Ce nom peut probablement ne pas évoquer grand-chose pour la nouvelle génération de nos compatriotes et une grande partie des lecteurs de la presse quotidienne en Algérie, mais pour beaucoup de ceux qui se sont battus pour que ce pays accède à l'indépendance, l'un des principaux responsables des réseaux de soutien au FLN en territoire français n'est pas ce que l'on pourrait appeler un parfait inconnu. Engagé en 1943 dans les Forces françaises libres d'Afrique du Nord, il séjourne une première fois à Alger où il ne voit en fait, à 21 ans, que la France en Algérie avec ses problèmes, son armée divisée et son administration vichyste. Revenu en Algérie en septembre 1948, il y séjourne plusieurs mois dans des conditions précaires, pour se rendre compte définitivement qu'il existait bien «un problème algérien». Au bout de six mois, il arrive à la conclusion qu'«il faut faire quelque chose, c'est trop énorme, c'est trop grave !». Il venait de passer par Sétif où le sous-préfet le recevant dans «sa» ville lui fait visiter une place publique où se dressait un monticule de chaux. «Ce tas de chaux, c'était des cadavres qui avaient été brûlés, carbonisés.» C'est là qu'il se met à écrire un article pour la revue Esprit, «Cette Algérie conquise et pacifiée…». Ses engagements intellectuels et ses écrits dans Temps Modernes, qu'il anime avec Jean-Paul Sartre, le démarquent nettement de nombreux intellectuels français qui, comme Albert Camus, qui absurdifient le monde et n'arrivent pas à voir L'Etranger dans son épaisseur humaine, celle du colonisé et de l'opprimé. Quand survient la lutte armée en Algérie, il est une des rares personnes vers lesquelles se dirigent les militants nationalistes pour y trouver une écoute, un écho, et peut-être aussi une action solidaire. C'est le prélude à un engagement beaucoup plus conséquent aux côtés du FLN. Dans un de ses entretiens, il raconte comment c'était à partir de juin 1955, quand il s'était décidé à aller carrément dans l'implication concrète et sans équivoque au combat pour l'indépendance de l'Algérie. En automne 1955, il écrit en collaboration avec Colette Jeanson, L'Algérie hors-la-loi qu'il fait paraître chez Flamand. Alors que Camus se met à distance en s'interrogeant sur le non-sens des problèmes de son époque, Francis Jeanson se met en jeu en prenant tous les risques. Il disait alors : «Héberger un Algérien, c'est peut-être soustraire un homme à la torture.» Après un séjour en sanatorium, il revient de plus belle dans la lutte pour l'indépendance de l'Algérie. Fin mars 1956, il ouvre sa maison et met sa voiture à la disposition des militants du FLN. Il sollicite un grand nombre d'intellectuels, d'artistes, de femmes et d'hommes de lettres. C'est le début des réseaux de soutien au FLN, de ceux qu'on appellera plus tard «les porteurs de valises». Début 1957, c'est Tayeb Boulahrouf, alors responsable par intérim de la fédération de France du FLN, puis Omar Boudaoud qui le rencontrent et discutent des modalités de l'aide des réseaux Jeanson au FLN. Le philosophe ne peut plus se contenter d'amener la question algérienne sur la place publique par ses conférences et prises de position médiatiques. Ahmed Boumendjel prend part aux prises de décision quant au passage à la clandestinité du travail d'aide au FLN, d'autant que le réseau, et Francis Jeanson à sa tête, était en contact permanent avec la direction de la Fédération de France du FLN dont ils assuraient l'hébergement et connaissaient les points de chute, tout autant que les planques pour l'argent des cotisations venant de tous les coins de France. Francis Jeanson, qui n'était pas seulement un intellectuel engagé mais aussi un homme politique avisé, tenait pour essentiel l'existence d'un réseau de soutien français «pour que l'Algérie puisse un jour ne plus identifier la France aux pires excès d'une certaine politique française». Espérons, pour terminer cette évocation, que l'Algérie d'aujourd'hui puisse se souvenir que des Français se sont battus, se sont exposés et ont mis en jeu leur liberté, et parfois leur vie, pour l'indépendance de notre pays et une certaine idée de la France. – L'auteur est : Maître de conférences Université d'Alger Bouzaréah