L 'audition de Achour Abderrahmane a surpris plus d'un, dans la soirée de dimanche dernier. S'exprimant en parfait arabe, Achour commence par révéler qu'il a fait l'objet d'une « machination » et qu'il est « le client le plus solvable » de la BNA. Il accuse Hachemi Zouaï, ancien chef de sûreté de Tipasa, d'avoir tout fait contre lui, pour le faire « tomber dans un piège ». « De nombreuses enquêtes ont été ouvertes sur moi, mes fonds, mes entreprises, mais rien n'a été trouvé », précisant que les nombreuses lettres anonymes écrites à son encontre n'ont, néanmoins, pas cessé. « J'ai réglé le seul problème que j'avais avec la BNA et pour lequel une plainte pour escroquerie a été déposée en 2005 au tribunal de Chéraga. Un non-lieu a été obtenu en 2005, mais j'ai reçu un appel téléphonique anonyme m'annonçant que j'allais faire l'objet d'un mandat de dépôt. J'ai eu peur, j'ai décidé de quitter le pays. » Achour affirme que le document falsifié et objet de l'affaire, lui a été remis à Paris par son ex-associé Salim Jallal, qui lui a également donné de nombreux autres rapports confidentiels et importants de la banque. « Comment il a pu les obtenir, je ne sais pas. Mon avocat au Maroc a jugé important d'utiliser le rapport de la sûreté de wilaya de Tipasa comme moyen de défense contre mon extradition, sans pour autant savoir qu'il s'agissait d'un faux. » L'accusé déclare qu'il avait la possibilité de faire appel de la décision de la justice marocaine, mais il a préféré rentrer au pays. « Parce que je n'avais rien à me reprocher vis-à-vis de la BNA. » Achour se demande en quoi cette affaire le concerne à partir du moment où ce n'est pas lui qui a falsifié le rapport en changeant son destinataire. Le président lui demande de revenir à la journée du 7 mars, lors de la réunion qui a eu lieu au bureau de Mohamed Sbih, ancien directeur de la clinique Les Glycines de la Sûreté nationale. « J'ai été voir Sbih avec un ami commun, Aziz Deries, dit Aziz Errih, pour qu'il voie mon dossier médical et m'aide à obtenir une prise en charge à l'étranger. Quand je suis arrivé le matin, j'ai trouvé Hachemi Zouaï dans son bureau et c'est lui qui me l'a présenté car je ne le connaissait pas. J'en ai profité pour lui parler des lettres anonymes écrites sur moi et notre entrevue a duré moins de 10 minutes, avant que Zouaï ne quitte le bureau. »Le juge demande à l'accusé s'il n'avait pas remis à Zouaï une carte de visite et s'il avait remis une enveloppe à Sbih. Achour affirme que l'enveloppe en question comportait le dossier médical, mais il dément avoir remis une quelconque carte à Zouaï. Il s'interroge sur le fait que son ex-associé Salim Jallal puisse avoir le privilège d'être reçu par Zouaï, en tant que chef de sûreté de wilaya, juste pour déposer plainte contre lui. Le juge l'interroge sur une Porsche qu'il aurait offerte à Zouaï, mais l'accusé dément. « Les gens disent beaucoup de choses, mais il n'y a aucune preuve. Je me demande comment Jallal a pu avoir tous les documents officiels et confidentiels pour me les remettre à Paris. » Mohamed Sbih convoqué comme témoin Le juge appelle alors Mohamed Sbih, convoqué comme témoin au procès, après avoir été inculpé, mis sous contrôle judiciaire et bénéficié d'un non-lieu auprès de la chambre d'accusation. Toute l'affaire tourne autour de cet ancien divisionnaire, chargé d'étude auprès du DGSN et du directeur de la santé. Une précision que le témoin a tenu à apporter au tribunal, expliquant qu'il n'a jamais été directeur de la clinique Les Glycines où il pratiquait la chirurgie trois fois par semaine. Le jeudi et le vendredi matin, il reçoit ses malades. Selon lui, c'est Hachemi Zouaï qui l'a appelé la veille du jeudi pour l'informer qu'il allait passer le voir pour une consultation et, à ce titre, il l'a reçu le matin très tôt. Quelques minutes plus tard sont arrivés Aziz Deries et Achour Abderrahmane. « Je bougeais beaucoup et à un moment, je suis sorti du bureau, les laissant ensemble quelques minutes. J'ai vu le dossier médical de Achour et celui de Zouaï, rien de plus. » Le président : « Le fax a été envoyé à votre bureau. » L'accusé surprend tout le monde en déclarant : « Je n'ai pas de fax dans mon bureau. » Le juge lui rappelle les déclarations de Zouaï selon lesquelles c'est lui qui l'avait appelé au téléphone pour lui demander de venir au bureau. Le témoin : « Ce n'est vrai, il est venu pour régler un problème de santé, tout comme Achour et je ne peux révéler la maladie par respect du secret médical. » Le magistrat : « Pourtant, ce secret n'a pas été respecté puisque vous lui avez fait une consultation à Achour devant Zouaï. » Le juge appelle Zouaï et lui demande si Sbih dit la vérité. Très serein, l'accusé déclare : « M. Sbih rappelez-vous, vous avez prêté serment, c'est vous qui m'avez appelé en me disant de passer vous voir au bureau et quand je suis arrivé, vous m'avez parlé d'une plainte déposée à mon encontre par Achour. » Il lui rappelle les circonstances de l'entrevue et demande au juge de vérifier ses propos en exigeant les enregistrements des communications téléphoniques effectués par la police. « Je ne suis pas venu vous voir pour un problème de santé et je vous défie le prouver. Ma maladie est la prostate, ce n'est pas un secret », précise Zouaï, laissant Sbih de marbre. Le magistrat demande à l'accusé combien de fois Sbih l'a appelé et il répond : « 3 ou 4 fois et le jeudi à 11h15 j'étais sur le chemin du retour vers Oran. Il m'a remis un numéro de téléphone pour le donner à l'officier Kalikha. » Zouaï ne cesse de répéter que les communications entre lui et Sbih sont enregistrées et contenues dans le dossier, donc « faciles à vérifier ». « Nous n'avons pas besoin de cacher ce qui s'est passé, sauf s'il y a des intérêts importants à préserver », termine-t-il avant que le juge ne se retourne vers le témoin. « Je persiste, je ne l'ai pas appelé », dit-il. Le juge : « Achour ne vous a jamais parlé de ses problèmes avec Zouaï, à votre bureau ? » Sbih : « Jamais, d'abord je n'a pas de fax, et mon bureau, en tant que directeur de la santé, est au Cati. A la clinique, j'opère et je vois mes malades ». Le magistrat s'adresse alors à Zouaï, lequel se lève et lance : « Ce n'est pas vrai. Demandez à tous les policiers qui sont là et ils vous diront que son bureau est à la clinique. De plus, rares sont les policiers qui bénéficient d'une prise en charge dans cette clinique. Il faut être vraiment appuyé pour y accéder. Cela fait 30 ans que je suis à la sûreté, dont 20 années comme chef de sûreté de wilaya, pourtant mes soins, je les fait à l'extérieur. » Le juge insiste pour savoir si c'est Sbih qui a appelé Zouaï, et Sbih finit par lâcher : « A mon sens, c'est lui qui m'a appelé. » Beaucoup d'événements se sont déroulés aux Glycines A la question de savoir à qui appartient le numéro remis à Kalikha et vers lequel le rapport a été transmis, le témoin déclare : « Nous avons un fax à l'étage, mais pas à mon bureau. » Zouaï rétorque : « C'est une ligne personnelle avec un fax et je ne pouvais la connaître s'il ne l'avait pas donnée, en me disant de la remettre à Kalikha parce qu'il n'arrivait pas à comprendre ce qu'il lui disait en arabe classique. » Le magistrat tente une autre stratégie. « Vous avez dit que vous êtes sorti quelques minutes du bureau, peut-être que quelqu'un a dû utiliser votre fax. » Le témoin réplique : « Je n'ai pas de fax dans mon bureau. Il est au secrétariat de l'étage. » Le juge : « Est-il normal de mettre un chef de sûreté de wilaya avec Achour Abderrahmane, objet d'enquêtes menées par ses services ? » Une question qui bloque quelque secondes le témoin, avant de trouver la réponse : « Les deux sont venus en tant que malades, sans qu'ils ne se connaissent. » Sbih quitte la salle tout en sueur. Autre témoignage qui a surpris la défense, celui du commissaire Kalikha, adjoint du commissaire principal Bessaï Abdelkader. Kalikha était sous mandat de dépôt dans le cadre de cette affaire avant de bénéficier d'un non-lieu auprès de la chambre d'accusation et d'être indemnisé. Du statut d'accusé, il passe à celui de témoin. Il révèle que jeudi 7 mars 2004, au matin, Hachemi Zouaï l'appelle au téléphone et lui dit qu'il est au cabinet du DGSN et que les responsables ont besoin du rapport établi par la police judiciaire de Tipasa. Il avait auparavant demandé après Bessaï, précise-t-il. « Je lui ai dit que Bessaï était absent et que le rapport blanchissait Achour des faits reprochés. » Kalikha poursuit son témoignage en disant que Zouaï lui a demandé de dire à Bessaï de faxer le document à un numéro qu'il avait mentionné sur un bout de papier. « Je suis parti voir le chef de sûreté de wilaya, Ouslim, pour l'informer mais il était absent et son secrétaire a refusé de me transmettre un quelconque document sans l'autorisation de son chef. Il m'a demandé de voir avec mon responsable, qui est Bessaï ; dès qu'il est arrivé, je l'ai informé. Il m'a demandé la disquette où était enregistré le rapport, il a tiré une copie qu'il a signée après changement du destinataire. Au lieu du procureur de la République, on a écrit M. le DGSN. » Le juge lui demande ce qu'il a compris à travers ces changements. « Avec du recul, je me pose des questions, mais à l'époque, pour nous c'était normal. » Le témoin révèle pourtant que lors de l'enquête qu'il a menée sur Achour, il a rencontré de nombreux obstacles. Il avait des difficultés à obtenir les réquisitions pour vérifier les mouvements des sociétés de Achour sur 5 ans, et une fois l'accord obtenu, l'expert désigné par la BNA « était incapable » et le parquet voulait une plainte préalable que la BNA a refusé de déposer. Le juge demande au témoin à quelle heure il a faxé le rapport, il affirme : « A 11h. » Le magistrat appelle Zouaï et ce dernier explique : « Je l'ai appelé du bureau de Sbih pour lui demander ce qu'il y avait dans le rapport sur Achour et Kalikha m'a déclaré ‘koulchi makhdoua' (tout est malsain). L'expertise est en faveur de Achour. J'ai raccroché en révélant ce que j'ai entendu à Sbih et je suis parti de son bureau. Sbih m'a rappelé après, me demandant de transmettre son numéro de fax à Kalikha ». Ce dernier confirme les propos de Zouaï, mais en précisant que Zouaï l'a appelé en lui disant qu'il était au cabinet du DGSN et qu'il fallait transmettre le rapport pour le cabinet au numéro qu'il lui a donné. Il précise que c'est Bessaï qui a signé le document parcequ'il est le plus gradé, en omettant d'ajouter la mention « pour le chef de sûreté de wilaya ». Il confirme que le même document devant être adressé au procureur n'a été transmis à son destinataire que le 11 mars, soit 5 jours après la sortie de la copie adressée au DGSN et signée par Bessaï. Kalikha confirme également avoir relevé, lors de son enquête, plusieurs violations par Achour, mais il ne pouvait aller plus loin dans les investigations du fait des entraves. Il note néanmoins que s'il savait que Zouaï, qui n'était plus son chef, depuis peu à Oran, n'était pas au cabinet du DGSN, il n'aurait jamais transmis le document. D'autres témoins sont passés à la barre, des agents de police de la sûreté de wilaya de Tipasa et les auditions ne se sont terminées que vers 23h.