Bien sûr, et par delà certaines expressions peut-être voulues du terroir et qui sont peut-être malheureuses parce que peut-être offensives, comme par exemple la référence à cette «loi» au vocabulaire barbare du «tag âla men tag» qui prévaudrait dans l'institution universitaire ou encore celle à la présence de cette institution «dans chaque patelin», beaucoup de ce qu'avance l'article que vous avez publié n'est pas totalement faux. Bien sûr, les onze faits de violence, dont fait état la chronologie proposée en marge de l'article et qui, même si, soit dit en passant, ils s'étalent sur trois ans sont tous tragiques, tous de trop, même si les effectifs que votre article note pourraient, pour certains, expliquer et non excuser certains des dépassements que nous sommes unanimes à regretter et à condamner. Ce qui me pousse à réagir à votre article sont pourtant moins les aspects qui précèdent que les deux caricatures de ce qui est présenté comme l'étudiant algérien «Avant» et «Après» qui illustrent le haut de la première page de votre journal ; angélique pour la première qu'accompagnent notes de musique et signe du «peace and love» cher aux hippies des années 70, diabolique pour la seconde et qu'accompagne bombe à la mèche qui grésille déjà et gibet, et qui pourrait donner l'impression qu'en fait de population estudiantine, nous serions à présent face à des mutants. Si tel était l'objectif du caricaturiste, une telle vision mériterait peut-être d'être quelque peu tempérée. C'est le but des lignes qui suivent. Ces lignes se basent sur une étude sans prétention sur les représentations que les étudiants se font de l'université, de son rôle et de leur propre passage dans cette institution ; en d'autres termes, sur ce qu'ils espèrent tant d'eux-mêmes que de l'université. Cette étude, qui a concerné une promotion d'étudiants de licence LMD du département des langues vivantes étrangères de la faculté des lettres et langues, université Mentouri à Constantine, montre que les attentes et les espérances de ces étudiants sont pratiquement les mêmes que celles des générations passées, l'aspiration à un meilleur, même si l'institution universitaire peine parfois, pour des raisons souvent objectives, à y répondre totalement. – 1 Des motivations, des représentations et de leur importance. Rappel de quelques notions : La psychologie a montré que rien n'est jamais fait ni appris sans motif. Reprenant ce postulat de base à tout apprentissage et le reliant à deux caractéristiques majeures qui fondent l'acte d'apprendre chez l'être humain, l'affect et l'intellect. O. Reboul propose qu'en matière d'affect, «la motivation comme réalité affective, c'est le besoin d'apprendre et le fait d'être heureux quand on peut apprendre». De même, propose-t-il :«La motivation comme réalité intellectuelle, c'est comprendre l'enjeu de ce qu'on fait, et [. .. ] accepter [. .. ] efforts, [ .. .] épreuves, [et] risques parce qu'on les perçoit comme autant de moyens d'atteindre le but qu'on s'est donné» (1). En d'autres termes, besoin d'apprendre mais aussi compréhension et acceptation des enjeux que sous-entend cet apprentissage sont, dans l'acte d'apprendre, des éléments essentiels. Cette motivation ne fonctionne pas dans un vacuum. De nombreuses recherches dans l'étude des institutions et de leur fonctionnement ont montré que dans une institution, l'attitude et les motivations de celui qui apprend dépendent en grande partie de l'image qu'il a de l'institution dans laquelle il est et de ce qu'il attend de cette institution, c'est-à-dire des représentations qu'il s'en fait. Parce que ces représentations sont, comme le propose entre autres G. Gusdorf, des «vérités mythiques en cela qu'elles saisissent immédiatement la pensée, [. . .] en appelant non à l'esprit critique, mais aux profondeurs de la vie personnelle, aux soubassements obscurs de la sensibilité» (2), c'est tant une vision que l'apprenant a de lui-même en tant qu'acteur prospectif dans l'institution qu'il se représente que l'expression de sa vision de ce qu'il souhaite voir l'institution lui apporter que l'expression de ses représentations de l'institution présente. D'où l'importance de ces dernières et de leur étude. – 2 Des représentations que les étudiants se font de l'institution universitaire ou à quoi sert l'université ? * Dans le cadre d'une initiation à la méthodologie du travail universitaire, un questionnaire intitulé «Qu'est-ce que j'attends de l'université?' (3) a été distribué à une promotion de 247 étudiants de première année de licence d'anglais au tout début de leur parcours universitaire avec pour tâche qu'ils se projettent dans le futur, c'est-à-dire au terme de leurs études de licence et qu'ils classent les dix-sept propositions du questionnaire par ordre d'importance décroissant en termes de ce qu'ils voudraient pouvoir dire que leur séjour à l'université leur a apporté. Ainsi, et parce qu'ils étaient au tout début de leur parcours universitaire et ne connaissaient encore que peu de choses de la réalité de l'institution où ils venaient d'accéder, leur classement des propositions du questionnaire exprimera ce à quoi ils pensaient que l'université devait idéalement servir ; leurs représentations de l'université. Après dépouillement, les huit propositions ayant bénéficié des classements les plus hauts pourront ainsi être considérées comme exprimant les attentes les plus fortes des étudiants, ce qu'ils espèrent de l'université ou les «pour» du tableau ci-dessous ; les huit propositions les plus bas classées, les attentes les moins fortes, les moins importantes ou les «contre» du tableau ci-dessous — ; la position intermédiaire ou quand la proposition est classée en neuvième position, exprimant une certaine indécision quant à l'attente (voir tableau n°1 ci-dessous). Représentations de l'université Au vu des réponses des étudiants, trois aspects, que l'on pourrait décrire dans leur ordre d'importance comme «utilitaire», «cognitif» et «relationnel», priment dans ce qu'ils espèrent pouvoir dire d'eux-mêmes suite à leur séjour à l'université. Utilitaire d'abord dans ce souhait qu'en majorité ils expriment de décrocher un bon diplôme allié aux savoir-faire qui les aideront à trouver un bon travail. Cognitif ensuite dans cette vision d'eux-mêmes à trois ans de distance pensant, raisonnant et s'exprimant mieux, mais aussi ayant développé de nouveaux centres d'intérêt ainsi que leur créativité. Relationnel enfin dans une vision valorisée d'eux -mêmes occupant des postes de responsabilité, alliée à cet espoir d'apprendre à être avec les autres et à travailler avec eux. Ces choix prioritaires dans le classement des propositions du questionnaire montrent peut-être et à eux seuls, en termes des attentes exprimées quant à l'institution universitaire et des espoirs révélés quant à eux-mêmes après leur passage dans cette institution, plus de similarités que de différences entre les étudiants d'aujourd'hui et ceux qui les ont précédés, ceux, pour reprendre les qualificatifs de l'article de votre journal, d'«Avant» et d'«Après», que ne le suggère votre caricaturiste. Comme c'était le cas naguère, les étudiants accèdent encore à l'université avec l'espoir d'en sortir munis d'un bon diplôme qui leur ouvrira la route vers un bon emploi. Ils se souhaitent, au terme de leur séjour dans une université sur laquelle ils fondent ces espoirs, meilleurs tant sur le plan intellectuel que relationnel et projettent pour le futur, de manière générale, une vision plutôt positive et valorisante d'eux-mêmes. Point de bombe dont la mèche grésille déjà ni de gibet donc, mais une image plutôt anodine sinon sympathique, une sorte de «déjà-vu», de jeunes personnes aux ambitions somme toute légitimes. – 3 En guise de conclusion : Après trois ans passés à l'université, c'est-à-dire au terme de leur parcours de licence, premier pallier du LMD, le même questionnaire a de nouveau été soumis à la même population (4) qui l'avait renseigné trois années auparavant. Les réponses qu'elle y propose n'expriment plus, comme c'était le cas pour le premier passage du questionnaire, des représentations, c'est-à-dire ce que ces étudiants fraîchement émoulus de leurs lycées attendaient de l'université, comment ils se rêvaient dans cette institution et ce qu'ils en espéraient, mais un vécu. Aspect intéressant de ce nouveau passage du questionnaire, le classement de ses propositions qu'avancent les étudiants a changé, permettant non seulement en lui-même, mais surtout en comparaison avec les réponses apportées lors de son premier passage de multiples interprétations. Etaient-ce les représentations des étudiants, leurs attentes — donc un peu leur vision d'eux-mêmes —, qui étaient fausses ou infondées ou est-ce l'institution universitaire qui n'a pas tenue ses promesses ? Peut-être, du moins si l'on revient aux définitions de base proposées dans la première section de cet article, un peu les deux (voir tableau n°2 ci-dessous). Vécu de l'université Les propositions classées en première et deuxième positions dans les représentations se retrouvent, dans le vécu des étudiants, reléguées respectivement en douzième et seizième ou avant-dernière position. L'université n'aura pas, c'est du moins ce qu'affirme le plus grand nombre de la population de cette étude, permis de décrocher un bon diplôme ou d'acquérir les savoir-faire qui permettront de trouver un bon emploi. Certaines propositions, par leur faible classement tant dans les représentations que se faisaient les étudiants, de l'institution universitaire que dans leur vécu, devraient quant à elles être porteuses d'interrogations même si on serait tenté d'écrire surtout parce que le vécu rejoint les représentations. Elles concernent la santé et le bien-être des étudiants avant-dernière dans leurs représentations et dernière dans leur classement des propositions au terme de trois années d'études, et la pleine utilisation de toutes les ressources que l'institution offre même si cette proposition remonte de la dernière place dans les représentations à la treizième place dans le vécu. Même questionnement pour la proposition relative au développement de la créativité des étudiants pendant leur séjour à l'université reléguée de la sixième place dans leur représentation à la seizième dans leur vécu. Dernière proposition caractérisée, elle aussi, par son faible classement tant dans les représentations que dans le vécu des étudiants, mais qui mérite peut-être d'être relevée à part en cela qu'elle dit un ascétisme, une austérité peut-être difficilement réconciliable avec une population qui est encore dans les premières années de sa jeunesse : l'université n'est pas plus l'endroit où l'on s'amuse bien. La référence au facteur «bonheur» dans l'acte même d'apprendre permet, toujours sur la base des définitions proposées dans la première section de cet article, de supposer l'influence, peu ou prou, de cette morosité que ressentent les étudiants sur la totalité du classement des propositions du questionnaire. Mais tout n'est pas sombre. Certaines des réponses exprimant le vécu des étudiants sont porteuses d'espoir et disent que l'institution universitaire joue, malgré les contraintes qui sont les siennes, une partie essentielle des rôles qui lui sont généralement dévolus. Ainsi, par exemple, les propositions «apprendre à mieux penser et raisonner» et à «mieux s'exprimer» occupent des positions de pointe dans ce que la population étudiée dit que l'université lui aura apporté au terme de trois ans de séjour. De même peut-il être proposé que l'université aura participé à une certaine éducation à la citoyenneté en permettant chez les étudiants une pratique de la responsabilité peut-être dans les délégations au sein de leurs groupes pédagogiques ainsi que dans les diverses associations estudiantines, en leur apprenant à se comporter plus en adulte, à mieux travailler avec les autres et à mieux se connaître (5). «Connais-toi toi-même», intime le philosophe. Autre aspect de ce vécu porteur d'espoir en cela qu'il humanise les étudiants concernés par l'étude et pouvait avec raison être porteur d'inquiétude de par son classement dans les représentations qu'ils se faisaient de la chose universitaire, l'université est en définitive, et contrairement à la représentation qu'en ont les étudiants quand ils y arrivent, vécue comme l'endroit où l'on se fait de bons amis. Ainsi donc, et pour inquiétants que soient certains dépassements comportementaux que connaît l'université algérienne et que relatent, quand ils ont lieu, les médias, dont votre journal, les lignes qui précèdent, même si elles ne sauraient être proposées comme décrivant un échantillon représentatif de la population estudiantine, plaident, du moins un peu, pour plus de modération dans le constat ou au moins dans les caricatures et montrent qu'au bout du compte, les étudiants d'aujourd'hui ainsi que leurs aspirations n'ont pas trop changé par rapport aux générations passées, même si elles ne sont pas réalisées dans leur totalité. Elles rappelleront peut-être aussi, du moins chez les plus littéraires de vos lecteurs, l'actualité et le bien-fondé, aujourd'hui encore et pour l'étudiant algérien dans l'université algérienne, de ce qu'affirmait Louis Ferdinand Céline au début du siècle dernier quand il écrivait: «Les études ça vous change. Ça fait l'orgueil d'un homme. Il faut bien passer par là pour entrer dans le fond de la vie. Avant on tourne autour seulement, on se prend pour un affranchi, mais on bute dans des riens. On rêve de trop, mais on glisse sur tous les mots. Ce n'est pas ça. Ce n'est rien que des intentions, des apparences. Faut autre chose aux résolus [ … ].» (6). Soient certains dépassements comportementaux que connaît l'université algérienne et que relatent, quand ils ont lieu, les médias, dont votre journal, les lignes qui précèdent, même si elles ne sauraient être proposées comme décrivant un échantillon représentatif de la population estudiantine, plaident, du moins un peu, pour plus de modération dans le constat ou au moins dans les caricatures et montrent qu'au bout du compte, les étudiants d'aujourd'hui ainsi que leurs aspirations n'ont pas trop changé par rapport aux générations passées, même si elles ne sont pas réalisées dans leur totalité. Elles rappelleront peut-être aussi, du moins chez les plus littéraires de vos lecteurs, l'actualité et le bien-fondé, aujourd'hui encore et pour l'étudiant algérien dans l'université algérienne, de ce qu'affirmait Louis Ferdinand Céline au début du siècle dernier quand il écrivait: «Les études ça vous change. Ça fait l'orgueil d'un homme. Il faut bien passer par là pour entrer dans le fond de la vie. Avant on tourne autour seulement, on se prend pour un affranchi, mais on bute dans des riens. On rêve de trop, mais on glisse sur tous les mots. Ce n'est pas ça. Ce n'est rien que des intentions, des apparences. Faut autre chose aux résolus [ … ].» (6). Notes de renvoi : – 1) O. Reboul, Qu'est-ce qu'Apprendre ?, P.U.F., Paris, 1980, p.146. – 2) G. Gusdorf, Pourquoi des Professeurs, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1963, p.21. – 3)Ce questionnaire a été emprunté à S. Contre Il, The study Skills Handbook, Macmillan Press Ltd, London, 1999, p.6. Notre traduction. – 4) Une marge presque insignifiante étant ici autorisée pour les quelques étudiants qui ont entre-temps abandonnés leurs études et qui n'affecte pas la portée des réponses. – 5)Voir à cet effet les notions de curriculum caché chères aux sociologues de l'éducation. – 6)L. F. Céline, Voyage au Bout de la Nuit, Denoël & Steele, Paris, 1932. – * L'équipe pédagogique «Study Skills» de première année de licence d'anglais du département des langues étrangères, université Mentouri à Constantine, a activement participé à l'élaboration des statistiques citées dans cet article et mises en forme par A. Boushaba. Cette équipe, sous la direction du Pr Kouloughli, regroupait Mmes Beleulmi, Belhoula, Boudebza, Ghoualmi, Lakhal-Ayat, Medjdoub, et MM. Benkaza et Boushaba, tous enseignants du département. L'auteur est Professeur à la faculté des lettres et langues Université Mentouri à Constantine