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«Le chaâbi marque le pas mais ne mourra pas…»
Publié dans El Watan le 25 - 09 - 2009

«La bonne musique ne se trompe pas, et va droit au fond de l'âme
chercher le chagrin qui nous dévore.»
Stendhal
La musique ne l'a jamais laissé indifférent. Elle a trop collé à son destin qu'il assume d'ailleurs avec élégance. A 90 ans, il garde sa verve juvénile, son franc parler agrémenté d'une forme d'humour pudique et bienveillant qui lui permet, quand il veut couper court aux indiscrétions, de se retirer derrière l'armure de sa constante bonne éducation. Son violon
d'Ingres ? Le banjo dont il est passé maître. C'est le meilleur «bonjoïste» de tous les temps. Hadj El Anka ne s'y est pas trompé, qui aura été parmi les premiers à inclure à travers ce virtuose cet instrument dans son orchestre. El Hadj, dans sa recherche de l'harmonie instrumentale absolue, s'était aperçu que les sons du banjo et du mandole étaient faits pour s'entendre.
Ce mariage, insiste-t-on, n'a pu se réaliser qu'avec des musiciens d'accompagnement qui avaient le don de maîtriser à la fois la rigueur musicale et les subtilités de l'improvisation. «L'interprète du chaâbi, instinctif ,est entraîné malgré lui à surfer sur le quart de note pour aller fouiller au plus profond des variations», relève un musicologue.
En accompagnant le grand maître du chaâbi, cheikh Namous a sans doute grandement contribué à l'essor de ce genre musical. Cheikh Namous ? Pourquoi un gars si attachant, si agréable a-t-il été affublé d'un tel sobriquet ? Dans sa modeste demeure à la cité Diar El Djemaâ d'El Harrach où il nous reçoit, le musicien se doutait qu'on allait lui poser cette question. «C'est quelqu'un de mon quartier, un certain Benyahia, parti par la suite en France, qui m'a accolé ce surnom. Peut-être parce que j'aimais plaisanter. Depuis, on ne me connaît que sous ce nom. Je me suis battu pour m'en débarrasser, en vain. Après tout, me suis-je dit, il y a Rezki Chitane, c'est plus dévalorisant, non ? Cela dit, ‘‘Namous'' m'a causé des problèmes. Un jour, j'allais enregistrer à la station de la Radio à la rue Hoche. Quelqu'un est venu m'importuner en clamant et en ironisant sur mon surnom. Une bagarre éclata. Dahaoui, l'un des responsables de la radio, a vu la scène. Il me rassura : ‘‘Ne t'en fais pas. Ce surnom n'est pas une injure, lorsqu'il déferlait dans une contrée, Sidna Djabraïl et ses troupes se faisaient aussi appeler Namous.'' Depuis, je me suis accommodé et je ne me sens pas plus mal», reconnaît-il avec une pointe d'humour.
Né pour la musique
Plus sérieusement, Namous à l'état civil est Mohamed Rachidi, né le 14 mai 1920 à La Haute Casbah. Il «descend» à Zoudj Ayoune, fait l'école Sarouy puis celle de Rampe Vallée où il décroche son certificat d'études en 1933. Il a quitté les bancs de l'école pour le monde du travail. Il exerce comme livreur chez Baranès. Les fins de journée, il les passait au café du quartier. «Et là, Mustapha Lavigerie, qui jouait fort bien de la guitare, me disait : ‘‘Ched el mizan y a djedek'', et moi, tout ouïe, je m'amusais à taper sur la table avec mes mains. Je me suis payé un gumbri à 20 F. C'est comme ça que je suis entré dans le monde de la musique», se souvient-il en évoquant les réticences de son paternel qui a fini par s'y faire.
Comme il n'était pas bien rémunéré, il quitte la livraison pour le métier de receveur de bus au sein de la société Lambrosi. «On faisait la ligne Alger-Béjaïa-Skikda-Constantine, puis Batna-Biskra avec retour sur Alger par Bou Saâda. On gagnait 20 F par jour.» La Seconde Guerre mondiale a mis un terme à cette aventure avec la réquisition de tous les bus. Namous est recruté comme bagagiste chez Air France. Ses économies lui permettent de se payer un banjo à 400 F. «Avec cet instrument, j'ai pu me frayer une place dans l'orchestre de Abderrahmane Sridek, mais l'apothéose aura été sans doute ma rencontre avec El Hadj El Anka. Je me trouvais du côté de Bab J'did, au café de Omar Boukas. Quelqu'un jouait de la guitare, et à qui j'ai arrangé les cordes en osant quelques airs fort appréciés. El Hadj qui passait par-là a été informé. ‘‘Nous avons un jeune qui a une belle plume'', lui avait-on annoncé. Il ne m'a pas oublié, puisque je me suis retrouvé avec lui lors d'une soirée à Koléa au début des années 1940. Ce jour-là, les joueurs de tar et de derbouka avaient fait faux bond. Surpris mais nullement désemparé, El Hadj m'a dit, ‘‘Laisse le banjo et prends mon mandole, moi je prendrai le tar''. Sans doute s'est-il souvenu de sa tendre jeunesse lorsqu'il évoluait avec cet instrument sous la férule du cheikh Nador. Au summum de sa forme, El Hadj avait interprété El Wafat (La mort du Prophète) qui avait ému aux larmes toute l'assistance. C'est un événement qu'on n'oublie pas.»
Namous tracera son chemin en côtoyant des noms de l'envergure de Sananou, Aziouez
Lebhiri, Abderahmane Zerdi, Rezki Benichou, Bouchiba, El Hadj M'rizek, El Hadj Menouer, cheikh Marokène, sans oublier cheikh El Kourd de Annaba qui a chanté de manière sublime Ahmed Bey.
Patron de l'orchestre kabyle
Au début des années 1950, Namous intègre la station kabyle de la radio sous la direction de cheikh Noureddine. «Un artiste complet qui s'est sacrifié corps et âme pour l'art et la culture et qui m'a mis le pied à l'étrier avant de me titulariser en 1953. J'ai également accompagné Moh Seghir Laâma dans toutes les fêtes familiales à La Casbah». A ce propos, Namous cite une anecdote : «A la fin des concerts de chants, Moh Seghir me glissait une petite somme dans la main. Que veux-tu, c'est la fête des orphelins», se justifiait-il. Et comme cela se reproduisait souvent, j'ai fini par m'insurger. «Il faudra bien un jour qu'on anime des fêtes où il y aura des parents ? Trop, c'est trop». A l'indépendance, Namous se fera un plaisir de répondre aux sollicitations d'El Ankis, de Amar Laâchab et surtout Dahmane El Harrachi «que j'ai lancé dans le banjo. Nous sommes devenus inséparables. N'oubliez pas que je suis Harrachi et j'habite Diar El Djemaâ depuis 1961». Guerrouabi, Zahi et les chanteurs kabyles faisaient aussi partie de son répertoire. Namous, qui avait ouvert une école de musique au lendemain de l'indépendance, s'enorgueillit d'avoir formé une kyrielle de jeunes. Il citera quelques-uns d'entre eux, Sid Ahmed Benmerad, Mustapha Touati, Boutoutou… Il n'omettra pas de parler de ses amis, adeptes du même instrument et qui comptent parmi les plus doués de sa génération. Bouhraoua Abdelkader, dit Kaddour, Cherchali et Mohamed Kabour, dit Tailleur. Il y avait une saine concurrence et de la place pour tout le monde. Mehdi Tamache, le plus ankaoui des disciples d'El Hadj, ne tarit pas d'éloges sur son aîné.
Le doyen des musiciens
«En parlant de cheikh Namous, je suis envahi par la nostalgie tant cet artiste a marqué la musique algérienne. Cheikh Namous est un artiste incontournable dans le genre chaâbi. J'ai connu cheikh Namous dans les années 1970, alors que j'étais à mes débuts dans la chanson. Il m'a beaucoup aidé et orienté dans ma progression. J'ai eu l'honneur d'animer des soirées en sa compagnie ainsi que des galas. Que ce soit au guimber ou au qouitra, chikh Namous était irremplaçable. Avec Tailleur et cheikh Namous, l'orchestre chaâbi était assuré de réussir l'animation. Ce monument de la musique est un exemple de longévité et de modestie.» Pour M. Merzak, élève de Hadj El Anka et connaisseur averti de la chose chaâbi, «Namous fait incontestablement partie de la génération d'avant-guerre qui a porté haut l'étendard de ce style musical dans les moments difficiles.»
Le banjo, faut-il le préciser, est cet instrument ramené par les Américains en Algérie lors du débarquement des alliés en Afrique du Nord. «Pour le banjoïste, explique Merzak, tout est question de doigté de ‘‘chtara''. Namous avait ce don de rendre la musique claire et chavirante surtout dans les ‘‘istikhbarate''». Il est vrai que les années 1970 ont vu l'émergence d'un autre prodige, en l'occurrence Naguib, le petit chouchou d'El Anka que les plus grands de l'époque s'arrachaient. Naguib, au grand dam de ses admirateurs, a brutalement mis fin à sa prodigieuse carrière avec l'avènement de l'islamisme rampant. Le virtuose a marqué de son empreinte la nouvelle vague de banjoïstes qui frappaient à la porte et qui ont pour nom : les frères Mohamed et Djamel Chelal, Khaled Akboudj, Smaïn Bentayeb, Mimidou et P'ti Moh, actuellement en France. La qualité et le talent étaient de rigueur avant. «Aujourd'hui, il y a profusion de talents, mais peu de virtuoses», note sévèrement notre interlocuteur.
Quel est l'avis de cheikh Namous ? Avec l'avènement du raï, qui s'est propagé rapidement, le chaâbi a certes connu un recul, mais il est toujours présent et ne mourra jamais, même si les artistes peu considérés ont tendance à se décourager. «Toute ma vie, je l'ai consacrée à l'art. En fin de parcours, je me retrouve avec une retraite de 10 000 DA. Pensez-vous qu'avec cette somme on peut vivre décemment ? C'est tout le drame de l'artiste qui éclaire comme une bougie et qui finit par se consumer souvent dans l'indifférence et l'oubli.» «hada hal echeikh…»
|PARCOURS|
|Cheikh Namous est né le 14 mai 1920 à La Casbah où il a grandi. Très tôt, il est attiré par la musique.
Il tâte du mandole avant de devenir un virtuose du banjo. Sa première «sortie» artistique se fera à Koléa en 1941 avec El Hadj M'hamed El Anka. Il côtoiera les grandes figures de ce style musical. Il accompagnera El Ankis, Dahmane El Harrachi, Guerouabi, Ezzahi, Hacène Saïd, Laâchab…
Il fera plusieurs métiers, mais sa passion restera braquée sur la musique. Il intégrera la radio kabyle avec cheikh Noureddine. Et lorsque ce dernier s'orientera vers le cinéma au début des années 1960, c'est Namous qui sera chef d'orchestre de musique kabyle. A ce titre, il verra défiler les Cherifa, Yamina, Djida, Djamila, Taleb Rabah, Abdiche Belaïd, Akli Yahiatène, Arab Ouzelague et bien d'autres.
A 90 ans, Namous continue toujours d'animer. Sa dernière sortie s'est effectuée lors du dernier Festival de la musique chaâbi durant le mois de Ramadhan. Namous est père de 14 enfants et a 42 petits-enfants. Il vit dans un modeste appartement à Diar Djemaâ à
El Harrach.|


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