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Le premier coup d'Etat…
Publié dans El Watan le 30 - 10 - 2009


1 – La liberté
Je frappais à la porte du cabinet de Maître Ousseddik, un des avocats du collectif qui venait nous voir à Fresnes. Je ne fus pas réellement le bienvenu car, me dit-il, Ahmed Taleb avait aussi demandé une liberté médicale et cela pouvait compromettre sa sortie. On me trouva ailleurs une planque pour deux jours, puis un couple de Belges, membres du réseau de soutien au FLN, me fit passer la frontière, en marchant à travers champs et forêts avec l'un, tandis que l'autre nous attendait en voiture quelques kilomètres plus loin. Je me retrouvai donc à Bruxelles en septembre 1961 et rencontrai Kaddour Ladlani, le responsable FLN pour la Belgique. Le sentiment de liberté n'était pas encore total, car il arrivait que des Algériens soient reconduits à la frontière. Il me fallait quitter ce pays rapidement. Le lendemain, un second couple belge fut disponible pour me faire passer en Allemagne, et j'arrivai sans encombre à Cologne. Sur la place de son imposante cathédrale, je fis la connaissance d'Ali Haroun et de Omar Boudaoud, deux des responsables de la Fédération de France du FLN installés en Allemagne. Peu après arriva A. Taleb, accueilli par une grande réception.
Amar Benadouda, autre étudiant en médecine de passage dans ce pays, fut ensuite chargé de s'occuper de moi; ce dernier me conseilla, à cause du problème de la langue, d'aller me faire soigner en Suisse romande. J'étais, à vrai dire, très mal en point, dix années de clandestinité aux abois, la prison et les grèves de la faim m'avaient complètement délabré. J'ai quitté l'Allemagne grâce à un passeport marocain établi par l'entremise de l'Organisation au nom de Laroussi Djamel. Notre lutte attirait maintenant les sympathies et la bienveillance dans bon nombre de milieux en Europe; je le constatais à Genève, à travers la presse et la rencontre de gens très au courant de l'évolution du conflit et de ses derniers soubresauts. Parmi ces gens, je citerai le professeur Mach qui soignait quantité de réfugiés politiques avec beaucoup de prévenance et sans leur demander un sou. A Lausanne, il en allait de même dans le milieu des intellectuels. Je dus subir, cet hiver-là, plusieurs opérations chirurgicales pour une pathologie des intestins tellement inextricable que mon cas a fait école chez le professeur F. Saegesser et ses étudiants de l'hôpital de Lausanne. C'était l'époque des Accords d'Evian, dont les préliminaires remontaient à l'été 1961 et qui étaient en voie de finalisation. Le 19 mars 1962 et le cessez-le-feu allaient bientôt s'inscrire en lettres majuscules à la une de tous les journaux. De mon côté, je vivotais en convalescence après encore deux autres opérations de la sphère ORL, et aidé du petit pécule que je touchais comme permanent de l'Organisation.
Le bruit des armes ne s'était pas tu que déjà les conflits de personnes s'aiguisaient : nous abordions une nouvelle phase qui ne me plaisait pas du tout. Des échos me parvenaient sur des dissensions, des tractations scabreuses, des malveillances en haut lieu, toutes choses que, par exemple, Tayeb Boulahrouf que je connaissais depuis 1945, responsable FLN pour l'Europe et de passage en Suisse, me rapporta. Par ailleurs, il me fallait poursuivre des soins ambulatoires et je devais rejoindre Tunis.
Mais toutes ces informations, si peu réjouissantes, freinèrent mon élan : celles en provenance du Congrès de Tripoli, triviales et consternantes, celles du différend entre le GPRA et l'état-major de l'armée des frontières avec Boumediène et son nouvel allié, Ben Bella. Rappelons qu'auparavant, un certain capitaine Abdelkader (A. Bouteflika), émissaire de l'état-major diligenté peu avant le cessez-le-feu auprès du groupe de responsables détenus au château d'Aulnoy, avait acquis Ben Bella et Bitat à sa proposition, une démarche initiant, déjà, un premier clivage entre ceux qui l'avaient refusée, Aït Ahmed et Boudiaf, et les autres. Bref, tout cela m'a indisposé et révolté au plus haut point, et j'ai eu envie, à un moment, de tout laisser tomber, cette vie-là, ces hommes et compagnons de lutte, la politique, le parti auquel j'avais donné l'essentiel de mes forces, de ma jeunesse et de ma santé. Je me pris même à rêver de toute autre chose, comme n'importe quel individu autonome, célibataire et dans la force de l'âge, et non plus un maillon d'une longue chaîne desservant la grande mécanique de l'histoire.
La Fédération, par l'intermédiaire du frère de Boudiaf, m'avait coupé les vivres en juillet pour me pousser à choisir mon.. camp, après que Yacef Saâdi eut été chargé par Ben Bella et Khider de me dire de les rejoindre à Tlemcen. Je restai sourd et réfractaire à toutes ces querelles de pouvoir.
Le 5 juillet 1962, Alger était en liesse, mais les événements n'attendaient pas et s'enchaînaient dans la confusion et le vacarme des affrontements, ce qui a fait dire au peuple, lors de la grande manifestation historique: «Sept ans de guerre, ça suffit! » Proposé par Ben Bella dans son premier gouvernement en septembre, Mohamed Khemisti a été nommé ministre des Affaires étrangères. Quelques temps plus tard, M. Khemisti et M. Lebjaoui ont réfléchi à une manière de rester en phase avec notre émigration et, voulant créer à Paris, l'Amicale des Algériens en France, avaient pensé à moi pour cette mission. Alors pour en parler, Lebjaoui,- installé en partie à Genève et officiant comme éminence grise dans les coulisses du pouvoir de Ben Bella -, m'envoya l'argent de ma permanence et celui des frais de voyage pour Paris. Il se trouvait déjà là-bas en compagnie de notre tout nouveau ministre des Affaires étrangères, M. Khemisti. J'avais connu ce dernier par l'intermédiaire de M. Médéghri(22), tous deux jeunes étudiants lorsque j'étais responsable pour l'Oranie en 1953.
Je lui rappelai ces circonstances; puis il m'exposa son idée d'association visant à maintenir le moral des émigrés algériens : l'Amicale des Algériens en France. Je refusai. En fait, elle m'apparaissait comme un appendice du FLN, ce dernier devenu parti du pouvoir. Il me proposa alors le poste de consul général à Lille. Je dis non : ni le parti ni la France. Il insista et me proposa l'ouverture de l'ambassade d'Algérie en Allemagne, comme chargé d'affaires. Et j'acceptai. Je rentrai donc à Alger en janvier et attendis ma nomination. Au niveau du ministère, il avait été question de mettre en place un stage de formation pour préparer les fonctionnaires à leurs nouvelles activités. Mais finalement, aucune préparation n'a eu lieu avant ma prise officielle de fonction prévue pour le 11 mars 1963. 22 En 1974, en visite privée à Berne, Médéghri demandera à l'ambassadeur A. Setouti de m'inviter au dîner car, il lui avait-il dit, en exagérant sans doute un peu, c'est M. Méchati qui m'a appris le patriotisme. En aparté il me demandera de passer le voir quand je viendrai à Alger, il avait des choses à me confier. Hélas, il mourut en décembre 1974, officiellement «suicidé», avant notre rencontre.
– 2 – Au ministère des Affaires étrangères
Une nouvelle page, –mais je peux dire aussi, une nouvelle manière de servir mon pays car, dans mon esprit, rien ne devait fondamentalement changer du militantisme au fonctionnariat – s'ouvrait ici à Bonn, en République fédérale allemande.
Concernant ma carrière diplomatique, qui débutait en 1963, je tiens à le préciser avec le grade de ministre plénipotentiaire et la fonction de conseiller d'ambassade, chargé d'affaires et se terminera 23 ans plus tard, à l'âge exact de la retraite, je ne m'arrêterai que sur les premières tribulations précédant le coup d'Etat du 19 juin 1965, c'est-à-dire aux années 64-65. Et je relaterai ces faits parce qu'ils sont édifiants et renseignent bien sur la nature profonde de nos dirigeants et sur ce qu'ils ont mis en place comme système de pouvoir au lendemain de l'indépendance23. Et aussi parce que cela me vaudra de me retrouver derrière les barreaux de la prison d'El Harrach en été 1965.
Suite à la mort de M. Khemisti et à la nomination de son successeur aux Affaires étrangères (en l'occurrence A. Bouteflika), j'ai été rappelé d'Allemagne à l'administration centrale; c'est-à-dire après moins de 18 mois, une courte période ayant consisté à la mise en place des différents services et, sur le plan personnel, juste le temps de trouver un logement, d'engager un crédit pour me meubler, de me marier, de devenir père et de … préparer un déménagement !
Au niveau du ministère à Alger, de nouvelles instructions avaient été décidées à l'égard des anciens militants, exigeant d'eux des diplômes pour leur nomination. En fait, cette mesure discrétionnaire sentait déjà les coups fourrés en haut lieu. Je fus rétrogradé (de conseiller 1iere classe au grade de secrétaire 3ieme classe) et laissé sans traitement plus de 6 mois, vivant d'emprunts. Un jour, excédé, je demandai des explications au directeur des services financiers, M. Younès. Dans son bureau, le directeur m'a chuchoté, presque dans le creux de l'oreille, que l'on avait effectué un contrôle financier en Allemagne et constaté un découvert dans ma gestion24, (gestion dont j'avais scrupuleusement gardé tous les documents comptables). Cela m'a fait sursauter de fureur, car en réalité, c'était plutôt l'Etat qui m'était encore redevable vu qu'à cette période nous étions tous payés avec des avances sur salaire, dans l'attente d'une régularisation. Et je le mis au défi, lui et les siens, en exigeant des explications écrites. Une courte lettre de ses services, datée du 6 avril 1965, me fut adressée le lendemain, à laquelle j'ai répondu aussitôt par lettre datée du 9 avril 1965, en rejetant formellement leur scandaleuse accusation et en exigeant la mise en place d'une commission contradictoire devant laquelle j'étais prêt à répondre. Sur ce, le versement de mon traitement fut rétabli sans autre forme de procès. Cela se passait en mars-avril 1965 et nous venions d'emménager dans un petit appartement bien vacant au Télemly, qui est d'ailleurs resté celui que nous occupons encore aujourd'hui. Et les semaines passèrent.
Mais les choses n'en restèrent pas là … Au lendemain du coup d'Etat du 19 juin, j'ai appris par ouï- dire que des poursuites contre moi se préparaient. J'ai donc demandé à voir mon chef, A. Bouteflika, par une lettre datée du 26 juillet 1965. Je me souviens avoir été reçu d'emblée de façon hargneuse. Il n'a pas voulu m'écouter: «Pour les deniers publics, je suis intraitable. La justice fera son travail. Puis, méchamment : « Vous avez écrit à Ben Bella! ». Je lui ai répondu que non, j'avais écrit au président de la République. Il a rétorqué: «Et moi votre patron, vous êtes passé au-dessus de ma tête! » — : « Pas du tout. C'est d'abord à vous que j'ai écrit, et vous ne m'avez pas répondu.» Ensuite, il m'a demandé si je pouvais le prouver, et ma réponse fut affirmative; l'entretien se termina ainsi, en m'envoyant remettre mes lettres à son chef de cabinet d'alors, monsieur Tidjini. Quelques jours plus tard, j'étais convoqué par le juge d'instruction, M. Mohamedi (père). En compagnie de l'avocat qui m'avait été recommandé, Maître Gonon, j'ai répondu aux accusations portées contre moi en présentant mes documents en bonne et due forme qui les démentaient toutes, sans nulle équivoque.
Le juge, ne cherchant même pas à argumenter, se contenta de me dire, et en s'excusant, qu'on lui avait demandé de m'arrêter depuis plusieurs mois et qu'aujourd'hui, il ne pouvait pas ne pas le faire. Mon avocat et moi avons eu beau protester, je fus arrêté sur le champ et conduit à la prison d'El Harrach. J'ai passé là cinq jours et cinq nuits sans rien boire ni manger, de colère et d'impuissance contre l'injustice des nouveaux maîtres. Et c'est grâce à l'action conjointe de mes amis et ex-compagnons de prison à Fresnes Foudil Bensalem, Ahmed Doum et Ahmed Taleb, (tout récent ministre de l'Education nationale et qui aurait dit : si Méchati est un voleur, alors moi je suis le plus grand des voleurs), que j'ai pu bénéficier d'une mise en liberté provisoire.
Un peu plus tard, il m'a fallu comparaître devant le Tribunal d'Alger sur l'infamante accusation d'atteinte au patrimoine national, défendu par mes avocats Bentoumi et Gonon. Il y eut relaxe au premier procès, confirmée au second. Cet épisode de ma vie passa très mal, mais dans un Etat de non droit il n'y avait pas grand-chose à faire, si ce n'est refouler dans la douleur… .
En 1967, ma carrière diplomatique reprit son cours, avec ses moments forts et ses satisfactions, ses creux et sa routine bien sûr, mais se conclura sur une ultime vexation en 1984, avec ma nomination pour une seule année, ce qui ne s'était jamais vu dans les annales, comme ambassadeur de mon pays en Hongrie. Au Journal officiel, mon nom ne va même pas être inscrit correctement, ce sera Ahmed et non Mohamed, malgré mes lettres de protestation25. Je serai donc toujours resté, pour le pouvoir et ses services, un gêneur avec mes écrits et rapports de stricte correction et mon peu de goût pour la complaisance envers les puissants. C'est ainsi …
– Boudiaf, arrêté en juin 1963
– Khider, démissionne du FLN en 1963, opposant en 1965, assassiné en 1967.
– Aït Ahmed, député à la 1ere Assemblée en 1962, opposant en 1963, arrêté et condamné à mort en 1964-1965, évadé de prison en 1966.
– Krim Belkacem, écarté en 1962, opposant en 1965, assassiné en 1970.
– Ahmed Taleb, arrêté et torturé en 1964, libéré en février 1965.
– Ferhat Abbas, démissionne de la présidence de la 1ere Assemblée en 1963 (pour protester contre le rôle excessif du FLN dans l'élaboration de la Constitution). – Benalla, arrêté le 19 Juin 1965 etc.
L'implosion du parti et ses conséquences
L'année 1953 avait connu des tensions graves au sein du PPA-MTLD. A son deuxiéme congrès en avril de cette même annèe, Benabdelmalek Ramdane avait ètè choisi par Boudiaf et Ben M'hidi pour nous reprèsenter, comme étant le plus qualifié et le moins connu de la flicaille à Alger. Il avait fait une intervention au nom de l'OS et avait eu l'occasion, par la suite, de nous donner sa version de l'événement.
Messali, faut-il le rappeler, avait demandé la présidence à vie. Le renouvellement de la direction, lors du vote pour remplacer le secrétaire général – Hocine Lahouel était démissionnaire – avait fait émerger Benyoucef Ben Khedda. Messali avait ses hommes de confiance au sein du Bureau Politique dont Abdallah Filali, (dit Lakhfif), Moulay Merbah, Mezghena et quelques autres qui n'avaient aucune formation intellectuelle ni politique. Ils étaient seulement des partisans inconditionnels de Messali et avaient mené campagne pour les pleins pouvoirs. Ils furent désavoués par la majorité des membres du Comité Central car, pour la première fois, il avait été question d'insuffisance idéologique et politique.
A la suite de quoi, en décembre 1953, Messali Hadj a fait paraître dans l'organe du Parti une lettre circulaire dans laquelle il annonçait son désaccord avec les membres du Comité Central (CC: une trentaine) et du Bureau Politique (BP: une dizaine). Il les qualifiait de contre-révolutionnaires et de déviationnistes. Illes accusait même d'avoir versé dans
Parcours d'un militant
La collaboration avec Jacques Chevalier, le maire d'Alger, c'est-a-dire avec la mouvance des libéraux français,
A leur tour, les membres du Comité Central et du Bureau Politique accusèrent Messali de mégalomanie et d'incompétence,
La déchirure a commencé a partir de ce congrès d'avril, déchirure qui s'est accentué~ tout au long des mois suivants par le travail de sape des messalistes. Cette situation impensable pour tous les militants, une crise ouverte au sein du Parti et son implosion, s'est donc produite en cette fin décembre 1953 avec la lettre du chef du PPA-MTLD, Messali Hadj. Janvier 1954. Le choc était si rude qu'il a ébranlé les convictions, les espoirs, et surtout la confiance de tous, jusqu'a la base militante. Le doute s'est installé, puis les disputes et les bagarres un peu partout dans le pays. Il yavait d'un côté, les centralistes soutenant la direction du CC avec Hocine Lahouel comme chef de file et qui avait pour lui la majorité des cadres du Parti pourvus d'un bagage intellectuel et politique suffisant. Et de l'autre, la masse populaire des militants' derrière Messali. Son populisme datant de l'Etoile Nord-africaine avait conquis une large partie des militants en Algérie et particulièrement les travailleurs émigrés en France.
Divergences de vue et discordes surpris le pas sur les politiques de l'ancienne direction, comme Salim Rachi, Zadi Chérif, Boudjenana et Baghriche, tous conseillers municipaux MTLD. La nouvelle direction élue avec Haddad à sa tête, avait pour but un meilleur fonctionnement du Parti et sa défense par les plus aptes. Ainsi, en 1953-1954, Haddad Youcef, Mellah Rachid, Bouali Sald observaient une position neutraliste et avaient reçu les membres du CC, tout comme ceux de Messali, venus défendre les uns après les autres leur point de vue.
La situation démoralisante et dangereuse qui prévalait a fait réagir Lahouel Hocine. Il a rappelé Boudiaf, activant depuis quelque temps en France, et lui a demandé de reprendre en main l'organisation de l'OS, de la régénérer en une force nouvelle capable de ressusciter l'espoir du passage à l'action armée, avec ou sans Messali. Ce sera en mars la création du CRUA (comité révolutionnaire pour l'unité et l'action). La première réunion s'était déroulée à la médersa Errached avec Lahouel Hocine, Sid Ali Abdelhamid, le secrétaire, Boudiaf et Dakhli Bachir. Les suivantes se déroulèrent avec Dakhli Bachir et Bouchebouba pour le CC, Boudiaf et Ben Boulaïd pour l'OS.
Auparavant, m'étant trouvé à Alger en décembre, au moment de l'éclatement au sommet, j'avais tenu à me renseigner au plus prés de la source, en l'occurrence auprés de Dakhli Bachir, contrôleur général du Parti. Etant au Comité Central, il m'encouragea à aller à Constantine orienter les militants dans ce sens. J'étais malade et pensais d'abord à consulter un médecin. Or, toujours à Alger, j'ai rencontré Boudiaf qui m'apprit que l'OS était réactivée et me demanda de remettre l'organisation sur pieds dans le Constantinois, Collo, Skikda, Azzaba, Batna et Ain Touta. J'ai accepté. Il me donna les coordonnées nécessaires et me fixa un rendezvous à Constantine à l'issue de la mission. Malgré la fatigue, j'ai repris les déplacements dans les villes indiquées, rencontrant partout une approbation enthousiaste s'agissant du mot d'ordre de neutralité, dans la perspective de l'unité pour la lutte à venir. A Azzaba cependant, le militant de l'OS Ali Mendjeli voulait en savoir plus: plans d'action, objectifs, moyens. Je n'avais, hélas, pas de précisions à lui donner (qui les avait d'ailleurs ?) elje le déplorais moi-même … Ensuite, j'allai rendre compte de ma mission à Boudiaf.
Nous avions rendez-vous sur le pont de Sidi Rached. Cette rencontre fut houleuse et provoqua mon premier différend personnel avec lui. Je le vis arriver de loin, déjà crispé, furieux, marmonnant des insultes, J'étais surpris, Que se passait-il?
« Quelle honte' vous avez reçu les messalistes à Constantine! »
Je venais juste de rentrer de AIn Touta et, bien sûr, je ne comprenais rien à sa colère. Il m'en dit un peu plus. C'était tout simple (et dans le fond, choquant): lui, Boudiaf, ayant été tabassé avec Rabah Bitat par des partisans de Messali à Alger, aurpit voulu qu'à Constantine nous en fassions de même avec les messalistes, Or, je plaidai qu'au contraire, la restauration de la confiance passait par l'écoute des uns et des autres, comme cela avait été le cas dès avant mars et l'avènement du CRUA (CRUA contenant bien le mot « unité» en son centre). Mais, do toute façon, je lui ai fait remarquer que si j'avais été sur place, j'aurais approuvé l'attitude de la direction, celle de Haddad en l'occurrence,
Effectivement, quand j'ai revu les responsables de la kasma, ils ont confirmé: oui, nous avons reçu les centralistes, puis les messalistes et n'avons été d'accord ni avec les uns, ni avec les autres,
Personnellement, j'approuvais le Comité Central, tout simplement parce que j'avais estimé que Messali n'avait pas le droit de contrevenir aux règles du Parti, que c'était au sein Divergences de vue et discordes sur … du congrés qu'il fallait débattre des problémes politiques et que, dans un contexte pré-révolutionnaire, l'égotisme devait être jugulé.
Nous étions la nouvelle génération, ne supportions plus l'attentisme et voulions passer à l'action. Messali avait détruit J'outil principal qui devait l'anticiper et la mettre au point. Mais nous restions projetés vers la lutte malgré tout, comme par un acte à la fois de désespoir et de défi.
Inspiré dans la tourmente des affrontements par Lahouel, le CRUA, cette nouvelle voie vers l'activisme, comptait dans son comité deux membres du CC, Dakhli Bachir et Bouchebouba et deux membres activistes de l'OS, Boudiaf et Ben Boulaïd. Il avait aussi un journal le « Patriote ». Les trois premiers numéros, sur les six parus, contenaient des articles malheureusement partiaux, montrant un net penchant pour le Comité Central et en contradiction même avec les objectifs du CRUA (démentant implicitement la position neutraliste que voulaient observer certains éléments de l'OS).
A Constantine, par exemple, cela nous a vraiment posé problème avec l'organisation quand des pro-messalistes ont essayé de reprendre le siége du MTLD, mais avaient été contrecarrés, heureusement, par des gens convaincus, aux arguments solides.
Les empoignades verbales, avec la suspicion grandissante, dégénéraient vite en gestes violents. J'ai failli en être victime avec Amor Talaa, un élément de l'OS originaire des Aurès, Fonceur, décidé et courageux mais borné, il pensait, comme certains messalistes, que j'avais été envoyé par le CC pour les èvincer. Il m'entraîna dans un café. Nous avons parlé, clarifié les choses et gardé en vue l'essentiel. Alors, rasséréné, il me dit:
« J'avais décidé de te descendre» « Pas possible, c'est à ce point? »
Parcours d'un militant
Oui, mais voilà, j'avais encore un brin de confiance en .. .
Cet incident illustre bien l'état de défaite morale des nôtres, quasiment à la veille de Novembre.
Je fis une remarque à Boudiaf au sujet des maladresses du journal et de ses conséquences sur le terrain. La réponse fut celle du mépris.
Boudiaf au sein du CRUA pensait utiliser le CC pour le nerf de la guerre et, en effet, comme je le lui ai entendu dire, le CC lui avait versé une somme pour aider à réaliser leurs objectifs, Ce climat de rivalités propice à l'audace, et la fin justifiant les moyens, avait dû faire naître en Boudiaf des plans à la hauteur de ses calculs et de ses ambitions.
La réunion d'Alger
En tout cas, fin juin 1954, Boudiaf dressa une liste de personnes de son choix, convoquées à Alger pour une réunion prévue au Clos Salembier, dans la maison de Oerriche Lyés, militant de l'OS faisant partie de la logistique et membre de la section de Zoubir Bouadjedj. Pour ne pas avoir à remettre en question son statut de responsable de l'O.S. (aprés le départ d'AIt Ahmed et l'arrestation de Ben Bella) à l'échelle nationale, Boudiaf, je pense, voulait être le seul grand maître d'œuvre et, larguant les autres responsables nationaux, s'était autoprociamé chef.
Chacun de nous est arrivé de son côté, ignorant l'objet de la rencontre, mais supposant bien qu'il s'agissait de faire le point sur le différend en haut lieu ou alors de la reprise de l'OS. AAlger, les personnes assurant la logistique réglaient le probléme de l'hébergement. En ce qui me concerne, j'avais comme point de chute depuis 1950, le domicile des frères
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Boukechoura, celui de A. Messaoudi ainsi que l'atelier du tailleur Aïssa Kéchida.
Dans la chambre, quand je suis entré, certaines personnes étaient déjà là, dont Boudiaf qui est venu m'accueillir et me placer entre Souidani Boudjemaa et Bouchaïb Ahmed. Il avait son idée: éparpiller les éléments de Constantine dont il se méfiait depuis l'accrochage qu'il avait eu avec moi sur le pont de Sidi Rached. Quand les derniers arrivants furent placés par ses soins, Boudiaf alla rejoindre Ben Boulald, Ben M'Hidi, Didouche et Bitat, tous les quatre assis sur un matelas, dos au mur. En somme, son équipe déjà formée en bureau. Je connaissais la plupart des présents, à l'exception de Lamoudi de Biskra, de Badji Mokhtar de Souk Ahras et de trois autres d'Alger, Bouadjedj Zoubir, Belouizdad Atman (frère de Mohamed) et Merzougui Mohamed. Sur le contenu de la réunion et mes appréciations à posteriori, voir mon article du 6 mars 2007 (novembre 1954, quel résultat ?).
Toutefois, je tiens à redire que cela fut le premier coup d'Etat du militaire contre le politique; que tout avait été arrangè au préalable par Boudiaf pour que soit cautionné ce simulacre de nouveau comité en chef de la révolution. En avaient été écartés l'autorité légitime du parti, Lahouel Hocine, secrétaire général ordonnateur du politique et du militaire, ainsi que les deux membres du CC au CRUA, Dakhli et Bouchebouba. Presque aucun des membres des états-majors. habilités à parler de leurs responsabilités dans l'action passée. présente et à venir, n'avaient été convoqués.
Parmi ces derniers, A. Gherras'3, un homme réfléchi et efficace, d'une grande modestie, d'un respect naturel envers chacun; rebelle aux diktats, il avait eu plusieurs accrochages
Parcours d'un militant
avec Boudiaf sur le plan du travail quand il était responsable à l'état-major avec Ben M'hidi et Oidouche dans le Constantinois, Pourquoi ces deux derniers étaient-ils là, mais pas Gherras ? Tout simplement parce que Boudiaf savait qu'avec lui les choses ne pouvaient pas se passer ainsi dans l'arbitraire.
N'oublions pas que l'OS avait son histoire. Ses responsables auraient dû se rencontrer et faire l'analyse de la situation, faire également le bilan de ses échecs et de ses réussites et sur cette base, reprendre l'organisation en définissant clairement les étapes pour parvenir au but, la lutte armée. Je ne conteste pas Boudiaf en tant que chef, mais il devait être choisi par ses pairs (en principe, les membres des trois états-majors pour les trois départements).
Au sujet du nombre des participants, qu'en est-il à l'origine? : vingt et un ou vingt-deux? Petit rappel préalable:
Nous étions pour la plupart des clandestins, ce qui veut dire: cloisonnement entre nous, désignation sous des surnoms, et bien évidemment, pas de papiers aide-mémoire dans les poches.
La mémoire étant sélective, dit-on, et déformante selon qu'on s'accommode d'approximations ou pas, je n'ai fait de déductions qu'à partir de mon vécu de l'époque, ravivé par des écrits et des lectures, dès les premières années postindépendance.
En effet en 1968, est paru le premier tome d'un gros ouvrage de recomposition des sept années de la guerre d'Algérie, écrit par un journaliste et correspondant de guerre, Yves Courrière, L'auteur, mentionnant cette réunion de 1954, dresse pour la premiére fois la liste nominative des participants. Il en dénombre vingt-deux en incluant Hadj Benalla (futur deuxième président de la première Assemblèe Nationale algérienne en 1962), qui n'a pas participé et le dira sans ambages. Nous voici donc en 1968 avec une réunion
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de vingt-deux personnes, selon Courriére. Sa liste est reprise intégralement, avec la même date précise (25 juillet ?), deux années plus tard soit en 1970, par Mohamed Lebdjaoui dans un des premiers livres écrits par un auteur et acteur algérien de la révolution. Son livre s'intitule: « Vérités sur la révolution algérienne ».
A partir des années 1970, est donc entrée dans l'histoire et le vocabulaire l'appellation « membres des 22 », avec cette liste de vingt-deux personnes, moins une s'étant déclarée non présente; ce qui est devenu pour moi, en toute bonne foi et logique, « vingt-et-un dit des vingt-deux par erreur ».
Un petit point d'histoire sur lequel, jusqu'à la fin de l'ére Chadli, personne n'a plus rien eu à dire, me semble-t-il. Ce qui s'est passé depuis, sursaut, manœuvres, récupération, feintes, que sais-je encore, n'est pas mon affaire, et à chacun de comprendre ce qu'il voudra, selon ses affinités ou ses convictions.
De même quand, en 1990, Boudiaf, à la suite des visites de journalistes venus chez lui à Kénitra, a éprouvé le besoin de demander par lettre à deux concernés d'Alger de la réunion de 1954 (Z. Bouadjedj et A. Belouizdad) de parler d'une même voix, la sienne, et qu'jllui sera répondu « perplexité … tentative de viol de l'histoire … 1~ », qu'en déduire aprés tant d'années? Pour moi, simplement ce constat navré: l'homme de M'sila, fier et cassant, réfractaire aux objections, était resté égal à lui-même; trés peu démocrate, dirions-nous aujourd'hui (quoique sur cette définition, le chemin soit encore long pour beaucoup de monde !).
Mais revenons à juin 1954 et cette fameuse réunion.
Parcours d'un militant
Pour la question du vote, et bien que Boudiaf, sur ce sujet, se soit exprimé différemment beaucoup plus tard1~, ma version des faits est celle que j'avais écrite dans « Révolution Africaine» en 1968, après la sortie du livre « Les fils de la Toussaint» de Courrière. C'est-à-dire, en résumé ceci: pour la direction de la Révolution, Boudiaf nous a demandé d'élire deux personnes parmi son équipe; à cet effet, des petits bouts de papier nous furent distribués et pour ma part j'ai noté le nom de Ramdane Benabdelmalek, (hors de son équipe), non pas parce qu'il était de Constantine mais pour ses qualités humaines, parlant bien, et nous ayant représenté au congrés d'avril 1953. Le deuxiéme nom inscrit était celui de Mostefa Ben Boulaïd, membre du CC et responsable de l'OS dans les Aurés sa région natale, et dont j'appréciais le caractère calme et posé. Ensuite, et conformément à l'esprit de la clandestinité, les deux élus étaient censés choisir à leur tour les autres membres de celle direction. normalement parmi les personnes de l'assemblée. En fin de compte, on s'est retrouvé … avec Boudiaf et son bureau!
A l'issue de la réunion. et bien que nous ayons été tous d'accord avec enthousiasme pour le passage à l'action armée, les questions relatives au quand et surtout au comment, n'avaient pas enc0r.e été posées. Seule une position de neutralité était réaffirmée, avec la consigne de n'assister à aucun des deux congrès qui se préparaient.
En effet, Messali et les siens avaient prévu un congrès en juillet à Hornu en Belgique et les centralistes préparaient le leur, pour août, à Alger. Qu'en est-il, à la fin de leur congrès, que pense la direction du CC? Ici je citerai le témoignage suivant, paru dans un livre consacré à Hocine Lahouel par « L'association historique et culturelle du 11 décembre 1960 »: « Lorsque la scission du Parti fut consommée,
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la Direction issue du Congrès d'août1954 savait que l'insurrection préparée par les 22 était imminente. Tout en y souscrivant elle souhaitait que son déclenchement fût reporté au début de l'année 1955 afin de prendre le temps de mieux la structurer. C'est avec ce message que Lahouel et Yazid furent chargés d'aller au Caire pour se renseigner sur l'aide que devaient fournir les autorités égyptiennes. En arrivant fin octobre les dés étaient jetés. Ils rejoindront donc le FLN dès le F' novembre sur place … »
Ensuite, Ben Boulaïd a été choisi pour rencontrer Messali et le convaincre de se rallier derrière une seule autorité. Le zaïm refusa net; c'était la sienne ou rien: « La révolution, c'est moi qui la ferai! ». Même refus au Comité Central. pour qui il n'était plus question de se placer sous la houlette de Messali. Notre révolution se profilait à l'horizon en de bien piteuses conditions organiques et morales, auxquelles se sont ajoutées la non préparation à l'échelle nationale et la précipitation quant à la date du déclenchement.
Les éléments du Constantinois, majoritairement
représentés à la réunion (16 sur 21), se retrouvérent avec les responsables restés à Constantine et réfléchirent ensemble à ce qui venait de se passer. Le malaise était réel. Nous avions besoin de l'avis d'un ancien. Avec Mellah et Bouali, nous sommes allés à Saint Arnaud (El Eulma) voir le Docteur Lamine Debaghine, quand bien même cette idée avait été évacuée d'un revers de main par Boudiaf, après la réunion de juin. Debaghine avait laissé une empreinte indélébile chez tous ceux qui l'avaient connu à Constantine (ainsi que Belouizdad Mohamed, hélas déjà décédé) et notre confiance en lui était entière. Malheureusement, nous avons trouvè porte close à son cabinet: il se trouvait en déplacement à Tunis. Plus tard, une rencontre entre Debaghine et Boudiaf aura quand même lieu mais, dans un premier temps tout au moins, elle ne fut pas concluante, avait-on rapporté.
Parcours d'un militant
Alors, toujours habités par l'impression d'avoir été floués, puis déçus de n'avoir pu rencontrer Debaghine, il nous est apparu nécessaire de faire appel à Gherras, activant dans r Est de la France depuis fin 1952 au sein de la Fédération MTLD de France sous la responsabilité de Boudiaf. Je rappelle qu'il n'avait pas été convoqué à la réunion de juin.
Débarquant à Alger, Gherras est tombé sur Boudiaf qui lui a intimé l'ordre de repartir d'où il venait. Mais lui, soucieux d'apprécier par lui-même une situation de laquelle Boudiaf voulait l'écarter, refusa et vint à Constantine. Il fut alors décidé d'une rencontre pour porter remède à la réunion controversée d'Alger. Elle se déroula dans la maison éloignée de tout voisinage des familles Habachi-Haddad (déjà évoquée). S'y sont retrouvés tous les responsables du département que l'on avait pu convoquer, entre autres Badji Mokhtar de Souk Ahras, Saci Ben Hamla de Guelma, Zighout Youcef de Smendou.
Didouche Mourad, en émissaire de Boudiaf (qui ne souhaitait pas affronter Gherras et Zighout tous deux trop sur la même longueur d'onde), arriva accompagné de Bentobal de Mila. D'emblée ils nous ont dit que Zighout'6 avait eu un « empêchement» de dernière minute! Puis Bentobal resta muet toute la soirée, capuchon sur la tête, dormant ou faisant semblant de dormir, alors que Didouche, lui, rejetait avec emportement toutes nos propositions.
Au cours de nos discussions, Gherras et moi avions demandé une nouvelle réunion à Alger, en vue d'une meilleure planification du déclenchement de la guerre. Didouche a été intraitable et répétait: « Non! vous suivez; celui qui ne marche pas, ira en prison! » Son entêtement et ses menaces à la limite de la brutalité nous ont paru insupportables et n'ont fait
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que confirmer la manipulation lors de la désignation anormale des cinq membres du bureau. En définitive, c'est toute cette réunion de juin qui a été remise en cause par ceux que l'on désignera plus tard comme « le groupe de Constantine ».
Gherras, en activiste convaincu maisinquietde l'accélération mal maîtrisée des choses, rencontra une deuxième fois Boudiaf à Alger, avant son retour à Lyon. 11 devait insister pour une nouvelle rencontre avec les responsables des trois départements, aborder les problémes ardus de la préparation au conflit – qui allait « embarquer» tout un peuple, immense responsabilité -, et aussi poser la question de la représentation politique à l'étranger. Aucune de ses propositions, aucun de ses arguments ne furent acceptés. Les jeux étaient faits, un point c'est tout!
Partout le désarroi s'amplifiait, l'abattement et surtout la méfiance .faisaient qu'on ne savait plus qui croire. En outre, suite aux divergences entre les Centralistes et les activistes, le CRUA s'était pour ainsi dire sabordé à la fin de juillet. Alors quoi?
L'été 1954 s'est terminé ainsi, dans une atmosphère très dure et particuliérement bloquée … Ensuite nous avons appris, vers la fin octobre, qu'une ultime réunion de six membres (les cinq du bureau Boudiaf auxquels s'est adjoint Krim Belkacem) avait eu lieu au domicile des frères Boukechoura, à la Pointe Pescade. La décision du déclenchement pour le premier novembre y fut prise au nom d'un front commun (?) : le Front de Libération Nationale, FLN. Les tracts de la proclamation du premier novembre, ronéotypés à la hâte à Ighillmoula par les soins des frères Zamoum, ont été distribués dans la nuit du 30 octobre au 1 er novembre. Peu avant, les affectations des responsables pour les différentes régions du pays se feront selon une logique parfois à rebours de l'efficacité et des plus surprenantes, ainsi:
Parcours d'un militant
Didouche l'Algérois, grand connaisseur de sa ville, n'aura pas la responsabilité d'Alger au 1er novembre, mais de Constantine. C'est au contraire Rabah Bitat le Constantinois, aucunement familier de la capitale et de ses environs, qui sera à la tête du commandement d'Alger. Ben M'hidi sera désigné pour 1'0ranie, avec comme adjoints les Constantinois Benabdelmalek et Boussouf, comme si ce département n'avait pas ses hommes de valeur (Boutlilis, Bensaïd, Benalla, Bouchaïb et Fartas, dont trois d'entre eux à l'étatmajor de l'OS). On peut raisonnablement penser qu'il s'est agi là de petits calculs de la part de Boudiaf pour contrecarrer le groupe de Constantine. En tout cas, les conséquences de ces choix seront immédiates et désastreuses. A l'échelle nationale, plusieurs centaines de militants, aussi bien de l'O. S que ceux du politique, non avertis du déclenchement, furent arrêtés dès le lendemain, torturés et condamnès à de nombreuses années de prison, comme par exemple Saïd Bouali et Rachid Mellah qui ont vu leur peine de 1950 dans l'affaire de Tébessa automatiquement doublée (4 ans pour Bouali et ,3 ans pour Mellah). Ils prendront le maquis après leur libération et y trouveront la mort.
De mon côté, dans le courantdu mois d'octobre,j'ai remis un stock de détonateurs, que j'avais encore en ma possession, à Chihani Bachir du Khroub, parce qu'il était devenu lieutenant de Ben Boulaïd et qu'ils en avaient besoin dans les Aurès. J'avais connu Chihani en Oranie quand il m'avait remplacé à la daïra du Sud, comme je l'ai relaté. J'avais de bons rapports avec lui et même de l'estime. Il avait été médersien, possédait l'arabe et le français, était un bon tribun et un bon organisateur. Sans être de l'OS ni avoir participé aux réunions de l'été, il était parfaitement au courant des crises dans la crise, et je me souviens de ses dernières paroles en le quittant: « Non, Mohamed, tu ne peux pas voir Ben Boulaïd, et il a ajouté, fais attention à toi ! .. » Je savais à quoi m'en tenir.
Divergences de vue et discordes sur …
En octobre donc, très affaibli par la maladie (un dèbut de tuberculose, je l'apprendrai par la suite) et de plus, dèboussolé par les échos qui me parvenaient des dernières tractations, j'ai pris le large …


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