Et c'est dans cette ville que s'est tenu le procès de Mohamed Gharbi, moudjahid et patriote. C'est dans cette ville que sa condamnation à mort a été prononcée. Quelle vilenie ! J'ai lu dans la presse, attérée, que le prétoire a retenti aux cris de «Allahou Akbar». Et ces deux mots m'ont ramenée 52 ans en arrière, à Barberousse, quand j'entendais les condamnés à mort, qu'on venait chercher pour la guillotine (finga), les prononcer. C'étaient ces deux mots qu'ils nous lançaient à l'aube, quand ils partaient comme des héros pour ne plus revenir : «Vous étiez fiers et calmes, sûrs de votre idéal, vous cotoyiez déjà les martyrs de l'histoire…» Et d'après le témoignage d'un condamné à mort, ceux qui restaient dans la cellule étaient tétanisés, sans jambes. Les condamnés partaient à l'aube, soutenus par tous les prisonniers, debout et révoltés, qui criaient des slogans, chantaient et lançaient des youyous, prévenant ainsi La Casbah. C'étaient eux qui nous donnaient de belles leçons de courage et d'espoir. J'ai encore ce cri d'«Allahou Akbar» à l'oreille 52 ans après. Merci mes frères. Nous n'avions pas honte au tribunal militaire, quand on nous traitait de terroristes et que la salle étaient pleine de pieds-noirs qui criaient «à mort, à mort». Et c'est ce même cri qui a été entendu… dans le prétoire du tribunal de Guelma. C'est une femme qui a osé, sous des pressions très fortes je le suppose, prononcer ce jugement. Une femme ! Certes, femmes et hommes sont semblables, étant des êtres humains, et la femme n'est pas, par nature, porteuse de toutes les qualités, de tous les sentiments. Mais tout de même, il fallait oser le faire ! Il y a des choix qui s'imposent dans la vie, des choix souvent difficiles et qui ne sont pas conjoncturels, des choix qui bouleversent totalement notre vie, mais quand on a fait le bon choix, croyez-moi, on se sent beaucoup mieux, on respire. Vous n'avez pas, Madame, accordé les circonstances atténuantes, pourtant vous aviez le choix. Je sais très bien que nul ne peut se faire justice soi-même : c'est un grand principe. Mais en général, la condamnation à mort a lieu par contumace, ce qui n'est pas le cas, l'accusé n'ayant pas fui. Vous aviez toute une panoplie de circonstances atténuantes : fréquentes provocations, autorités prévenues par l'accusé à plusieurs reprises et surtout son passé.Je ne connais pas M. Gharbi, mais j'ai appris qu'il est moudjahid et chef des patriotes de Souk Ahras. Et cela me suffit amplement. Il a dû en voir mourir, des innocents assassinés, avant de reprendre les armes. J'ai en mémoire, dès les premières années du terrorisme, des centaines de moudjahidine assassinés sans que le ministère des Moudjahidine, qui en était informé, n'en parle. Actuellement, les institutions ne bougent pas pour ne pas contrarier la réconciliation nationale. Mais est-ce là une façon de réaliser la réconciliation ? Et peut-être même, tant qu'on y est, pour ne pas contrarier le traité d'amitié avec la France ? M. Gharbi est un vrai moudjahid (il y en a, paraît-il, plus de faux que de vrais) grâce à qui nous sommes indépendants ; et cette guerre de 7 ans et demi a été atroce, dure, implacable. M. Gharbi, je n'ai pas eu l'honneur de vous connaître, mais je vous vois toujours digne, en attendant que le peuple surmonte cette léthargie momentanée qui l'a frappé et qu'il ouvre enfin les yeux sur ce qu'a été son silence et, pourquoi pas, malgré toutes les excuses qu'on peut lui trouver, sa lâcheté. Au-delà des symboles et des calculs sordides qui ont été à l'origine de votre condamnation, c'est votre dignité également qu'on vous reproche. A bientôt, M. Gharbi, à bientôt. L'auteure est moudjahida