«S'il vous plait M Smith, ne laissez pas Bougy aller au Barça !» Incontestablement, Madjid Bougherra est dans son élément en Grande-Bretagne. C'est la mentalité qui lui convient le mieux, qui le réjouit le plus. Un idéal de vie, made in GB. Et pour cause ! Personne ne le juge pour son teint basané comme il l'avait vécu à maintes reprises en France. Personne ne lui dicte sa conduite de Musulman moderne et cela, Bougherra l'apprécie encore plus. Il est là, à Glasgow, en tant qu'international algérien, adopté et totalement intégré dans ce décor, aux côtés des monuments locaux. Un Ranger parmi tous les autres, aimé, choyé et respecté même par les supporteurs ennemis du Celtic. C'est cela sans doute qui l'a libéré de la sorte et qui l'a aidé à étaler au grand jour, les beaux secrets des tours de magie qu'il distille dans les cœurs de ses nombreux fans qui l'ont surnommé à juste titre «Magic» ! Un musée de Bougherra et du sport Avant notre arrivée à Glasgow, Madjid nous a promis de nous changer de décor, par rapport aux précédents reportages qu'on a réalisés sur lui dans cette ville. «Je vais vous emmener chez mon meilleur coiffeur ! Un ami Algérien chez qui je me rends habituellement, la veille de chaque match. C'est un moment incontournable», nous dit-il avec le sourire. Quelques minutes plus loin, au bord de son véhicule, le voilà qui se gare en face du «Yorkhill Barber», au rideau à moitié baissé, comme pour signifier que c'est closed. Madjid est le premier à avancer et nous nous laissons guider dans cette petite merveille aux allures de museum of Bougy and sport. En effet, d'entrée on est frappé par l'abondance de drapeaux d'Algérie, ornant les murs, mais aussi par les photos et maillots de l'international algérien des Rangers. Bougherra est partout, surtout lorsqu'il se déploie dans ce petit espace qu'il rend encore plus sympathique. Son maillot aux côtés de celui de McGeady du Celtic de… Kouba ! Walid Chegra, le propriétaire, est un ancien de la ghorba parti se faire une place comme tant d'autres de ses amis du quartier de Kouba dont on reconnaît les couleurs sur le maillot 46, signé par McGeady, l'emblématique joueur du Celtic, accroché aux côtés de celui du numéro 24 de Madjid, portant la dédicace si précieuse : «For my first goal in CL. Its for u Walid !» Oui, c'est à lui que Bougherra a offert le maillot avec lequel il avait marqué son premier but en Ligue des champions ! Beau témoignage de leur amitié commune et manifestement sincère, qui a pour lien l'amour de l'Algérie. C'est d'ailleurs cela qu'on remarque le plus dans ce salon de coiffure qui respire le bled à pleins poumons. Il y avait en plus de notre présence remarquée, celle de Malek Chegra, pâtissier de son état, venu passer quelques jours de vacances chez son frère Walid, à Glasgow, et découvrir de ses propres yeux cette amitié solide qui lie Bougherra à son frangin et dont ce dernier lui relatait souvent au téléphone. Chez Walid, le meilleur coiffeur du monde ! Madjid, une sucette dans la bouche, s'installe de lui-même sur le siège habituel et Walid l'enveloppe de la cape pour commencer la coupe, dans une ambiance très agréable. L'instant est si particulier qu'on ne veut pas rater de l'immortaliser. «Attendez d'abord qu'il me fasse une tête plus photogénique avant de prendre des photos», nous lance Bougherra en plaisantant. Mais où serait le charme si on manquait de montrer la réalité d'un homme aussi vrai, aussi authentique que Bougherra ! Les flashs n'ont pas attendu la fin pour commencer à cliqueter au grand bonheur des présents qui découvraient la simplicité de la star. «Je ne connais pas beaucoup de joueurs de son niveau qui accepterait de se laisser prendre en photos dans cette tenue. Ça se voit qu'il est très humble, malgré ce qu'il représente», nous chuchote Malek tout étonné d'assister à cette scène inédite que lui a racontée son frère à maintes reprises. Il a de quoi raconter à ses potes au bled à son retour ! Il demande à son coiffeur de s'asseoir pour le coiffer ! Une demi-heure plus tard, Walid demande à son client son avis sur le résultat. «La Coupe d'Ecosse est gagnée ! » lui lance-t-on dans un rire général. Aussitôt levé, Madjid demande à son coiffeur de s'asseoir pour lui faire une coupe à son tour. La scène est vite immortalisée par le flash de notre appareil photo, dans une ambiance bon enfant. Puis, le joueur se dirige vers la caisse pour payer son coiffeur qui s'éloigne, laissant le soin à son client de régler par carte bancaire. «Si ça ne tenait qu'à moi, je ne prendrai pas un centime de Madjid, mais c'est lui qui insiste à chaque fois. Le fait qu'il m'ait fait confiance est déjà un grand honneur pour moi. Il n'a pas à payer sa coupe, mais on ne peut pas le convaincre du contraire. Il a toujours insisté pour me payer !» nous confie Walid visiblement gêné par la situation, avant de poursuivre. «Il nous ramène des billets d'entrée pour voir ses matchs, il me donne souvent ses maillots les plus importants et il me donne aussi une amitié sincère qui le grandit toujours un peu plus à mes yeux. Avec tout cela, il ne veut pas que je lui fasse des coupes gratuites !», ajoute Walid d'un air admiratif. L'imitation a dépassé le vrai Puma ! Madjid sait ce qui l'attend à chaque fois que la coiffure est terminée et Walid lui sort déjà les sacs de l'arrière-boutique que l'international algérien ouvre de lui-même pour sortir des maillots, des drapeaux et des objets divers à signer. Commence alors une séance de dédicaces longue d'au moins une dizaine de minutes. On a compté environs une trentaine d'objets divers, entre faux maillots Puma de l'Equipe nationale, brassard, bonnets et autres, aux couleurs de l'Algérie. L'imitation a dépassé le vrai ! En effet, les contrebandiers ont pensé à tout. Tout est floqué de la marque Puma, nouveau sponsor des Verts, mais tout est faux en même temps. Mais a-t-il le droit de les signer ? «Vous savez, il ne se pose pas ce genre de questions. On est dans un lieu non officiel. Il veut juste faire plaisir à ses compatriotes. Il ne se prend pas la tête avec le règlement», répond à sa place son ami. Bougherra rectifie son nom sur les faux maillots Puma de l'EN ! Le joueur algérien ne rate pas de faire une remarque sur les gens qui écorchent son patronyme. «Il y en a qui l'écrive Bouguerra, d'autres Bougerra et encore pire, Bougarra comme sur ce maillot», a rigolé Madjid en demandant de l'aide autour de lui pour le signer. Il se permettra même de corriger son nom de famille en acceptant de se faire prendre en photo, «afin que tout le monde l'écrive comme il se doit», nous dit-il en souriant. Il prendra ensuite les photos une à une, pour les dédicacer aux prénoms que Walid lui dictait. «Tous ceux qui savent que c'est mon ami m'envoient quelque chose pour la faire signer par Madjid. Je ne sais pas refuser et lui non plus. C'est pour cela qu'on se retrouve avec ces punitions à chaque fois qu'il vient», rigole-t-il. «L'EN va pousser les émigrés à rentrer au pays pour vivre ces moments de bonheur avec le peuple !» A la fin de la séance, Madjid a invité Walid et son frère à nous suivre dans leur voiture pour aller dîner ensemble «chez le meilleur restaurateur de Glasgow ! Il s'appelle Hamid Ameur. C'est un Algérien aussi. Il est adorable, vous allez voir», nous dit Bougherra en démarrant son véhicule. Quelques minutes plus loin, nous voilà devant la belle enseigne du restaurant italien Amalfi. Hamid est déjà à l'accueil. Un décor sobre, mais très classe, avec de belles serveuses à l'accent russe. D'autres amis nous ont rejoints sur les lieux. Khaled et Kheireddine, tous deux Algériens. L'ambiance est très intimiste et la soirée passera de manière très agréable. On parlera beaucoup de Bougy et de sa réputation à Glasgow, du souhait de le voir aller jouer au Barça, mais aussi de l'itinéraire de chacun de ces émigrés qui ressentent encore plus le besoin de rentrer au bled, lorsque l'Equipe nationale gagne ses matchs et fait sortir le pays entier dans la rue. «Dans ces moments, on a tous envie de rentrer en Algérie pour vivre avec nos proches. C'est peut-être les footballeurs qui vont réaliser le rêve des émigrés qui est d'investir enfin chez soi», nous dit Hamid avec des yeux rêveurs. «N'est-ce pas un être à part ?» nous dit son ami Hamid C'est Hamid Ameur qui connaît peut-être le mieux Madjid Bougherra à Glasgow. «Il vient souvent manger chez moi. Mais il a toujours cette manie de vouloir payer ses repas, ainsi que ceux de ses invités. Il va tout droit à la caisse et règle avec sa carte bancaire, sans me laisser aucune chance de négocier le prix», rigole-t-il avant de poursuivre. «Il est d'une générosité incroyable. Je pourrais vous raconter des dizaines d'histoires à ce sujet, mais je sais qu'il veut toujours rester discret. Il ne fait pas cela pour qu'on dise de lui qu'il l'a fait. Il le fait par bonté de l'âme, pour Allah ! Pour aider les gens tout simplement.» Hamid pourrait parler des heures et des heures de son ami Madjid, sans se lasser, mais ce qui l'a marqué le plus dans cette amitié, c'est un message particulièrement touchant que lui avait envoyé Bougherra d'Angola, pendant la CAN. Il avait un peu hésité à nous le montrer, puis il finit par se décider. Il s'agit en fait d'un SMS dans lequel Madjid s'est rappelé de leur amitié. «Il avait tous les soucis du monde dans cette CAN, mais il a trouvé le temps pour me dire que je lui manquais ! N'est-ce pas un être à part ?», nous dit Hamid encore émerveillé par tant de sincérité. «Excusez-moi, mais je suis dans le vestiaire !» Bougherra est en fait comme cela. Lorsqu'il veut se concentrer sur un match important, il se met à se rappeler ses amis et proches et leur envoie des messages. Cela, nous l'avons remarqué nous-mêmes, le lendemain, après qu'il nous ait accordé cette longue interview, dans laquelle Madjid a été sincère et profond. En effet, on était dans le train qui nous emmenait à Motherwelle pour voir un match des Rangers, lorsque nous reçûmes un SMS de la part de Bougherra qui voulait rectifier un passage de ses déclarations de la veille. Au bout de deux SMS reçus, nous décidâmes de l'appeler, histoire de le rassurer qu'on allait bien tenir compte de ses remarques. C'est là que Madjid nous répondit d'une voix très basse pour nous dire : «Excusez-moi, je ne peux pas vous parler, car je suis dans le vestiaire !» C'est du Bougy tout craché ! Il est en pleine concentration avec l'ensemble de son équipe et il trouve le moyen de se rappeler des autres et de leur envoyer des messages. Sacré Bougy ! «Venez me voir jouer à Motherwell, c'est un match de sebbat !» Les Britanniques se trompent rarement lorsqu'ils donnent un surnom à quelqu'un. Et ce n'est pas par hasard que Madjid s'est transformé en Magic. Car à le voir sur le terrain, on est forcément séduit par son style de jeu et sa clairvoyance. Et chacune de ses interventions est suivie de l'habituel «Bougy ! Bougy !» qui l'incitent à aller de l'avant un peu plus. Notamment sur les balles arrêtées. Nous l'avons vécu de l'intérieur, au stade de Motherwell, où Bougherra nous avait réservé une place pour le suivre. «Ce sera une match de sabbat (chaussures) ! Venez voir les vrais duels du championnat d'Ecosse. Vous n'allez pas le regretter», a-t-il insisté. Un stade qui ressemble à celui de Zioui, mais sans les bâtiments ! Ce qu'on a fait volontiers. Arrivé sur place, on découvre un stade qui ressemble à s'y méprendre à celui de Zioui, mais sans les bâtiments au- dessus. La charpente métallique aidant, le bruit des supporteurs était amplifié à tel point que les joueurs entendaient pratiquement chaque insulte qui fusait des quatre coins du terrain. Car les Ecossais ne se gênent pas d'adresser leurs «f… » à chaque fois qu'une action leur déplaît, s'insultant à distance à l'envi. Le match s'est terminé sur le score de 1-1, qui arrangeait plutôt les affaires des Rangers et Bougherra a été une fois de plus impérial. A chaque balle arrêtée, le public scandait l'inévitable «Bougy ! Bougy !» dans l'espoir de le voir marquer de la tête. Des supporteurs des Rangers posent avec le drapeau algérien Dans les tribunes, nous rencontrâmes ses amis algériens à qui Bougherra avait offert des invitations comme d'habitude. On reconnaîtra Khaled Messaoudi, entraîneur-adjoint à l'Academy Jimmy Johnson, du nom de l'ancien joueur du Celtic, qui a sollicité Bougherra pour aller passer quelques heures avec ses joueurs, Kheireddine Chir (cousin de l'artiste algérien Djamel Chir) et les frères Chegra Walid et Malek. Rien qu'à eux seuls, ces Algériens avaient enflammé la tribune, signalant leur présence grâce à un beau drapeau algérien étalé «pour que Madjid sache qu'il n'est pas le seul Algérien dans le stade», comme nous l'a dit Khaled. C'est ce dernier qui a invité des supporteurs écossais à poser pour nous avec le drapeau algérien à la mi-temps, en scandant tous leur «Bougy ! Bougy» habituel. Les supporteurs des Rangers étaient ravis de la présence des Algériens, comme en témoigne le geste de cette dame qui nous a enveloppés avec une écharpe des Rangers. Un Algérien ramène ses enfants et sa femme pour voir Bougherra A la fin du match, Bougherra s'est tourné vers le drapeau algérien pour nous inviter à le retrouver à la sortie des joueurs. Le temps de prendre sa douche et de remettre son beau costume, l'international algérien est venu à notre rencontre pour d'autres photos souvenirs aux côtés de ses nombreux fans, parmi lesquels on remarquait la présence d'un père de famille algérien, venu avec sa femme écossaise et leurs deux bébés, malgré le froid de canard qui sévissait ce soir à Motherwell. «Je regardais le match à la télé, puis comme je n'habite pas loin, j'ai dit à mon épouse de se préparer pour aller rencontrer Madjid Bougherra. Et nous voilà avec lui, qui prend mes enfants dans ses bras pour nous faire cet honneur !» «S'il vous plaît M Smith, ne laissez pas Bougy aller au Barça !» Par la suite, nous assistâmes à une scène des plus rigolotes dont l'auteur n'était autre que Khaled Messaoudi qui s'était mis en face du bus des Rangers pour lancer en direction de Walter Smith, le coach de Madjid qui le regardait hilare : «Please, mister Walter Smith, don't let Bougy leave the Rangers !» (s'il vous plaît M. Smith, ne laissez pas Bougherra quitter les Rangers !) Toujours avec un accent parfait, Khaled enchaînât : «M. Smith, faites-nous la promesse de prolonger le contrat de Bougy la saison prochaine et les années d'après ! Faites-nous la promesse de ne pas le laisser partir même au Barça !» Les présents étaient pliés de rire et c'est dans cette ambiance que Madjid Bougherra nous salua avec un large sourire, une dernière fois depuis le bus, où ses coéquipiers le chambraient déjà pour ce qu'il venait de vivre avec ses très sympathiques compatriotes. De notre envoyé spécial à Glasgow : Nacym Djender