Alger se prépare à accueillir, sous un soleil de plomb, le Festival panafricain, et si vous avez tendance à oublier que cet événement culturel « exceptionnel », comme le qualifie Madame la ministre de la Culture est pour bientôt, l'Unique se fait un plaisir et un devoir patriotique de vous le rappeler à force de spots publicitaires qui donnent un avant- goût sur la variété des genres musicaux et folkloriques que recèle le continent et avec lesquels nous allons nous familiariser pendant une quinzaine de jours. En fait, à quelques encablures de ce rendez-vous qui, toujours selon la ministre, va propulser notre champ culturel dans une autre dimension, il n'y a que les officiels qui s'extasient et s'agitent pour louer les mérites de cette « extraordinaire » (il ne faut pas lésiner sur les superlatifs !) rencontre inter-africaine, la seconde que notre pays a « l'immense privilège » d'organiser après celle de 1969 qui avait connu, il est vrai, un franc succès mais dans un contexte politique et idéologique différent... Les gens du peuple à qui cette « offrande culturelle » est destinée (dixit toujours Madame la ministre) ne semblent, pour le moment, pas ressentir les mêmes vibrations que leurs gouvernants. C'est plutôt presque dans l'indifférence que ce festival s'apprête à s'installer dans le quotidien des Algérois que la télévision nationale et les médias publics tentent pourtant, par une pression médiatique soutenue, de conditionner à tout prix pour obtenir une large participation populaire. Mieux, nombreux sont ceux qui ne comprennent pas pourquoi c'est toujours le même pays, l'Algérie, qui sert de refuge à un festival aussi lourd sur les plans organisationnel et financier alors qu'il était question au départ d'une prise en charge tournante par pays ayant les moyens de le faire et qui devaient se manifester plus éloquemment pour porter haut l'étendard d'une ambition culturelle collective et solidaire. Quarante ans après le premier Festival panafricain d'Alger qui a accompagné la fantastique période de la décolonisation, les candidats à l'organisation du deuxième rendez-vous ne se sont pas bousculés au portillon. Sans le volontarisme de l'Algérie dont il faut souligner au passage ce hic de vouloir honorer des engagements pas toujours conformes à ses intérêts, le Panaf aurait certainement toutes les peines du monde à survivre. C'est que dans ces moments de crise mondiale, l'Afrique a préféré jouer la temporisation non par caprice mais par nécessité. Faut-il lui en vouloir quand on sait dans quelle situation économique se trouvent la plupart des pays potentiellement capables de se lancer dans une telle aventure ? Face à une récession dramatique, les pays africains ont de plus en plus conscience qu'il faut éviter de faire dans le gaspillage si tant est que le Festival panafricain demeure un luxe qui coûte excessivement cher. Les factures de transport, d'hébergement, de restauration, de sécurité, etc. sont en effet trop lourdes pour des budgets qui arrivent à peine à faire face à l'essentiel. Beaucoup de nos compatriotes, devant le même dilemme, se disent qu'au fond, l'Algérie dispose elle aussi d'une économie qui n'est pas très florissante et par conséquent aurait dû réfléchir à deux fois avant de se décider sachant qu'une telle manifestation va mobiliser des sommes astronomiques dont l'utilisation aurait été mieux appréciée si elles étaient investies dans la couverture des besoins sociaux. Argumentation démagogique ? Peut-être pas car les sentiments des Algériens, si on leur avait donné le choix, se seraient déclarés pour une option moins festive en partant de l'idée qu'un festival reste une fête qui laisse derrière elle que des souvenirs et encore... Bien sûr que l'on n'a pas le droit de sombrer dans la morosité lorsque notre pays veut redonner au panafricanisme un lustre qu'il a perdu depuis des années. L'Afrique a aujourd'hui d'autres défis à relever, dont évidemment celui de l'émancipation culturelle, mais si cette conviction reste sincère, il va sans dire que s'attacher encore à des slogans qui n'ont plus aucune prise sur la réalité relèverait de la naïveté politique. Madame la ministre de la Culture qui défend son Panaf avec une détermination rarement égalée pense que la facture qui sera comptabilisée sur le dos des contribuables correspond à peine au dernier transfert madrilène du joueur portugais Ronaldo. C'est à ses yeux des broutilles par rapport aux retombées d'une telle manifestation sur la vie culturelle nationale. On s'attend donc après le festival à voir les salles de cinéma et de théâtre refleurir, les librairies regorger de volumes, la musique, l'art plastique, la chorégraphie, enfin tout ce qui respire la culture reprendre du poil de la bête comme dirait le commentateur sportif. Ce discours avait déjà été tenu pour valoriser et surtout crédibiliser devant l'opinion publique des manifestations plus ambitieuses comme « l'année de l'Algérie en France » ou encore « Alger, capitale de la culture arabe ». Entre la rhétorique enflammée qui précède le projet et les résultats, il n'y a pas photo... Pourquoi en sera-t-il autrement avec le Panaf ?