Ahurissant ! Huit ans après «l'insurrection kabyle», Bouteflika invoque, dans son aveu tardif, livré sur un ton déroutant, «l'ignorance». Le Président peut-il invoquer «l'ignorance» pour se soustraire à toute responsabilité dans la gestion chaotique des événements qui ont plongé 8 ans durant toute la région de Kabylie dans le chaos ? Il n'en est cependant pas toujours été ainsi. Mai 2001. 13 jours après le début des émeutes en Kabylie, le président Bouteflika annonce la création d'une commission d'enquête nationale pour «faire toute la lumière sur les événements» qui secouaient encore la région. Laquelle commission est confiée aux bons soins du professeur Mohand Issaâd. Dans son discours à la nation, le président Bouteflika, élu deux ans auparavant, distillera, avant même que la commission ne soit officiellement installée, la thèse de la «manipulation». Un «complot» qui, insinuait Bouteflika, prendrait entre autres pour cible son «plan de relance économique». «Les événements qui viennent de se dérouler en Kabylie, disait-il, comportent des risques graves de remise en cause des progrès réalisés et des perspectives ouvertes par le programme de redressement. Ces événements et les violences qui les ont accompagnés ne sont pas fortuits.» Il avait évoqué dans son speech des «voix» qui encourageaient «les débordements» et qui attisaient «la haine». «Nous les connaissons, s'exclamait-il, et l'avenir les dénoncera clairement auprès de l'opinion.» Une décennie après, aucune «voix» n'a été publiquement dénoncée ni par le président, encore moins par «l'avenir». Juillet 2001. Mohand Issaâd remet le premier rapport de sa commission au président de la République. Un rapport dans lequel l'avocat «suggère» plus qu'il ne désigne les vrais responsables de la répression en Kabylie.Le rapport épingle la «hiérarchie militaire» (hiérarchie de la 1re et 5e Régions militaires desquelles dépendent les groupements de gendarmerie – chargés des missions de rétablissement de l'ordre – et qui avaient tiré sur les manifestants, ndlr) et… disculpe le DRS, les walis et le commandement national de la gendarmerie. Le rapport conclut également à l'illégalité de l'intervention de l'autorité militaire et met en évidence la confusion de l'arsenal juridique mis en place après l'interruption des élections législatives, en 1992. La commission exclut aussi «toute implication d'une main étrangère et toute idée de complot interne». «Nous n'avons pas décelé de complot. Je suis persuadé que les événements ont été récupérés après.» «Quand on prépare un complot, on ne confie pas l'exécution à un semi-analphabète comme Mestari (le gendarme assassin de Guermah Massinissa, ndlr). On ne commence pas par ramasser des collégiens sur le chemin du stade pour les tabasser. Les complots se trament, se conçoivent de façon plus sophistiquée», précisait le Pr Issaâd à un journal étranger. Pour Le Monde, il affirmait que son rapport «rendait service aussi bien à l'autorité militaire qu'à l'autorité civile». Le «rapport Issaâd» a-t-il été d'une quelconque utilité pour le président de la République ? Apparemment non. Aucune suite n'a été donnée à ses conclusions. Bien que maigres, celles-ci ont néanmoins mis en évidence le déficit d'Etat de droit et l'impunité profitant aux hommes du pouvoir et à ses cercles parasitaires. Les affaires dites des «gendarmes assassins» illustrent à ce jour cet état de fait.