«Machahou…», «Hadji'tkoum, madjitkoum…», «Kan ya ma kan…», «Il était une fois…». Qui des enfants d'aujourd'hui a, un jour, entendu cette formule dans la bouche d'une grand-mère s'entourant de ses petits-enfants pour leur conter une histoire fantastique qui a traversé le temps et s'est gravée dans sa mémoire ? Pis, y a-t-il encore des grands-mères qui racontent des histoires ? Qui de nos chérubins connaît Kalila wa dimna, Alf lila wa lila (les Mille et Une Nuits), les Fables de la Fontaine, les contes des frères Grimm ou d'Andersen ?Pourtant, il n'y a pas une région où, sollicités, des vieux ne pourraient dépoussiérer leur mémoire pour y retrouver un conte -qui peut d'ailleurs ressembler à un autre conte d'une autre région, voire d'un autre pays-, qu'on leur a raconté quand ils étaient petits. Au Nord, au Sud, dans les montagnes, dans les villes, qui ont également leurs légendes urbaines, en Afrique, en Asie, en Europe ou en Amérique, les peuples ont tous des histoires que le bouche-à-oreille a véhiculées depuis des siècles.Avec son monde réel qui, souvent, croise l'irréel (ogres, magiciens, sorcières, fées, animaux surnaturels…), le conte est un récit raconté à l'oral. Le conteur met en scène l'histoire, interprète ses différents personnages et mime leurs gestes et leurs expressions. C'est un art oratoire, un spectacle, dans lequel nos aïeuls excellaient sans être même passé par une scène ou une école. Et ils avaient leur auditoire, restreint quand il est familial et élargi quand ils pratiquaient leur art comme aède, griot, meddah… dans les marchés et sur les places publiques. Ludique, le conte est conçu pour distraire les enfants, et les adultes. Mais il garde une dimension pédagogique et énonce toujours une morale.La société algérienne, comme toutes les autres, a ses contes et légendes que l'oralité a portées et que des mémoires vacillantes ont préservées. C'est un patrimoine immatériel qui risque de disparaître si ces mémoires ne sont pas supplantées par des supports tangibles. Mais pas seulement. Car, quand le conte est transcrit, il devient un genre littéraire où les actions sont racontées, et perd de ce fait son côté spectacle où les actions sont représentées comme au théâtre. Quand des écrivains réécrivent des contes, ils «figent ces histoires dans une version donnée, et les transforment en objets appartenant au domaine de la littérature écrite. Cela amène les écrivains à se détacher peu à peu des sujets, des structures et des thèmes des contes oraux dont ils s'inspirent», soutiennent des socio-anthropologues.Idem pour le cinéma qui, ces dernières années, a trouvé dans ce patrimoine un filon à exploiter. Et ça marche très bien. C'est ainsi que les enfants d'aujourd'hui ont découvert en films d'animation et/ou de fiction la Princesse Schéhérazade, Aladin et la lampe merveilleuse, Ali Baba et les quarante voleurs et bien d'autres contes. Mais ça ne sera que des bouts d'œuvre et il y a fort à parier qu'ils sont rares à savoir que l'histoire qu'ils regardent est tirée des Mille et Une Nuits, des contes des frères Grimm ou d'Andersen. Il en serait de même pour nos enfants si notre cinéma était productif et qu'il mette sur pellicule l'histoire de Thériel l'ogresse, la Vache des orphelins, Elias le géant et son frère, le Grain magique, et tant d'autres histoires qui n'attendent que d'être collectées et préservées, non pas sur papier ou film seulement, mais surtout en tant qu'art du spectacle. Il s'agira donc de former des conteurs et/ou d'encourager l'action des rares conteurs qui existent. Il y a des associations qui travaillent dans ce sens. Faute de former, un coup de pouce de la part de ceux qui serrent les cordons de la bourse aiderait ces associations à redonner aux contes et aux conteurs une seconde vie, pour le plus grand plaisir de nos enfants qui découvriront que les belles histoires ne sont pas seulement sur DVD, mais aussi dans la bouche d'un conteur ou dans les pages d'un livre. N'est-ce pas un objectif capital à viser et à atteindre ? H. G.