Imène, étudiante à l'Institut national du commerce : Des enjeux plus importants que l'équivalence des diplômes Chaque fois que j'essaie d'élargir le débat aux questions politiques, c'est-à-dire à la gestion globale des universités ou au système éducatif en général, on me répond : «On ne fait pas de politique !» C'est consternant. Mes collègues ont carrément peur dès qu'on prononce le mot «politique». Ils croient qu'ils se dispersent en exigeant plus que l'abrogation du décret sur les diplômes. Nous, un petit groupe d'étudiants, tentons de rassembler nos camarades au sein d'un comité national des étudiants pour donner un souffle nouveau, national, à ce mouvement et le structurer. Les enjeux pour les étudiants et les jeunes sont plus importants qu'une question d'équivalence des diplômes, même si cette dernière question est sensible.
Lamia, 3e année génie civil : Nous sommes toujours en veille Nous sommes en grève depuis deux semaines. Et même s'il y a reprise des cours, nous sommes toujours en veille. Nous continuons d'attendre le nouveau décret qui remplacera le décret mort-né. Nous ne faisons pas de politique. Pas de violence, pas de casse et pas de problème. Nous devons nous distinguer de ceux qui ne sont pas universitaires. Nous sommes l'élite de la société et nous devons être à la hauteur. Nos revendications sont purement estudiantines. Nous sommes sages et nous le resterons. Nous n'allons pas jouer avec notre avenir. Nous sommes en colère contre nos responsables, car nous vivons depuis des années un cumul de problèmes et d'injustices. Je suis à l'USTHB depuis cinq années et je n'ai jamais vu le recteur. Nous ne sommes pas considérés.
Zoubir Arrous . Sociologue, université de Bouzaréah
- Les étudiants peuvent être un déclencheur d'une violente révolte l Cette semaine, des étudiants ont été violemment réprimés alors qu'ils réclamaient uniquement leurs droits …
Ils se sont faits tabasser car le régime est certain que les Algériens sont fatigués et qu'ils ne défendront pas la cause de la corporation estudiantine. Nous assistons à une révolte des étudiants avec une violente répression des forces de l'ordre sans qu'aucun de nous bouge ! Je m'interroge donc sur le rôle de la corporation universitaire, restée passive alors que leurs camarades ou collègues se faisaient tabasser. Les enseignants, en particulier, manquent de conscience. Ils auraient dû réagir suite à ces évènements. Cette révolte estudiantine peut être un déclencheur d'une violente révolte de toute la société. Il faut dire que le déclencheur viendra certainement de ces étudiants ou des chômeurs. C'est pour cette raison que j'affiche ma crainte par rapport à la révolte populaire, qui pourrait être ensuite récupérée par ce que j'appelle «les voleurs de révolution» et nous vivons ensuite le même cas que la Tunisie. La révolution viendra du plus pauvre pour qu'elle soit récupérée politiquement. - Pensez-vous que cette révolte estudiantine peut dégénérer ? J'ai peur de cette jeunesse et j'ai également peur pour eux. La jeunesse d'aujourd'hui est de plus en plus consciente. Et si révolte il y a, elle sera certainement violente. Car ces jeunes ne sont convaincus par aucune idéologie. Ils veulent leurs droits et ne veulent pas entendre parler des islamistes, des démocrates, des socialistes ou d'autres… Ces jeunes ne croient plus à l'activité politique ou à la présence de la société civile. Ils ont d'autres moyens de lutte, à l'exemple de facebook, twitter… C'est d'ailleurs cette force qui a réussi en Tunisie et en Egypte, une force qui ne croyait pas à l'opposition classique. - Et en Algérie, est-ce que cette nouvelle opposition a remplacé l'opposition traditionnelle ? L'Algérie est un cas particulier. Chez nous, la révolte n'est pas nouvelle. Nous avons vécu une crise durant les années 1990, ce qui a réellement fatigué les Algériens. Actuellement, cette société, révoltée à l'intérieur d'elle-même, se repose et reprend souffle avant d'enclencher autre chose. Ne perdons pas de vue que nous vivons des révoltes depuis des années. Ce qui se passe actuellement dans les autres pays arabes, l'Algérie l'a vécu en octobre 1988 et en 1990. La différence est qu'on a mal étudié la stratégie de révolte et l'action populaire. Il faudrait bien étudier les buts à atteindre sinon nous pourrions basculer vers un régime plus mauvais encore que celui dont on veut se débarrasser. C'est ce qui s'est passé en 1988. Notre régime actuel est basé sur le parti unique avec des apparences de multipartisme. Mais ce régime ne doit pas se leurrer, il ne doit pas être à l'aise et de dire que la société est fatiguée. La fatigue ne va pas durer. Mais toute demande de changement doit s'exprimer pacifiquement. Nous devons apprendre de nos précédentes erreurs. - Et c'est à cela que la Coordination nationale pour le changement et la démocratie œuvre… Ses initiatives ont été limitées par les forces sécuritaires. De plus, de sérieuses divergences, à l'intérieur, viennent également perturber sa lutte. Elle n'a pas de slogan uni, ni même une plateforme de revendications. Pour réussir, il faudrait œuvrer vers une unification et une harmonie des idées et des forces. - La société reste tout de même passive et manque de conscience politique… C'est un fait normal. Tout acteur réclamant le changement social doit non seulement adresser son discours au régime, mais aussi à la société. Or, actuellement, la société est toujours oubliée. Et notre société est basée sur le refus de l'autre, ce qui complique encore plus les choses. Le régime en profite. La solution serait aussi d'œuvrer pour changer les mentalités.
Ali, 4e année, électrotechnique : Si une décision met notre avenir en péril, nous réagirons Chose demandée, chose faite. Il n'y a plus de raison pour faire la grève. Nous sommes déjà en retard. Il faudrait d'abord comprendre la charge de nos études et de notre combat quotidien. Nous avons, en quinze jours, réussi à paralyser complètement l'USTHB. Malheureusement, tous les enseignants ne comprennent pas notre cause. Je n'ai pas envie d'étudier en août en plein Ramadhan. Nous avons déjà eu cette expérience amère lorsque les enseignants que nous avions d'ailleurs soutenus en 2003. Maintenant que le Président lui-même a répondu à notre demande, nous reprendrons nos cours. Nous resterons tout de même vigilants sur ce qui va se passer dans l'avenir. A n'importe quelle décision qui mettra notre avenir en péril, nous réagirons.
Mohamed, 4e année génie mécanique, option construction mécanique : Notre forcing a eu des résultats Tout le monde s'attendait que notre mouvement de colère dégénère. Nous ne sommes pas des sauvages. Nous sommes des étudiants conscients et revendiquants seulement. Nous n'avons aucune autre arrière-pensée ni mauvaise intention. Nous sommes d'ailleurs restés calmes et passifs malgré les multiples problèmes que nous rencontrons dans notre cursus universitaire. N'ayez pas peur, nous sommes loin de la politique. D'ailleurs, vous avez certainement remarqué qu'aucune organisation estudiantine ne s'est mêlée à nous. Les grévistes ne leur ont pas donné cette chance. Elles sont toutes corrompues et ne cherchent qu'à servir leurs intérêts. Pour le moment, notre forcing a eu des résultats. C'est le président de la République qui a abrogé le décret qui allait déstabiliser tout notre avenir. Nous, ingénieurs, sommes recrutés à l'échelle 13 et nous atteindrons la 16 avec l'expérience, alors que les diplômés du LMD sont directement recrutés à la 14 !
Ferial, ingénieur en biologie de contrôle de qualité et analyse : «Il y a du favoritisme dans notre université» Je viens juste de terminer mes études d'ingéniorat. Avec ce diplôme, je n'arrive toujours pas à m'imposer dans le monde professionnel. J'ai passé la moitié de ma jeunesse à l'université et je ne trouve toujours pas de travail. Avec ce décret, en tant que diplômés, nous sommes lésés dans nos droits. Depuis quelques mois, je n'arrive pas à déposer mon dossier de demande d'emploi au niveau de l'ANEM. Etant une résidante de l'est d'Alger, je relève de l'agence de Boumerdès. Là-bas, c'est le favoritisme qui marche. Je suis partie une dizaine de fois, mais les agents refusaient catégoriquement de me recevoir sous prétexte que j'avais cinq minutes de retard, alors que j'ai vu des jeunes venir après moi, sans présenter les papiers administratifs exigés, pris en charge…