I l n'y pas plus beau poème sur l'Ecole que le Cancre de Jacques Prévert qui, en quelques vers, dit tout sur cette vénérable institution. Vous souvenez-vous de sa fin ? Ce fou rire sur l'estrade, suprême rébellion à l'ordre établi et cette chute merveilleuse : « Et malgré les menaces du maître/ Sous les huées des enfants prodiges/ Avec des craies de toutes les couleurs/ Sur le tableau noir du malheur/ Il dessine le visage du bonheur ».Plus tard, en musique, le groupe Pink Floyd reprit le thème avec son album The Wall (le mur), clamant la révolte des cancres et leur refus des « noirs sarcasmes en classe ». Ayant été un cancre militant en mes vertes années, c'est toujours avec affection que j'envisage les déclassés des classes. De la même manière que ce vieil enseignant qui m'était proche et qui déclarait ne se souvenir, après plus de quarante ans de carrière, ni des bons élèves que sa mémoire chancelante estompait, ni de la masse des « moyens », informe et sans relief, mais seulement des cancres qui lui posaient un problème de conscience et dont il avait perçu les sensibilités. Auparavant, même les classes les mieux fournies en la matière ne pouvaient aligner que deux cancres authentiques, trois par miracle, un par définition. Or, aujourd'hui, ces proportions sont bousculées et si les premiers de la classe sont toujours peu nombreux, les « moyens » ont des effectifs réduits tandis que les cancres sont légion ! Il existe au moins 327 raisons raisonnables à cette mutation mais nous ne parlerons que de la 328e, pourtant si importante : cette terrible absence de dimension culturelle dans nos écoles. À la veille de la 2e édition du Festival international de la littérature et du livre de jeunesse (lire p. 23), on ne peut que s'interroger sur la présence du livre en milieu scolaire. Certes, les programmes de la réforme ont accordé plus de place aux textes, mais nous sommes encore bien loin du compte. Pour la plupart des élèves, les écrivains algériens, même anciens, demeurent inconnus . Ceux d'entre eux qui entreront à l'université pourront terminer leurs études, y compris littéraires, sans jamais avoir jamais lu un roman ou un essai ! Quant à l'animation culturelle, elle se résume souvent à Youm El Ilm (Journée du savoir) où l'on rabâchera souvent quelques généralités sur Cheikh Ibn Badis sans jamais découvrir la profondeur du personnage. Et quand les choses vont mieux, cela donne par exemple des spectacles de marionnettes que les directeurs d'école s'arrangent pour être incolores, tuant toute perspective de reprise de la tradition des garagouz que l'armée coloniale, à peine débarquée, avait interdite (lire p. 24). C'est pourquoi sur la route de Bouzaréah (pardon, la rue grouillante), il ne faut pas s'étonner de voir, avant le lieu-dit Café des Pins (qui ont été abattus) une grosse villa qui semble abandonnée et sur laquelle une enseigne défraichie annonce un « Centre de l'animation culturelle en milieu scolaire » ou quelque chose du même goût. Il y avait de l'honneur et de la singularité à être cancre. Maintenant, plus rien que de la résignation.