utilisé pour des besoins auxquels les Etats-Unis s'opposent, comme la construction de colonies en Cisjordanie. Washington fournit également à Israël un soutien diplomatique constant dans les instances internationales. Les Américains bloquent, par exemple, les efforts des Etats arabes pour mettre l'arsenal nucléaire sur l'agenda de l'AIEA, Washington s'est profondément impliqué dans le processus de paix. Dans chaque étape, les Américains ont uniformément soutenu la position israélienne. « Beaucoup trop souvent, nous agissions... en tant qu'avocat d'Israël », un négociateur américain des Accords de Camp David, avait-il confessé. L'activiste pour la paix, Uri Avnery, soutient que Sharon a imaginé la restructuration du Moyen-Orient depuis longtemps et que « les vents qui soufflent aujourd'hui à Washington me rappellent Sharon », les deux chercheurs rapportent. On avait pensé que la mort devenu du jour au lendemain, « un terroriste », au même titre que Ben Laden et l'élection d'un modéré, Mahmoud Abbas, entraîneraient Washington à faire pression de façon plus forte pour obtenir un accord de paix équitable et promouvoir la démocratie dans la région. Tant attendu, cet événement historique ne s'est pas produit et ne se produira pas de sitôt tant que le sionisme reste perçu comme un simple mouvement politique instrumentalisé par les Américains. Une guerre supplémentaire sur les bras du président Bush est certainement contre-productive pour l'insert national. Certes, le président Bush ne fut pas en mesure d'imposer un cessez-le-feu au Liban, tant souhaité par la communauté internationale. Mais cela ne veut nullement dire que Bush ne l'avait pas souhaité pour autant. Un tel cessez-le-feu aurait crédibilisé la Pax Americana au détriment de la Pax Hebraïca. Il ne fallait donc pas s'attendre à une telle action puisqu'il a les pieds et les mains liés dans la toile d'araignée, le lobby juif. Une des grandes particularités de la guerre totale qu'lsraël mène aujourd'hui au Liban réside dans le fait que la pensée arabe n'a pas été en mesure de la prévoir et, par conséquent, aucune préparation militaire n'a été faite. Plus grave encore, cette pensée sclérosée n'est pas, elle, en mesure de nous dire quel est le pays arabe qui est à l'abri d'une frappe chirurgicale israélienne ? N'est-il pas alors opportun pour les élites arabes de faire un effort intellectuel à la lumière des conclusions de l'étude des deux chercheurs américains et d'autres pour élaborer une réfection stratégique. Dans cette perspective, le sionisme ne devrait pas être perçu comme un mouvement politique mais comme un système totalitaire, au même titre que l'impérialisme, le communisme ou l'islamisme.