Que nenni ! Israël et ses démembrements parmi les associations, fondations et autres agences «non gouvernementales» ont fait, une fois de plus, la démonstration que les règles du jeu politique aux Etats-Unis n'ont pas changé : la promotion aux postes de pouvoir du personnel politique de la superpuissance reste soumise à l'accord préalable des gardiens du temple sioniste. Aucun homme politique ayant, même une seule fois dans sa carrière, fait montre de quelque liberté de ton envers Israël et sa politique, ne peut prétendre occuper un poste de décision ou d'influence, tant les tirs de barrage de la propagande pro israélienne sont insurmontables. C'est la mésaventure que vient de connaître Charles W. Freeman qui a été désigné par Barak Obama pour occuper le poste, ô combien stratégique, de président du National Intelligence Council, qui émet des avis à la Maison-Blanche sur les questions de sécurité, sur la base des recoupements des analyses réalisées par les 16 agences de sécurité existant aux Etats-Unis. Cet éminent spécialiste du Proche et du Moyen-Orient a eu le tort, quant il était ambassadeur en Arabie Saoudite de remettre en cause la politique systématique de soutien des Etats-Unis à Israël, quelles que soient l'affaire et la cause en débat. En bon patriote, il affirmait alors que les Etats-Unis devaient rééquilibrer leur position et donner au monde arabe l'impression que son point de vue est pris en considération, contrairement à ce qui se passait avant (et se passe encore aujourd'hui). L'AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), qui est la principale organisation lobbyiste pro-israélienne, celle qui aiguillonne la politique proche et moyen-orientale des Etats-Unis (au seul profit d'Israël, bien entendu) n'a pas voulu de cette nomination. Elle a donc sorti la grosse artillerie faite de coups bas, de désinformation et de mensonges et a fini par rendre la position du prétendant au poste impossible à tenir. D'autant que l'AIPAC n'a pas été seule à sonner l'hallali contre Charles Freeman : tous les autres lobbies pro-israéliens (et ils sont nombreux) y ont mis du leur dans une campagne orchestrée de main de maître par l'ancien directeur de l'AIPAC, Steven Rosen, présentement poursuivi en justice pour une très grosse affaire d'espionnage au profit d'Israël. Freman a eu beau se défendre contre les accusations d'antisémitisme et d'anti-Israël, lancées contre lui de manière détournée et insidieuse, la confirmation, par le Congrès, de sa nomination en tant que président du NIC était devenue aléatoire. Ce qui l'a poussé à renoncer au poste, malgré le soutien ferme du conseiller personnel de Barak Obama en matière de sécurité, Denis Blair. Le retrait de Freeman est «une défaite catastrophique pour l'administration Obama», a affirmé le grand journaliste indépendant américain Max Blumenthal. «C'est, a-t-il ajouté dans un article publié il y a quelques jours (le 11 mars), son premier échec dans le combat qu'il mène pour une nouvelle politique au Moyen-Orient.» Cette péripétie remet au premier plan les agissements d'Israël et de ses amis qui tentent (et pour le moment réussissent assez bien) de placer plein de garde-fous aux politiques proche-orientales des puissances occidentales : au seul profit d'Israël, bien entendu. Rien ne doit changer dans le soutien indéfectible que le monde occidental «doit» à Israël.L'AIPAC n'a pas d'équivalent dans les autres Etats occidentaux. Mais même si le système des lobbies institutionnalisés n'existe pas ailleurs, les intérêts israéliens ne sont pas pour autant abandonnés : toutes sortes de groupes de pression ont été créés, souvent de toutes pièces, pour défendre les positions d'Israël quelles qu'elles soient. La majorité des médias sous toutes leurs formes (audiovisuels, en premier lieu), les hommes politiques, en phase avec les positions de leurs partis ou individuellement, nombre d'organisations parmi les plus importantes de la société civile, certaines organisations de défense des droits de l'homme, des philosophes, etc., caressent dans le sens du poil et prennent à partie toute voix discordante. Mais malgré ce retour en force des défenseurs des positions extrémistes des gouvernants d'Israël, un temps silencieux face aux images d'horreur et de terreur en provenance de Ghaza, le travail de démystification, encore modeste et pas très efficace, est en marche et ne s'arrêtera qu'une fois que les choses auront repris leur place naturelle, c'est-à-dire la création d'un Etat palestinien viable sur des terres débarrassées des colonies juives (anciennes et nouvelles) et avec Jérusalem comme capitale, au moins dans sa partie orientale. D'une part, beaucoup d'Israéliens ont dénoncé les dérives de la bande des trois : Olmert, Barak et Livni sur l'affaire de Ghaza qu'ils ont vécue comme une arnaque politicienne, à l'image de celle qu'a menée George W. Bush contre l'Irak en 2003. Bande à laquelle ils associent le chef du Likoud, Netanyahu, et tous les va-t-en-guerre de l'extrême droite laïque et religieuse. Parmi les opposants à la guerre d'extermination menée contre Ghaza, il y a tous les partisans du mouvement «La paix maintenant» (Shalom Archav) qui est né d'une lettre signée par 348 militaires réservistes (officiers et soldats faisant partie d'unités combattantes) qui militent depuis 1978 pour la paix entre Arabes et Israéliens et depuis la conférence de Madrid en 1991 et les accords d'Oslo de 1993 pour la création d'un Etat palestinien viable aux côtés d'Israël.Il y a aussi les partisans du vieux et courageux journaliste Uri Avnery et de son mouvement «Bloc de la Paix» (Gush Shalom) qui milite depuis 1993 pour la paix entre Palestiniens et Israéliens avec pour principe de base la création d'un Etat palestinien viable à côté d'Israël. La lecture des pamphlets de Uri Avnery contre la destruction (matérielle et humaine) de Ghaza, ses analyses pertinentes sur les tenants et aboutissants de l'agression, le tout repris par un journal israélien (de gauche, il est vrai) et par la presse indépendante mondiale a été un baume pour tous ceux qui cherchaient la Vérité (avec un V majuscule). Il est vrai aussi que la majorité des Israéliens a poussé ses chefs va-t-en-guerre vers des positions toujours plus extrémistes. Les élections générales qui ont suivi l'agression, qui représentaient d'ailleurs l'objectif principal, sinon unique, de l'agression ont donné raison aux politiciens qui exigeaient la destruction pure et simple de Ghaza. Les faucons ont été récompensés ; le peuple leur a donné la majorité au Parlement, donc au gouvernement. Mais rien n'est plus versatile qu'un électeur israélien, qui bascule d'un camp à un autre selon les ressentis du moment. Demain est un autre jour. Et le gouvernement Netanyahu, qui est un assemblage hétéroclite de partis de droite et d'extrême droite, aura du mal à mettre sur pied une politique cohérente qui ne soit pas uniquement porter sur l'accélération du développement des colonies, la purification ethnique et le rejet de toute solution au problème palestinien qui ne soit pas synonyme de pérennisation de l'occupation totale et définitive de toute la Palestine.Depuis l'assassinat de Rabin et, paradoxalement, la disparition du faucon Sharon, Israël ne dispose plus d'hommes (ou de femmes) politiques capables de grands projets et surtout capables d'imposer une véritable politique de paix basée sur le postulat «les territoires contre la paix». Ce n'est pas le va-t-en-guerre Netanyahu et tous ses alliés occasionnels d'extrême droite qui sera capable, ni d'ailleurs n'aura l'idée, de mettre en place une politique autre que celle en cours actuellement ou encore plus extrémiste. Ses adversaires de gauche (Barak, le chef du parti travailliste, ministre de la Défense pendant l'agression contre Ghaza et grand perdant des dernières élections) ou Tzipi Livni (chef du parti Kadima qui était aux affaires avant les élections) n'ont ni l'aura des grands chefs charismatiques capables de grands desseins politiques ni la capacité intellectuelle d'élaborer et d'imposer l'application d'une autre politique que celle qu'ils pratiquent depuis l'assassinat de Rabin. Tout ce que le personnel politique en place sera capable d'imaginer comme projet politique, c'est plus d'arrogance, plus de discrimination et plus d'oppression. Ce n'est pas la voie royale qui mène à la paix. C'est tout l'inverse. Surtout qu'en face, même affaibli par vingt et un jours de guerre sans merci et de destruction d'une partie importante de son potentiel militaire, le Hamas, toujours aussi intransigeant et aussi extrémiste, reste dans la même ligne politique de refus de toute solution qui ne soit pas la sienne propre. Et quand deux extrémismes s'affrontent, il n'y a pas moyen de se parler, ni surtout de faire, la paix. Le temps ne joue pas pour Israël tel qu'il se présente aujourd'hui. Malgré le fait qu'il ait remis en branle sa puissante machine de propagande, l'affaire de Ghaza a laissé des traces indélébiles, aussi bien à l'intérieur de l'Etat sioniste qu'à l'extérieur dans le monde occidental (le seul qui compte). Les destructions aveugles, les massacres de populations civiles, l'utilisation d'armes de destruction interdites, l'arrogance d'un Etat trop sûr de lui, les images insupportables que certaines chaînes de télévisions occidentales ont diffusées, malgré l'embargo presque total sur les images autrement plus choquantes des télévisions arabes «El Djazira» et «El Arabia», la disproportion énorme entre les moyens des belligérants, etc.. tout cela a créé une brèche béante dans l'opinion publique occidentale et surtout a semé un doute insupportable quant à la justesse du combat d'Israël.Pour une fois, Israël ne s'est pas trouvé que des alliés et des supporters inconditionnels. Il a eu sa part de critiques acerbes venant de beaucoup de ses amis et alliés indiscutables. Certains ont même osé des critiques frontales, même s'ils ont rapidement corrigé le tir et n'ont pas voulu dépasser la limite qui mène à la condamnation. Même si tout cela est en train de rentrer dans l'ordre et si Israël reprend peu à peu sa position dominante dans les médias, rien ne sera plus comme avant. La prochaine guerre, et elle aura nécessairement lieu avec le personnel politique israélien aux commandes (et bien sûr, en face, les mouvements extrémistes islamistes de Palestine et du Liban), sera encore plus meurtrière et plus destructrice, donc encore plus difficilement acceptable pour l'opinion publique internationale et les gouvernements qui la représentent. Israël pourra-t-il en sortir indemne ? Certainement pas. Même en mettant en branle toute la puissance médiatique et financière qu'ils détiennent dans le monde occidental, avec à sa tête les Etats-Unis, les groupes de pression pro-israéliens ne pourront pas défendre l'indéfendable. Ni la désinformation ni les attaques sournoises contre la vie privée des opposants, à la politique israélienne, ni la corruption, ni même les assassinats ne réussiront à couvrir l'arrogance et la défaite morale d'un Etat qui ne peut vivre que de terreur et de destruction. Y aura-t-il quelqu'un d'assez intelligent, charismatique et volontaire (dans Israël ou à l'extérieur au sein de la diaspora) pour changer tout cela et imposer la seule solution qui soit : un Etat palestinien viable, avec Jérusalem comme capitale, aux côtés d'Israël ? Probablement pas. C'est donc aux Etats-Unis, précisément à Barak Obama sur la période probable de deux mandats, que devra revenir cette tâche de faire la paix aux Proche-Orient. Toutes les tentatives des lobbys sionistes pour bloquer la nomination aux postes importants dans l'administration américaine d'hommes politiques qui ne sont pas des inconditionnels d'Israël, apparaissent comme des combats d'arrière-garde. En effet, pour peu qu'Obama soit vraiment l'homme politique (providentiel ?) capable de faire faire au monde un saut qualitatif réellement significatif, il sera en mesure de contrer ces tentatives pour arrêter le temps, des officines ayant prêté allégeance à la politique israélienne du fait accompli et du déni du droit du peuple palestinien à un Etat viable. Et ce saut qualitatif ne saurait en être un, sans une paix réellement juste en Palestine. Et la seule manière de faire la paix au Proche Orient c'est de l'imposer de l'extérieur. Il est impossible de compter sur le personnel politique israélien actuel pour faire évoluer les choses. Le constat de blocage total de la situation politique est aussi vrai dans le camp d'en face : les Palestiniens disposent des mêmes tares que les Israéliens. Ils ont perdu le seul homme qui avait assez de charisme et de poigne -Yasser Arafat- pour unifier leurs rangs et imposer des solutions, même imparfaites. Son successeur -Abbas- est trop discrédité pour pouvoir imposer quoi que ce soit. Il a même réussi le tour de force de désunir les rangs palestiniens et de diviser le territoire palestinien en deux entités ennemies. Le seul Palestinien qui a assez de charisme et de volonté pour faire évoluer les choses – Marouane Barghouti – est en prison en Israël et les Israéliens refusent de le libérer pour ne pas avoir en face d'eux un véritable homme d'Etat. Les dirigeants du Hamas, quant à eux, n'ont aucune vision nationale. Le mouvement est d'essence avant tout idéologique et islamiste. Il reste un mouvement qui obéit à d'autres considérations que nationales : il est à la solde de deux Etats qui le soutiennent et l'utilisent dans le conflit du Proche-Orient pour leurs intérêts propres : la Syrie qui accueille et protège les responsables du Hamas en exil et l'Iran qui finance et arme le Hamas de la Bande de Ghaza. L'agression contre la Bande de Ghaza a créé une situation nouvelle qui pourrait être utilisée pour imposer une paix juste et globale dans le Moyen et le Proche-Orient. Obama a montré sa disponibilité à discuter avec l'Iran, l'un des acteurs incontournables du conflit (il l'a montré au Liban avec la guerre qu'a menée le Hezbollah contre Israël et dernièrement à Ghaza en soutenant, finançant et armant le Hamas palestinien). Le gouvernement Obama a aussi montré sa disponibilité de remettre la Syrie dans le processus de discussion sur l'avenir des Proche et Moyen-Orient. En y ajoutant l'Egypte et l'Arabie Saoudite qui sont des partenaires traditionnels des Etats-Unis, on retrouve là tous les pays qui comptent et qui sont capables d'imposer une solution globale à leurs alliés. Mais il faudrait avant tout qu'Obama et son administration soient disposés à imposer (contraindre s'il le faut) une solution réellement juste au protégé éternel du monde occidental : Israël. Ceci expliquant cela, c'est la peur que l'administration américaine devienne de moins en moins israélophile qui fait tant bouger les lobbies sionistes aux Etats-Unis. D'où l'éviction de Charles Freeman, homme de conviction et parfait patriote américain, du poste de président du National Intelligence Council. – L'auteur est : Politologue