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Partir ou ne pas partir en vacances
Entre Deux Chameaux et Eurodisney
Publié dans El Watan le 11 - 08 - 2004

On dit de la musique qu'elle adoucit les mœurs. C'est qu'elle doit s'entendre avec les vacances qui, eux, rafraîchissent les esprits.
Des esprits, des âmes, des cerveaux encombrés d'une année de dur labeur et qui trouvent, pendant quelques jours, le repos. Etudiant, cadre ou simple salarié comptent les jours avant de prendre leur congé. Fin mai, on se prend un quart d'heure à rêvasser sur la manière de passer ses vacances. En juin, petite réunion matinale entre collègues pour conter les évasions projetées. Mais c'est en chiens de faïence qu'on se regarde fin juin, quand tout le monde s'est précipité pour demander à partir en août. C'est le traditionnel préliminaire de la « mise en dispo » que rencontre tout Algérien quel que soit son lieu de travail. Une fois en vacances, certains voyagent à l'étranger ou à l'intérieur du pays. D'autres n'ont pas la chance de s'aventurer dans des contrées inconnues. Des années 1970 à nos jours, la société a changé et les vacances se sont greffées aux finances de chacun. La dévaluation du dinar y est pour beaucoup, réservant ainsi les « départs en vacances » aux plus aisés. L'éclatement familial est une autre cause expliquant « l'immobilisme estival ». Les vacances étaient toujours l'occasion d'envoyer les enfants chez une tante ou un oncle qui vit au bord de l'eau. Aujourd'hui, la diminution du pouvoir d'achat aidant, les familles ont des scrupules à charger leur entourage de leurs bambins. Ici, six personnes « racontent » leurs vacances. Elles résident toutes à Alger et sont d'âge et de catégorie socioprofessionelle différents. A défaut de paraître cliché, elles ont le mérite de parler d'elles-mêmes, mettant de côté pudeur et tabou. « Toute ressemblance avec les personnages de l'histoire est fortuite... »
Quand vacances rimeNT avec débrouille
C'est dans l'exiguïté que vit la famille F. Dans un F3, il y a la matriarche, sa fille et son fils, tous mariés. Seule, la fille R. a quatre jolies jeunes filles dont la plus jeune a 7 ans. La famille se débrouille avec 12 000 DA par mois et compose tous les jours pour joindre les deux bouts. « C'est quoi pour toi les vacances ? », hasardai-je. « C'est généralement la galère. Les gosses sont à la maison et ils n'ont nulle part où aller ». La petite N., 7 ans, semble s'être attribuée un camp de vacances : entre le premier et le deuxième étage. La cage d'escalier constitue, entre deux intermèdes, l'endroit rêvé où jouer à la poupée. « Pour les plus âgées, c'est difficile. Leur père ne leur permet pas toujours de sortir et elles se retrouvent confinées dans une pièce à regarder la télé », reprend la mère. Entre couture et confection de vêtements, disputes et réconciliations, elles tangueront rêveusement jusqu'à la rentrée scolaire. Le budget vacances : du fil et des aiguilles, mais également du tissu et de la peinture pour maquiller les futures nappes du trousseau. Des magazines pour avoir quelques modèles et entretenir les discussions. Simplettes ces vacances ? Peut-être. Mais chaleureuses.
Le pécule d'une vie de travail
« Mon pèlerinage c'est à Paris », dira M. B., à la retraite. Les enfants sont grands, les petits enfants trop petits, c'est l'occasion idoine de se ressourcer à deux dans la capitale de l'amour. « Durant les années de terrorisme, il était difficile de partir en vacances à l'étranger », souligne-t-il. S'il est vrai que financièrement ce n'était pas facile de joindre les deux bouts, la difficulté résidait dans le fait de s'arracher des siens qui, eux, n'étaient pas en sécurité. Dans l'effroi, la peur des bombes et des attentats en tous genres, on préfère rester unis. Mais les voyages ont repris, même si cette année ils n'ont voyagé qu'en hiver. L'obligation de l'assurance maladie imposée par les pays européens ne semble pas constituer un frein. « On en profite pour se reposer, mais aussi pour faire quelques courses et gâter les enfants », explique M. B. Pour ce couple à la retraite, les vacances ce n'est pas la mer et le sable ni même le soleil. C'est le besoin de se replonger dans quelques souvenirs, de retrouver des amis étrangers ou les voisins qui ont émigré. « Nous passons notre temps, fort agréablement soit dit en passant, à manger au restaurant, à cultiver notre palais de saveurs différentes. Puis nous marchons beaucoup. On déambule d'une rue à une autre en faisant du lèche-vitrines » raconte-t-il. Mais le périple ne s'arrête pas là. « Nous descendons ensuite dans le sud de la France pour finir à Marseille. Marseille, c'est un peu comme chez nous », commente M. B. « C'est une vision futuriste de ce que pourrait devenir Alger », ajoute-t-il
Ichem de Bab El Oued
18 ans à peine. Ichem attend les résultats du bac entre deux baignades à St Eugène. Les« Deux chameaux » est l'endroit idéal pour les jeunes de son âge qui n'ont ni les moyens ni le transport pour poser leur serviette sur des plages prisées. Même si le soir, on s'enduit d'huile d'olive pour retirer les épines d'oursins incrustées aux pieds, les Deux Chameaux connaît une affluence qui n'a rien à envier aux autres plages du littoral. « On s'amuse à monter sur les rochers (qui ressemblent à des bosses de chameau) pour piquer du nez ou faire des acrobaties en plongeant », commente Ichem. On s'exerce tout jeune à ce genre de pratique et déjà les fortes têtes du quartier se distinguent par leur témérité. Dangereux ? Peut-être. Mais de tout temps les Deux Chameaux constitue un mode de sélection des chefs de bande. Quand on est trouillard, on apprend vite à se dominer pour ne pas être ridicule devant les copains de l'école qui se retrouvent sur la plage rocailleuse. « Y a pas de filles ici, c'est pas un endroit pour elles et de toute façon ça ne les amuserait pas », complète ce gringalet d'un mètre soixante-dix et qui commence juste à manier l'art du rasoir. Si le prétexte de l'argent est souvent mis en avant par les jeunes du coin pour expliquer la fréquentation de cette plage sans prétention, d'autres motivations existent et ne sont formulées qu'à demi-mot. Trop jeunes pour s'intéresser ouvertement aux filles, on préfère se retrouver dans une ambiance masculine, constituée majoritairement de jeunes du coin. La notion de groupe a son importance à cet âge-là et la peur de « l'étranger » est encore difficilement maîtrisable. Un budget pour les vacances ? Pour quoi faire, le sandwich, c'est maman qui le prépare et pas besoin de crème solaire quand on est...un homme.
En orbite, les plus aisés
Tous deux médecins spécialistes, ils ne manquent pas un été sans s'établir dans les hôtels de Paris. C3 et Polo resteront au garage le temps du congé pour permettre aux propriétaires d'échapper aux bouchons algérois. Les enfants, scolarisés dans des quartiers huppés, ont bien mérité leurs vacances à l'étranger. « J'en ai marre des musées », hasardera le petit Mehdi comme pour signifier qu'il serait mieux sous les tropiques de Sidi-Fredj. Sourde aux appels du fils, la mère a déjà programmé les vacances qui n'ont rien à envier au « guide Michelin ». Musée, monuments, boutiques et quelques manèges pour faire plaisir aux enfants. Le plus grand, Toufik, apprécie quant à lui Eurodisney et n'est pas las d'y retourner. « On ne peut pas dire qu'on se repose beaucoup en vacances surtout lorsque les enfants sont encore jeunes. Et il y a tellement de choses à voir et à faire, qu'on ne veut pas perdre notre temps à l'hôtel », confie la mère. Partir à l'étranger n'est pas la condition sine qua non pour passer de bonnes vacances. « Lorsqu'on se renseigne sur les prix pratiqués dans les clubs algériens comme à Béjaïa ou ailleurs, on s'aperçoit que c'est l'équivalent d'un budget vacances à l'étranger. Et puis, nous ne sommes pas particulièrement pour la mer même si cela amuse les enfants. Soit il faut partir loin et dans ce cas on se fatigue énormément sur la route, soit on reste sur les côtes algéroises mais alors, attention les saletés », raconte Mme R. A. Combien évaluent-ils leur budget vacances ? Un grand sourire pour toute réponse.


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