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Comment les émigrés bouleversent l'économie locale
Publié dans El Watan le 26 - 06 - 2009

« Je passe des vacances sans me priver de rien ! Restaurant, hôtel, plage… Même si je passe la majorité de mon temps chez ma grand-mère et mes tantes, je dépense environ 100 000 DA, ce qui est pour moi le tiers de mon salaire en France ! » Quand il revient en vacances à Alger, Hakim, 36 ans, commerçant à Paris, ne compte pas son argent.
Ni pour lui, ni pour sa femme qui en profite pour acheter des cadeaux pour la famille et les amies de France, encore moins pour ses enfants qu'il emmène presque tous les jours à la piscine. A l'aéroport d'Alger, c'est déjà le rush. Avions complets, bagages prêts à exploser, familles au grand complet… Comme tous les étés, revoilà les « zmegra » et leurs euros. Mais il n'existe pour l'instant aucun chiffre officiel, ni sur leur nombre réel (dixit l'Office national des statistiques), ni sur le budget qu'ils dépensent pendant leurs vacances. « Car le phénomène est trop récent, les émigrés ne revenant en Algérie en vacances que depuis les années 2000 », souligne Mourad Ouchichi, professeur d'économie à l'université de Béjaïa. « Sur la côte, certains commerçants voient leur chiffre d'affaires augmenter de 50 à 60%, témoigne Mohamed Boulaïnine, membre de l'Union générale des commerçants et artisans algériens, à Sétif.
L'artisanat marche par exemple de mieux en mieux. L'an dernier à Azazga et à Tizi Ouzou, je me souviens de pénuries chez certains artisans ! » Farida, mère et grand-mère de 60 ans, émigrée à Paris depuis plus de trente ans, confie : « Il y a certains articles que je préfère acheter en Algérie car ça me revient moins cher, surtout depuis la crise financière. Par exemple, j'ai acheté un pétrin à 30 000 DA en Algérie, car l'électroménager en France revient beaucoup plus cher. » Et d'ajouter : « Idem pour les vêtements et les chaussures, certes imitées mais à moitié prix par rapport aux italiennes et françaises produites avec du véritable cuir et autres matières qui rendent leur prix excessif ! J'ai même acheté une série de couverts d'orfèvrerie à 18 000 DA il y a quelques années, alors que je ne rêve même pas de me le payer en France. » Soraya, de Paris, renouvelle, quant à elle, « tous les accessoires de la voiture comme les housses, les tapis et même le parasoleil ! Au souk, tout est disponible à des prix accessibles ». Rideaux, draps, couvertures, téléphones portables…
Les Algériens du Canada ont les mêmes habitudes, à une exception près : personne ne ramène de nourriture, transport oblige, à l'exception… du couscous et de l'huile d'olive. Pour Farida, dont la fille se marie cet été, les vacances en Algérie sont une véritable aubaine : « J'ai acheté de belles assiettes à dessert avec couleurs et ornements différents. On en trouve de 6 DA à 300 DA ; du coup, je peux me permettre les plus chères ! Pour les tenues de mariage, nous avons aussi pratiquement tout acheté en Algérie, excepté les produits cosmétiques et les sous-vêtements. »
Les émigrés ont davantage d'argent et les propriétaires de biens immobiliers le savent bien. « Certains augmentent leurs prix jusqu'à 50%, relève un agent immobilier d'Alger Centre. Pour un F3, il faut compter au moins 80 000 DA, pour un studio de 30 mètres carrés, 50 000 DA. C'est vrai, depuis au moins un an et demi, nous avons davantage de demandes de locations saisonnière de meublés. Essentiellement des émigrés avec des enfants qui ne veulent pas imposer trop de frais à la famille ou éviter les frictions. » A Béjaïa, où la pression sur le marché immobilier n'est pas simplement due aux vacanciers qui rentrent mais à la popularité de la ville depuis les années 1990, la location saisonnière représenterait une solution « plutôt pour les émigrés de la deuxième génération et les enfants, c'est-à-dire les Français d'origine algérienne, qui ne vont voir la grand-mère qu'un jour ou deux et prennent un appartement le temps de leur séjour », note-t-on à notre bureau. Les seuls à ne pas louer sont les Algériens du Canada, dont la durée moyenne de séjour toujours dans la famille avoisine les quarante jours.
Leur budget : 5000 dollars canadiens pour une famille avec deux enfants, hors billet d'avion. Une somme qu'ils dépensent entre autres pour les soins. A Montréal, un Algérien confirme : « Les soins chez nous sont trop chers alors tout le monde se soigne en Algérie, y compris pour tout ce qui est chirurgical quand les médecins québécois ne parviennent pas à guérir quelque chose… Ce qui arrive souvent ! » Chafika habite à Londres. Pour elle, se soigner en Algérie revient moins cher qu'en Grande-Bretagne. « Je trouve que les médecins algériens n'ont rien à envier à ceux des pays développés. Les prix sont plus abordables et certaines cliniques et hôpitaux sont vraiment bien équipés. » Naziha, 40 ans, jeune mariée résidente à Paris, confie attendre sa venue en Algérie pour sa visite chez le gynécologue : « Cela me permet d'avoir un avis de plus et d'économiser les frais des différents examens tels que l'échographie. » Nadir, 40 ans, installé à Paris depuis dix ans, reconnaît aussi : « Je me soigne en Algérie, car c'est beaucoup moins cher. Je me suis refait une dent en céramique qui m'a coûté 20 000 DA il y a trois ans. Si je l'avais fait en France, cela m'aurait coûté les yeux de la tête ! » Et ce n'est pas Mohamed Berkane, président de la Section ordinale régionale des chirurgiens-dentistes d'Alger, qui le contredira : « Chaque été, nous sommes bousculés par les émigrés qui ne viennent que pour un mois et sont pris par le temps, relève-t-il. Les émigrés, en particulier ceux installés en France, et même leurs conjoints s'ils sont étrangers, profitent de leurs vacances pour se faire faire des soins chirurgicaux. Car les implants ici coûtent en moyenne 50% moins cher qu'à l'étranger… »
L. T. , Mélanie Matarese, N. O., Samir Ben


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