Il était une fois, un écrivain africain du nom d'Amos Tututola (1920-1997) qui savait comme personne raconter et, surtout, broder des histoires truculentes à la limite de la loufoquerie. Son nom, comme on peut le voir, ressemblait à s'y méprendre à Tusitala, « conteur d'histoires », un surnom donné par les habitants de l'île de Samoa à Robert-Louis Stevenson (1850-1894), auteur de L'Île au trésor et autres récits fantastiques. Il commit, un jour, l'erreur de coucher sur le papier une des ses histoires qui devint aussitôt un bestseller mondial quand on ne parlait pas encore de bestseller. La presse du monde occidental en répercuta l'écho et des traductions furent entreprises un peu partout dans les différentes langues modernes. Même si le grand poète écossais Dylan Thomas (1914-1953) en fit l'éloge dans la presse anglaise, le défaut de Tututola, celui de raconter par écrit, une histoire des ethnies Yoruba, ne lui fut pas pardonné. Du reste, on le devine aisément aujourd'hui, il avait fait fi, indirectement, des commandements de sa propre tribu en faisant usage d'une langue qualifiée alors de « pidgin », un mélange de l'anglais et des dialectes de son pays. En vérité, il y eut surtout de la jalousie de la part de certains de ses concitoyens à son égard, car Tututola était ce qu'il y avait de plus africain dans un pays qui luttait pour se soustraire à l'emprise du colonialisme britannique. En ce début des années cinquante, il fallait être un chamane, un marabout ou encore, un griot reconnu par la société pour pouvoir raconter, dans les normes, une histoire du terroir. Or, Tututola n'en était pas un, mais tout simplement quelqu'un du grand peuple qui aspirait à enjamber la culture orale dominante dans toute l'Afrique pour aller vers celle de l'écrit et de l'image. Il l'a bien démontré par la suite dans ses différents textes littéraires, ses adaptations radiophoniques et théâtrales ainsi que dans ses cours et conférences dans les universités américaines où il a été invité. On connait, de nos jours, la puissance presque démiurgique de ces « fabricants d'histoires ». En effet, il arrive que la vie s'arrête carrément dans telle région du pays tout simplement parce que l'un d'eux a décelé, quelque part dans les entrailles d'une bête, féroce ou domestique, les traces d'un avenir incertain pour toute une société. Et la vie s'arrêtait pour de vrai, au point que la notion d'Etat moderne qui faisait son chemin dans les esprits des africains disparaissait pour un certain temps. En 1952, date de publication de son roman-phare, Un ivrogne dans la brousse, son geste fut donc considéré comme une virée en dehors des frontières de la société nigériane d'autant qu'il s'était permis, comme Ulysse, de s'aventurer dans le royaume des morts, brodant histoire sur histoire pour atteindre son but. Ce même thème devait être repris, quelques années après, par son compatriote, Chinua Achebe, dans son grand roman, Le monde s'effondre, où il est question de rompre avec les pratiques ancestrales de son propre village. Même en totalisant quatre prix Nobel de littérature, Soyinka, Mahfouz, Gordimer et Coetzee, l'Afrique arrive, avec peine, à offrir ses clefs à ses lecteurs qui sont, du reste, très nombreux dans les différentes langues dont elle fait usage. En d'autres termes, elle n'a pas encore dit son mot, en dépit de la somme de travail littéraire qu'elle a accomplie jusqu'ici. Gageons qu'elle saura tenir ses promesses à l'égard de la modernité littéraire qui frappe, chaque jour, à sa porte.