Considéré pourtant comme un régime hermétiquement fermé, le pouvoir iranien découvre, à la faveur de l'élection présidentielle du 12 juin dernier qui a reconduit le président sortant Mahmoud Ahmadinejad à la tête de l'Exécutif, une nouvelle forme de contestation politique portée cette fois par des personnalités du sérail qui se sont toujours gardées, jusqu'ici, de défier aussi ouvertement et frontalement le pouvoir en place. Depuis ces dernières années, la rue iranienne est cycliquement secouée par des vagues de manifestations et d'émeutes animées traditionnellement par les étudiants et les cercles des intellectuels proches des réformateurs. Mais jamais la contestation n'a pris une telle ampleur, mobilisant de plus en plus de personnes parmi les partisans du candidat malheureux à l'élection présidentielle, Mir Hossein Moussavi, et donnant lieu à des lectures politiques croisées sur le sens politique à donner à cet accès de fièvre qui s'est emparée de la rue iranienne. Ce qui se passe en Iran a incontestablement pris de court les autorités iraniennes avec, à leur tête, le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, qui avait soutenu quasi ouvertement la candidature de Mahmoud Ahmadinejad. Le fait que l'ancien président réformateur iranien Mohammad Khattami, qui s'est toujours gardé d'apparaître dans l'habit d'un opposant rejoigne la contestation aux côtés des personnalités iraniennes qui ont pris la tête du mouvement de désobéissances renseigne sur le délitement du pouvoir iranien. Parti d'une contestation pour cause de fraude électorale, le mouvement est en passe de prendre des contours de crise de défiance de l'équipe au pouvoir en place, dominée par le clan des ultra-conservateurs. L'ayatollah Ali Khamenei, qui a validé les élections, vient d'être doublement désavoué : d'abord par le Conseil des gardiens de la Constitution (équivalent de la Cour constitutionnelle) qui vient de reconnaître officiellement l'existence d'irrégularités dans le scrutin du 12 juin et, ensuite, par la rue iranienne qui a refusé de répondre à l'appel au calme lancé par Ali Khamenei en poursuivant et en intensifiant les manifestations. C'est la première fois que l'autorité politique et morale du guide spirituel de la République islamique iranienne, qui incarne la source du pouvoir et la volonté du peuple iranien, est ainsi mise à mal, ne fait plus consensus dans la classe politique et ne guide plus, selon toute apparence, les pas des Iraniens comme le démontrent ses interventions qui ne semblent peser d'aucun poids dans la recherche d'une solution à la grave crise de confiance que vit le pays. Les Gardiens de la Révolution, bras armé du régime, viennent, comme à l'accoutumée, de voler au secours du régime en menaçant, dans un communiqué, de réprimer d'une main de fer les manifestants et personnalités qui ont osé braver les interdits et fait voler en éclats la cohésion apparente du régime construite autour du pouvoir incontesté du clergé. Même si le régime iranien est loin d'être aux abois, les autorités iraniennes, déjà bien empêtrées dans la gestion difficile du dossier du nucléaire, ne pourront pas rester longtemps sourdes aux pressions internationales, notamment européennes et américaines, de plus en plus fortes, qui font écho à la rue iranienne pour exiger le respect de la volonté populaire. Une chose est sûre : le doute s'installe désormais à l'intérieur du système sur la légitimité des institutions et de leurs représentants. Le tout est de savoir si la nouvelle opposition née de la cuisse du régime a engagé, avec cette épreuve, une révolution au long cours visant les fondements doctrinaux du régime ou s'il ne s'agit que d'une obscure révolution de palais conduite par des déçus du système et destinée à rééquilibrer les pouvoirs à l'intérieur du même régime.