– Pourquoi avoir choisi Oran pour cette étude ? – Oran m'est chère et est représentative des villes algériennes du Nord. Cette recherche fait partie d'une étude réalisée pour évaluer l'impact de l'urbanisation sur le climat. Nous tentons de voir comment planifier l'urbanisation future tout en cherchant à pallier les changements climatiques dus aux gaz à effet de serre. Toutes les villes ne sont pas construites de la même façon ni avec les mêmes matériaux. Les cas d'études comprenant une seule ville permettent d'utiliser des images satellitaires à haute définition pour décrire l'hétérogénéité des surfaces urbaines et résoudre les phénomènes physiques qui s'y opèrent à petite échelle. Nous avons fait d'autres études sur de grandes villes sud-américaines comme à Santa Cruz en Bolivie ou Mato Grosso au Brésil. En ce qui concerne Oran, la ville a connu un développement économique important durant les 50 dernières années et l'expansion urbaine qui a suivi est très significative. L'urbanisation a eu lieu au détriment des rares arbres et principalement sur des étendues agricoles fertiles et sur des surfaces où la végétation est courte et clairsemée. – Quelles pourraient être les conséquences, à terme, de l'urbanisation de la ville ? – Nous montrons que contrairement aux régions urbaines dans les climats tempérés qui créent un effet d'îlot de chaleur important, cet impact n'est pas aussi marqué à Oran où le climat est semi-aride. En été, la ville réagit comme une source de chaleur et augmente la température en surface de 1,45 °C durant la journée et de 0,81 °C la nuit. Les températures saisonnières indiquent que la ville est plus chaude que son environnement en été, et légèrement plus froide en hiver. Ceci peut affecter l'énergie utilisée pour le chauffage ou le refroidissement car pour une augmentation de température de 0,5 °C, la consommation d'énergie moyenne dans les villes augmente de 3 à 8%. Le cycle hydrologique est complètement éteint en été et se caractérise par des inondations fréquentes en hiver. Les résultats du modèle révèlent que la région capture une quantité annuelle de carbone atmosphérique d'environ 1,94 million de tonnes dont seulement 12% sont assimilées durant la saison pluvieuse. Si l'urbanisation augmentait pour occuper 50% de la superficie totale (hors forêts), l'assimilation annuelle de carbone diminuerait de 35% et la température moyenne pour le mois de juillet augmenterait de 0,10 °C par rapport à la situation actuelle. – Une telle démonstration a de quoi inquiéter. Pourtant vos conclusions prêtent à rassurer pour peu que l'on prenne en compte vos recommandations… – A Oran, l'amplification du réchauffement en surface ne sera pas très importante car les territoires utilisés sont semi-arides et réagissent quasiment comme un sol nu. Mais si l'extension continue à se faire de la même façon sans tenir compte des effets biophysiques, comme durant ces 40 dernières années, le taux de carbone sera affecté et cela pourrait avoir un impact sur le réchauffement dû aux gaz à effet de serre. Si l'urbanisation de la ville d'Oran s'accompagnait de plantations d'arbres adaptés, les effets sur le climat seraient moindres et l'extension de la ville pourrait encore atteindre 50% de sa superficie actuelle. Parallèlement, la température de la surface diminuerait de presque 1°C en moyenne. Cela permettrait aussi d'augmenter le taux de séquestration du carbone de presque un million de tonnes par an, ce qui est un chiffre non négligeable pour le marché du carbone ! – Dans l'actualité oranaise, on parle beaucoup de la forêt de Gdyel qui fait l'objet d'un déboisement important pour l'implantation d'une usine à bitume. A terme, la croissance et la production des végétaux risquent d'être réduites en raison des effets toxiques de l'usine… – Je connais parfaitement la forêt urbaine de Gdyel et il me serait pénible de la voir disparaître pour un projet qui pourrait avoir trouvé une place non loin ailleurs. Là se pose la question d'intégration de la connaissance à la prise de décision. Il est certain que le développement industriel et la création d'emplois sont importants, mais la forêt a aussi un rôle vital qui n'est pas toujours bien apprécié. L'arbre représente une pompe à eau qui fonctionne à l'énergie solaire, il est un élément indispensable pour l'environnement et la biodiversité. Un développement durable devrait allier l'utile et l'agréable, là est le débat ! – Pensez-vous qu'à terme, l'urbanisation devienne un fléau majeur pour l'environnement si l'on n'y prend pas garde ? – Je dirai que l'urbanisation n'est pas une mauvaise chose. Au contraire, c'est une façon utile et efficace pour les sociétés de vivre ensemble et de partager les ressources, mais l'urbanisation pourrait être encore meilleure si elle était planifiée en tenant compte des autres facteurs environnementaux. La majorité de la population algérienne vit dans les centres urbains du littoral, compris entre un grand désert et la Méditerranée. Si l'urbanisation le long de la côte continue comme par le passé, en ce qui concerne le climat, la région sera considérée comme un désert : réflective et sèche. Oui, dans ce contexte géographique, l'urbanisation pourrait devenir un fléau et avoir des conséquences significatives et irréversibles. Si on n'y prend pas garde, on pourrait dans le futur parler de «catastrophes planifiées». Ce que l'on préconise est simple : il faut planter beaucoup d'arbres ! Le gouvernement doit s'y atteler.