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Rif, le printemps autonomiste
Publié dans El Watan le 17 - 08 - 2009

Baptisé «bled Siba» par opposition à «bled el makhzen», le Rif, peuplé par les grandes confédérations des tribus berbères du Moyen Atlas, n'ont de cesse de donner du fil à retordre aussi bien au makhzen qu'aux envahisseurs espagnols et français. Non sans subir à chaque fois leurs châtiments les plus barbares. Les plus récents sont l'œuvre de la monarchie alaouite.
En 1984, plusieurs villes du Nord feront les frais d'une répression à grande échelle. Entre 1956 et 1959, le prince Moulay Hassan (futur Hassan II) prendra lui-même la tête d'une expédition punitive contre le rebelles rifains, les «Apaches» comme il les désignait à l'époque. La révolte «républicaine» des Rifains née des purges opérées au lendemain de l'indépendance en 1956 par le parti de l'Istiqlal contre les membres de l'Armée de libération nationale (ALN) est écrasée dans le sang. Le roi donnera l'ordre de bombarder au napalm les villages et les souks des insurgés rifains. Le massacre fera entre 5000 et 8000 morts, selon les données compilées par l'instance Equité et réconciliation, en 2005. Lors de la «guerre du Rif» dérigée par la figure légendaire de Abdelkrim El Khettabi contre les occupants espagnols et français, les armadas mobilisées par les «protecteurs» du sultan chérifien n'avaient pas hésité à asperger de gaz moutarde la population civile et à larguer des bombes toxiques sur les villes et provinces du Moyen Atlas.
Aux XVIIIe et XIXe siècles, d'autres séries d'expéditions ont été dirigées contre le Rif par les sultans alaouites. Le sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah y mènera, en 1766, des razzias.
Moulay Slimane dirigera plusieurs expéditions (1802, 1810, 1812) contre les tribus rifaines qui refusaient de payer l'impôt au makhzen… Région montagneuse pauvre et enclavée, dont la survie dépend notamment de la contrebande avec les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla et de la culture du cannabis, le Rif a vécu dans l'ostracisme du pouvoir central de Rabat pendant le long règne autoritaire du roi Hassan II (1961-1999).
Mohammed VI tente de se racheter auprès ses sujets du troisième type. A son accession au trône, en 1999, Mohammed VI mettra fin à la politique de la «terre brûlée» menée par son père. Dans l'espoir peut-être de faire revenir les Chleuhs du Nord à la maison de l'obéissance. Il fera deux déplacements dans les provinces de Nador et Houceima – une première dans l'histoire du Maroc indépendant – lors desquels le roi distribuera une dizaine de projets structurants : Nador West Med, aéroports, stations touristiques (Saïdia), liaisons ferroviaires… assez pour faire oublier l'idéal incarné dans les années 1920 par Abdelkrim Al Khettabi, fondateur de la république du Rif ? Pas si sûr. Les prétentions autonomistes (ou séparatistes) du Rif font trembler le trône alaouite.
Malgré l'interdiction des partis identitaires, une foultitude d'associations amazighes occupent le terrain politique et prêchent lors de meetings, marches imposantes et séminaires, les vertus de l'autonomie. Surtout que la conjoncture s'y prête. Les militants pour l'autonomie du Rif prennent au mot le roi Mohammed VI, qui proposait dans sa tablette des réformes territoriales une «régionalisation avancée» pour les provinces du Maroc et le statut d'autonomie pour le Sahara occidental.
A Nador, tous ou presque parlent haut et fièrement le tarifit, l'un des dialectes les plus répandus du Rif. Chleuh al az, les «fiers Chleuhs», c'est ainsi qu'on les appelle au Maroc, entretiennent avec leur parler séculaire un rapport fusionnel, quasi mystique. Le tarifit est pour les militants autonomistes la matrice du projet politique. C'est aussi une carte de visite, un «outil de travail» indispensable dans le commerce, les banques. Le Rif est «si vous ne parlez pas le rifain, vous ne saurez faire des affaires. Même les banques exigent la connaissance du tarifit. Sa maîtrise est vraiment indispensable», affirme le directeur de la Chambre de commerce et d'industrie de Nador. Houcine Hamouti, vieux briscard du mouvement amazigh, est convaincu de la justesse de la revendication autonomiste. Les raisons sont d'abord économiques, précise-t-il. Chômage, drogue, contrebande, répression policière… le quotidien des Rifains est loin d'être enviable.
Délaissé par le pouvoir central, le Rif manque cruellement d'investissement public. La zone industrielle de Selouane emploie à peine 3000 personnes alors que la population du Rif dépasse les 3 millions d'âmes.
Paradoxalement, le Rif possède le plus grand nombre de banques du royaume : 400 succursales, soit une banque pour 800 habitants rien qu'à Nador. Le montant des dépôts bancaires dépasse, d'après M. Hamouti, les 3 milliards de dollars. Une manne considérable provenant du trafic de drogue, mais aussi des transferts effectués par les travailleurs émigrés.
Suite à la répression de 1959, des milliers de Rifains ont été forcés à l'exil. «Toutes les richesses du Rif profitent au makhzen. Les ressources minières, halieutiques, forestières doivent désormais revenir aux Rifains», déclare Mohammed Zahid, journaliste au Rif Al Maghrebi. «Le makhzen nous accuse de séparatisme alors même que nos droits les plus élémentaires sont bafoués. Tamazight n'est pas qu'une question qu'on appréhende du seul point de vue culturel ou identitaire. C'est d'abord et avant tout une revendication hautement politique», conclut M. Derghal, le président de l'association Ameziane, qui porte le nom d'un illustre résistant à l'occupation espagnole, précurseur d'Abdelkrim El Khettabi.


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