Manque d'auteurs formés, d'éditeurs audacieux, de subventions étatiques… A l'occasion de la 2e édition du Festival international de la littérature et du livre pour jeunes, du 21 au 29 juin à Alger, El Watan Vendredi a enquêté auprès des professionnels sur le no man's land littéraire pour enfants. « Il existe un lectorat jeunesse en Algérie. Il est même très important. On le constate chaque année lors du Salon international du livre d'Alger. La société évolue, les ambitions et désirs des parents pour leurs enfants aussi : ils ont désormais ce souci d'éveiller leurs enfants dès leur plus jeune âge, en leur proposant des supports esthétiques et de qualité. » Selma Hellal, éditrice (Barzakh) a beau s'enthousiasmer sur les envies d'un marché qui ne demande qu'à être exploité sur les rayons des librairies, rien ne bouge. Quelques titres francophones qui se battent en duel, souvent importés et inadaptés aux besoins des petits Algériens, des ouvrages en arabe très médiocres, une qualité de papier, de thématique et des illustrations généralement approximatives… Si le niveau de développement d'un pays se mesure aussi à la richesse de sa littérature, en particulier de sa littérature jeunesse, alors il reste à l'Algérie beaucoup d'imagination à développer. Le Festival international du livre jeunesse qui se tient à partir de dimanche à l'esplanade de Riadh El Feth (1) est l'occasion de faire le point sur ces dysfonctionnements. Et tout commence à la maison et à l'école, « où l'enfant n'est pas encouragé à capitaliser le vocabulaire, les images… qui développent son expérience langagière et imaginaire à travers la lecture qui, elle, contribue à la formation de sa personnalité », explique une enseignante en primaire. « Avec les programmes chargés, il est difficile d'amener l'enfant à des lectures autres que celle des leçons. De plus, dans notre société, il est davantage habitué à l'oralité. » Résultat, comme l'ont noté les professionnels du secteur lors du festival de l'an dernier, les jeunes lecteurs se sont inconsciemment tournés vers… les livres parascolaires ! Autre problème : pour un éditeur, un livre jeunesse coûte cher. La littérature jeunesse est une grosse machine qui nécessite des rouages précis, des professionnels capables d'injecter à la production une originalité imparable, pour qu'elle soit une référence. « Parce que beaucoup d'acteurs gravitent autour de sa fabrication, remarque un autre éditeur algérois. L'auteur, l'illustrateur, le graphiste, etc. Et l'Etat ne nous aide pas dans cette entreprise, alors que pour lui, investir dans la littérature jeunesse revient à investir dans ses forces vives. J'ai voulu, par exemple, donner des livres à un collège. Il m'a fallu demander des autorisations à plusieurs ministères et finalement, la réponse a été négative… » Peu de conviction Pour Abdelkader Kheir, lauréat du 2e prix du festival de l'an dernier, « il faudrait revenir à la politique du président Chadli qui subventionnait les livres. A cette époque, mon père, comme beaucoup d'autres, se sont constitué des bibliothèques ; il y avait même des émigrés qui se fournissaient en Algérie en livres pour les ramener en France. Un comble ! ». Dans ce marasme, il est évident que peu d'auteurs et peu d'éditeurs se lancent dans l'aventure. Alors que pour Hamid Skif, auteur et conteur domicilié en Allemagne, les possibilités résident justement dans « l'encouragement de la coopération entre les éditeurs nationaux et les éditeurs étrangers spécialisés. Dans les années 1970, nous avions eu la possibilité de développer ce secteur en coopération avec les Tchèques qui étaient alors très fort dans ce domaine. Mais nous avons laissé passer le coche, faute d´intérêt… » En Algérie, il n'existe pas d'école non plus ou d'atelier pour former des auteurs spécialisés comme en France, au Quebec ou au Liban. Mounir Charfa, jeune auteur, s'est ainsi cogné aux portes des éditeurs : « Ils m'ont répondu que mes histoires en arabe dialectal, inspirées du modèle tunisien, ne correspondent pas au lectorat, qui fait son apprentissage en arabe classique… » Selma Hellal ajoute : « Il est souhaitable que l'éditeur qui se lance dans l'édition du livre jeunesse ait une stratégie à moyen et long termes. C'est-à-dire qu'il ne se contente pas d'initiatives ponctuelles, mais qu'il pense, élabore des collections, avec cinq ou six livres prévus à l'avance et, par exemple, un personnage récurrent dans une série, auquel le lecteur s'attache. Cela demande une capacité d'anticipation et de prévision, une rigueur assez contraignantes. » Mais comme le note de manière optimiste Abdelkader Kheir, « le festival de la littérature de jeunesse n'en est qu'à sa 2e édition. C'est encore trop jeune pour révéler toutes les potentialités qui existent ». Pour Selma Hellal, « les parents sont prêts à mettre le prix pour que leurs enfants aient accès à des ouvrages de qualité, beaux, bien conçus et pas trop onéreux. Sans conteste, l'exigence des parents s'est affinée, leur conscience aussi, de la nécessité d'accompagner très tôt l'imaginaire de leur petit ». A quand alors, en Algérie, « des bibliothèques gaies et colorées, qui soient des espaces accueillants où l'enfant prend plaisir à feuilleter les livres avant de choisir », comme en rêve la jeune auteure Kawter Adimi : « On a besoin de petites bibliothèques de quartier et surtout on a besoin de laisser l'enfant libre de toucher le livre et de choisir ce qu'il veut lire ! » (1) www.feliv.net L'expérience libanaise Lors de la précédente édition du Festival international de la littérature et du livre jeunesse, le jeune lecteur algérien a pu savourer les œuvres originales, en langues arabe et française, exposées dans le stand libanais. Comme beaucoup de pays francophones, le Liban a été emporté dans une tendance qui favorisait l'importation de littérature étrangère. Elle fut traduite du français et de l'anglais, de manière approximative, vers l'arabe. Ces livres truffés de personnages et d'histoires abracadabrantes ne collaient pas vraiment à l'environnement culturel libanais. Cette expérience est similaire à ce que nous vivons actuellement en Algérie. La littérature jeunesse libanaise a également bataillé pour trouver sa propre originalité et son lectorat. Les éditeurs ont compris qu'il fallait produire par rapport au vécu et à la culture arabe. En 1992, la maison d'édition Hatem avait créé pour les 12-16 ans une collection francophone Les belles lettres, dont le premier roman signé par Fardjalah Haik et intitulé Ghariba (l'Etrangère). D'autres auteurs ont été publiés par la suite, on citera Christiane Saleh, Mansour Labaky, Jabbour Douaihy ou encore Alexandre Najjar. Dans cette littérature francophone dédiée à la jeunesse, il est beaucoup question de patrimoine, d'identité, d'histoire et de mythologie. L'auteure Youmna Jazzar a écrit au moins six livres édités aux éditions Dar An Nahar. L'édition libanaises en matière de littérature jeunesse a su exploiter son potentiel, elle est également soutenue par l'enseignement national, un paramètre indispensable pour la diffusion.