Autant de questions et bien d'autres auxquelles un panel de chercheurs algériens et étrangers a tenté d'y répondre de la manière la plus perspicace et la plus pertinente, lors d'un atelier organisé hier par le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD), à Alger. Regroupant les différents intervenants – chercheurs et institutions, comme la Gendarmerie nationale, la DGSN et le ministère chargé de la Communauté algérienne à l'étranger –, l'atelier a été l'occasion de mûrir la réflexion sur la question migratoire en l'abordant sous ses multiples facettes. De simple pourvoyeur de migrants à un pays récepteur, l'Algérie connaît des transformations socioéconomiques qui engendrent de nouvelles formes migratoires, à l'instar de la harga via la mer, à bord d'embarcations de fortune. Un phénomène qui ne se limite pas aux couches déshéritées de la société. Certains spécialistes estiment qu'il est difficile de cerner les causes de ce phénomène sans le placer dans son contexte sociopolitique. Pour Karim Khaled, sociologue travaillant sur la fuite des cerveaux, l'immigration sous toutes ses formes est «un mouvement sociopolitique», qu'on ne peut étudier sans se référer à la nature du système politique et à toutes les frustrations qu'il puisse engendrer au sein de la société. L'immigration est donc liée à la fois aux libertés, aux droits de l'homme et à la situation socioéconomique du pays. Elle est aux yeux du professeur Hassan Boubakri, de l'université de Sousse (Tunisie), la conséquence de la mauvaise gouvernance et de tout ce qu'elle induit comme inégalités sociales, injustices, corruption… L'acte d'immigrer ne peut être donc considéré comme un acte irréfléchi. Au contraire. L'immigré mesure bien le poids de son choix. Il marque une rupture avec tout un environnement dans lequel il ne pouvait plus évoluer. Cette rupture peut prendre la forme d'une immigration clandestine. Mohamed Saïb Musette, sociologue et maître de recherche au CREAD, en parle dans son étude approfondie sur la migration, le travail et le développement. Absence de données fiables Si l'immigration a toujours existé dans le monde, M. Musette souligne que la harga comme une des formes de la migration irrégulière, en particulier des jeunes de la rive sud de la Méditerranée, est apparue dans les années 1990. «Les statistiques de la police espagnole attestent de l'interception de 66 pateras avec 4 barques en 1991, puis 130 en 1995 et plus de 1000 en 2002», précise-t-il. Cette forme de migration n'est donc à ses yeux guère nouvelle en Algérie : «Elle était épisodique et concernait quelques rares cas de jeunes qui s'engouffraient dans des bateaux cargos, parfois dans des containers aménagés pour traverser la Méditerranée et sans toujours connaître la destination des navires.» Au début des années 2000, a souligné M. Musette, ils étaient des dizaines d'Algériens qui transitaient de manière régulière par la Tunisie ou le Maroc pour regagner par des voies irrégulières la rive nord de la Méditerranée. Des centaines de morts ont été annoncées depuis par les forces de sécurité, avec plus d'un millier d'arrestations pour ces migrants en devenir. D'autres ont réussi à arriver à bon port et ont été arrêtés par la suite et expulsés vers l'Algérie. Mais les chiffres restent loin de la réalité. Selon M. Musette, il n'y a pas de données statistiques fiables sur ce phénomène, qui est devenu un sujet d'actualité politique en Algérie de 2008. Les données dont disposent actuellement les chercheurs sont éparpillées. Elles sont fournies soit par la Gendarmerie nationale, soit par les garde-côtes, soit par la police. Les participants à cet atelier ont ainsi relevé l'absence d'une structure centrale de traitement des données concernant les flux migratoires de sorte à pouvoir mieux comprendre le phénomène. Sans arriver à en cerner les causes qui demeurent multiples et complexes, les autorités algériennes tentent de juguler ce phénomène en le réprimant. Un texte de loi fut adopté en 2008, incriminant l'acte de sortir sans autorisation préalable du territoire national. Ce texte de loi modifiant le code pénal, auquel M. Musette a fait référence dans son étude, a été vivement contesté par la société civile, qui estime que les condamnations des harraga sont non fondées, donc illégales. «La criminalisation de l'acte, sur le plan du droit, n'est pas prouvée», affirme M. Musette, tout en estimant «pas objective» la comparaison entre harraga et migrant subsaharien en situation irrégulière. Car, précise-t-il, les premiers tentent de quitter le pays, tandis que les seconds sont en situation irrégulière dans un autre pays. Le ministre de la Solidarité, de l'Emploi et de la Communauté algérienne à l'étranger, Djamel Ould Abbès, indique avoir été contre la pénalisation des migrants clandestins. Marquant un passage inopiné aux travaux de cet atelier, le ministre précise que les moyens de répression doivent plutôt être utilisés contre les réseaux de trafic ayant pignon sur rue. Mais il reste certain que l'acte d'immigrer clandestinement est «un comportement irréfléchi». Défendant la politique gouvernementale pour juguler ce phénomène, M. Ould Abbès revient sur le projet de création d'un observatoire de lutte contre l'immigration clandestine et d'un conseil consultatif pour la communauté algérienne à l'étranger. Ainsi, le ministre promet l'établissement d'un fichier détaillé sur la communauté algérienne à l'étranger.