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L'insurrection du 1er Novembre ou l'action irréversible Selon Me Bentoumi, l'action armée a été évoquée et programmée par Debaghine et Asselah Hocine dès 1944
A la veille du premier novembre 1954, le parti de l'indépendance, le PPA-MTLD, était divisé par une crise politique et de leadership qui a compromis, aux yeux des militants de base et de certains cadres, la seule raison d'être du parti : l'indépendance nationale. Les tergiversations de Messali quant au passage à l'action armée ont fini par lasser les anciens cadres et militants de l'Organisation spéciale (OS), qui s'étaient engagés dans une course contre la montre afin de passer coûte que coûte à l'action et mettre ainsi tout le monde devant le fait accompli. Genèse de l'idée de l'action armée Pour Me Bentoumi, l'idée de l'action armée était antérieure aux événements du mois de mai 1945 et a été soulevée pour la première fois par Lamine Debaghine. «Certes, dit Me Bentoumi, Messali a été à l'origine du parti indépendantiste qu'était l'Etoile nord-africaine, ensuite, le PPA et, enfin, le MTLD. Messali a été, en effet, l'initiateur du mouvement qui a pris en charge la revendication de l'indépendance nationale par l'action politique et il est resté le seul et pendant longtemps à porter cette idée indépendantiste. Mais l'idée de l'action armée a été lancée par Lamine Debaghine en 1944. D'ailleurs, poursuit Me Bentoumi, Messali lui-même, dans son rapport présenté au congrès d'Hornu, avait déclaré qu'il a été contacté par les amis du Manifeste, et plus précisément par Debaghine et Asselah Hocine qui lui ont proposé de déclencher l'action armée.» Il est à noter que Lamine Debaghine était un militant du PPA qui avait infiltré les Amis du Manifeste dont Asselah Hocine était le secrétaire général et Ferhat Abbas le président. Me Bentoumi affirme dans son témoignage que «Debaghine et Asselah avaient proposé à Messali de l'installer dans la ferme de Maaiza pour, d'une part, assurer sa sécurité dans la perspective d'engager l'insurrection et, d'autre part, pour diriger l'action armée à partir de ce quartier général que devait être la ferme Maaiza à Sétif». Messali a cité dans son rapport un certain Ouali, originaire de Bordj Ménaïel, qui sera en 1949, un des meneurs du mouvement dit «berbériste» et qui était en pleine activité pour préparer l'action armée. Pour rappel, Belounis, qui était responsable de la basse Kabylie, a été arrêté peu avant 1945 parce qu'il était lié à ces préparatifs de l'insurrection armée. «Messali Hadj laissait ainsi entendre dans son même rapport devant les congressistes d'Hornu que quelque chose était en préparation à l'initiative de Debaghine et de Asselah Hocine», affirme Me Bentoumi qui ajoute qu'après les massacres de mai 1945, l'idée de l'action armée s'était répandue et a germé dans l'esprit de tous les militants et de non militants puisque les gens du peuple étaient aussi impatients de voir l'action armée commencer pour se délivrer du joug colonial. Lors du premier congrès du MTLD, l'idée de la triple lutte a été lancée : la lutte clandestine avec le PPA, l'action armée à préparer et à mener par une organisation paramilitaire et l'action politique légale. Lors de ce congrès de février 1947, cette stratégie de triple lutte a été adoptée. Et c'est ainsi que naquit l'OS. Naissance de l'OS Lors de ce même congrès, une autre idée a commencé à prendre forme : la participation aux élections. Paradoxalement, la position participationniste aux processus électoraux coloniaux jaillit après les massacres de mai 1945 et au moment où les militants et la population étaient mûrs pour passer à un niveau qualitativement supérieur de la lutte pour l'indépendance. S'agit-il d'une tactique de leurre pour ne pas attirer l'attention de l'administration coloniale sur les préparatifs de l'insurrection ou d'une option stratégique d'une lutte politique pour la satisfaction de la revendication indépendantiste ? Me Bentoumi rappelle que, lors du congrès de 1947, l'état d'esprit général était favorable à l'abstention. D'ailleurs, rappelle Me Bentoumi, le PPA a toujours considéré la participation aux élections notamment législatives, comme une trahison. Cependant, raconte Me Bentoumi, «Messali a pesé de tout son poids pour inverser le rapport de force et de convaincre les congressistes à voter la participation en déclarant que lors de son séjour à Paris, il avait rencontré Azzedine Pacha qui lui a suggéré de prendre part aux élections et d'utiliser la tribune de l'Assemblée française pour la propagande de l'idée de l'indépendance nationale. Donc, Messali est resté attaché à l'idée de l'indépendance à travers l'action politique et la Constituante». Me Bentoumi estime que c'est là le fond de la pensée de Messali qui a trouvé face à lui la tendance radicale incarnée par Debaghine et Lahoual Hocine. Ce dernier a été acquis à l'idée de l'action armée lors de son incarcération pour insoumission et refus de porter l'uniforme de l'armée française et de prendre part à la Seconde Guerre mondiale. C'est ainsi qu'après sa libération en 1946, Lahoual a rejoint Debaghine dans sa conviction d'engager une insurrection armée immédiatement. Lors de la réunion du comité central du MTLD qui a précédé le congrès de février 1947, Messali a défendu son idée de participer aux élections et a convaincu tous les membres du CC à l'exception de Lahouel. Pour éviter une crise, Messali s'est soumis, lors du congrès, à l'idée de créer une organisation paramilitaire et dont la mission de mise en place a été confiée à Lahouel qui en fut l'artisan et le responsable politique puisqu'il était le seul membre du bureau politique en relation directe avec l'OS. Le premier chef d'état-major de l'OS était Mohamed Belouizdad. A l'origine, Aït Ahmed ne faisait pas partie de l'OS. Il était désigné par Lahouel pour aider Belouizdad à mettre sur pied l'Organisation. Mais l'état de santé de Belouizdad l'a contraint à partir se soigner en France et c'est ainsi qu'Aït Ahmed est devenu, de fait, le responsable de l'OS et son principal fondateur d'autant plus que tous les documents relatifs à l'OS sont l'œuvre d'Aït Ahmed. Mais par égard au premier responsable de l'OS dont Aït Ahmed reconnaît les qualités et les compétences, Lahouel ne manquait pas de rendre visite à Belouizdad à l'hôpital pour le consulter sur les questions relatives à l'organisation paramilitaire ou pour demander confirmation sur les rapports ou les propositions d'Aït Ahmed. Donc, l'Organisation spéciale est née, les responsabilités sont réparties et des directives sont données aux chefs de wilaya pour le recrutement de militants. C'est ainsi que Abane qui ne faisait pas partie de l'OS a été amené à créer l'OS dans la wilaya de Sétif. Abane a été impliqué dans l'affaire de l'OS et a été arrêté suite à sa dénonciation par Ali Pacha Rachid qu'il avait désigné à la tête de la structure paramilitaire de Béjaïa. Lorsque Ali Pacha a été arrêté, Abane avait senti le danger et s'est réfugié à Oran pour éviter d'être arrêté, mais là aussi, son nom a été cité par un militant torturé et il a fini par être arrêté. Il fallait donc tester cette organisation devant être le bras armé du parti indépendantiste et le fer de lance du combat libérateur. Donc, un exercice a été décidé avec Aït Ahmed, Ben Bella et d'autres responsables. A partir de Cherchell, ils devaient rejoindre la vallée du Chelif par mer, pour rallier le lieu où se tenait la réunion du comité central du parti. Lors de cette réunion, des subventions ont été débloquées au profit de l'OS et des instructions ont été données pour que l'OS engage quelques opérations militaires contre des cibles coloniales. C'est ainsi que l'opération de hold-up de la poste d'Oran a été montée mais il y a eu aussi l'exécution d'un Européen, chef de milice, qui terrorisait les populations en Kabylie. Aït Ahmed n'était pas seulement un responsable mais c'était aussi un homme de terrain, notamment dans le hold-up de la poste d'Oran. Cependant, Ben Bella, qui était le responsable de l'Oranie, a pris le train pour Alger et réservé une chambre dans un hôtel de la capitale pour s'offrir un alibi. Donc, Ben Bella n'a pas pris part au hold-up. Ces actions ont éveillé les soupçons de l'administration coloniale qui était sur ses gardes sans pouvoir agir faute d'informations précises. C'est l'affaire de l'enlèvement de Tébessa, connue dans les milieux du MTLD sous l'«Affaire Khiari», qui a permis le démantèlement partiel de l'OS. Me Bentoumi insiste sur le qualificatif «partiel», parce qu'il considère que sur les 1 500 ou 2 000 membres de l'OS, il n'y a eu que 500 arrestations. Si l'on déduit les 100 militants relaxés faute de preuves, et les évasions de prison, l'ossature de l'OS est restée presque intacte. Donc, plus d'un millier d'activistes de l'OS étaient en liberté même s'ils étaient contraints de vivre dans la clandestinité et dans la précarité malgré la solidarité des militants et de la population. Si le gros de l'OS a été préservé, c'est grâce à des militants de la stature de Abane. Ce dernier a été torturé pendant 40 jours, a subi les pires sévices, y compris la simulation d'exécution, sans craquer. Le coup dur porté à l'OS n'a donc pas été le coup de filet de la police coloniale mais la décision du parti de dissoudre l'Organisation. Me Bentoumi, poursuivant son témoignage, tient à insister sur deux éléments clés : en premier lieu, la force de caractère de la majorité des militants de l'OS arrêtés. La résistance à la torture de beaucoup de militants et leurs manœuvres leur ont permis d'être libérés ; en second lieu, la valeur des activistes de l'OS et leur détermination ont été sous-estimées par certains responsables du parti. Pour Me Bentoumi, il y a même eu des attitudes méprisantes à leur égard, ce qui a renforcé leur conviction de la nécessité de passer à l'action. Pour mettre en valeur la conviction de ces hommes, Me Bentoumi évoque l'évasion spectaculaire et unique en son genre de Zighoud Youcef et de Benaouda. Après s'être évadé de la prison de Annaba, Zighoud s'est dirigé vers le palais de justice de la ville, a escaladé le mur en s'agrippant à la gouttière. Il s'est introduit dans la salle où étaient archivés les dossiers des militants jugés ou en instance de jugement et y a mis le feu avant de s'éclipser. L'après OS et les origines du CRUA Après le démantèlement partiel de l'OS, un débat s'est imposé au sein de la direction du MTLD sur les risques qu'encourait le parti si jamais le lien entre le MTLD et l'OS était établi par l'administration coloniale. Donc, il fallait non seulement dissoudre l'OS mais surtout s'en laver les mains. A ce sujet, Me Bentoumi rapporte la position de Messali qui consistait à ne pas abandonner les membres de l'OS emprisonnés ou en clandestinité et encore moins contester les actions menées par ces éléments. Donc, pour Messali, il fallait défendre les éléments emprisonnés et les soutenir jusqu'au bout. A ce sujet, Messali a eu une position plus honorable que celle de la majorité du comité central du MTLD. Néanmoins, la dissolution de l'OS a été votée en 1951. Rappelons que l'OS était composée de militants permanents et de non permanents. Parmi ces derniers, certains ont cessé toute activité, alors que la majorité a intégré les structures de base du MTLD. Quant aux permanents, Lahouel a pris leur défense. C'est ainsi que Bitat et Boussouf ont été envoyés à Oran, d'autres envoyés en France et le restant a intégré la direction centrale à Alger. La particularité de tous ces éléments, qu'ils fussent permanents ou non, est qu'ils ont gardé contact entre eux soit par affinité amicale, soit par conviction politique dans le but de ressusciter l'OS, d'autant plus que certains n'ont jamais désespéré de voir leur organisation réhabilitée par le parti. Mourad Boukchoura, un membre de l'OS, habitant à la Pointe-Pescade, fabricant de sacs et de chaussures, a réussi à s'acheter un local rue Valentin grâce à l'aide de Me Bentoumi. Ce magasin était une boîte postale, un point de convergence et de réunion et de contacts des anciens de l'OS. Lorsque la crise du parti a éclaté entre centralistes et messalistes, Lahouel, qui était secrétaire général du PPA-MTLD, ancien responsable politique de l'OS, a suggéré à Ben Khadda de récupérer les anciens membres de l'OS et de les gagner aux thèses des centralistes. Lahouel a donc rappelé Boudiaf et Didouche qui étaient affectés à la Fédération de France et les a chargés de rassembler les anciens cadres de l'OS. C'est ainsi que la configuration de la composante du Comité révolutionnaire pour l'action et l'unité (CRUA) a pris forme. En plus d'anciens cadres de l'OS, Lahouel en sa qualité de directeur de l'organe central du parti, Le Patriote, et Dakhli, membre du Comité central, ont pris part à la première réunion qui a donné naissance au CRUA en mars 1954. Les choses se passaient bien entre Lahouel et les anciens de l'OS jusqu'en juillet. L'entente était telle que les messalistes s'étaient mis à dénoncer cette connivence douteuse entre centralistes et anciens de l'OS. Ce rapprochement entre centralistes et activistes de l'OS a valu à Boudiaf une agression physique derrière la mosquée de Ketchaoua. Boudiaf menait des contacts parallèles avec ses anciens camarades de l'OS à l'insu de Lahouel qui finançait l'activité du CRUA. Ainsi, trois millions d'anciens francs sur les cinq promis ont été débloqués par Lahouel au profit du CRUA et que Boudiaf a utilisés pour acheter les produits nécessaires à la fabrication de bombes et financer tous les besoins logistiques des activistes. Deux millions d'anciens francs ont été également débloqués pour les besoins du bureau du CRUA du Caire. Au mois de juillet 1954, la réunion des 22 a eu lieu. Ce n'est qu'après cette réunion où l'essentiel des préparatifs de l'insurrection était fait, que Boudiaf informe Lahouel des intentions des activistes de l'OS de déclencher une insurrection armée dans l'immédiat. Selon Me Bentoumi, Lahouel ne s'est pas opposé au principe de l'action armée dont il était convaincu depuis au moins 1946, mais s'est opposé au timing qu'il considérait comme trop précipité par rapport à la réalité du terrain et au manque de moyens logistiques et militaires. Lahouel, ayant en mémoire la déroute de l'OS, préférait le début de 1955 afin de réunir toutes les conditions objectives et subjectives d'une action à laquelle adhéreraient la majorité des militants. Mais Boudiaf et ses amis avaient déjà tranché et ont décidé de passer à l'action, advienne que pourrait. Pourtant, Boudiaf et tous ceux qui avaient accepté le principe d'une action armée dans l'immédiat, connaissaient la réalité politique du pays, l'état d'esprit des militants et avaient même eu des oppositions au sein de la réunion des 22, comme la position de Mechati qui représentait le Constantinois. Après avoir désespéré de Boudiaf, Lahouel s'était déplacé fin octobre au Caire en compagnie de M'hamed Yazid pour convaincre la délégation du Caire de reporter l'échéance à une date ultérieure. Deux jours après son arrivée au Caire, l'insurrection avait déjà éclaté en Algérie. Lahouel a eu une altercation avec Ben Bella dont il redoutait la connivence avec les Egyptiens. Il a exigé que les ces derniers ne se mêlent pas des affaires algériennes, qu'ils ne communiquent pas avec Ben Bella seul mais avec au moins trois membres de la délégation du Caire et que les contacts ne se fassent pas avec les services de renseignements égyptiens mais à un niveau politique. Etant seul contre tous et en territoire acquis à l'action armée immédiate, Lahouel a été isolé et rentra bredouille en Allemagne. Lors de la réunion des 22, les tâches ont été réparties. Bitat devait s'occuper du Constantinois et Didouche de l'Algérois. Didouche et Zoubir Bouaadjadj étaient des amis intimes et ont pris en charge la préparation de l'insurrection à Alger. Au dernier moment, Bitat a convaincu Didouche de superviser l'insurrection à Constantine pour lui laisser l'Algérois. Didouche a accepté sachant que Bitat n'avait pas le temps de s'adapter à un milieu qui lui était étranger, a conclu Me Bentoumi. C'est dans ce contexte que l'insurrection du 1er Novembre 1954 a été préparée et engagée. Les activistes de l'OS dont la majorité étaient dans la clandestinité n'avaient plus rien à perdre face aux tergiversations de Messali, qui était convaincu que rien ne pouvait être fait sans lui, et à la temporisation des centralistes qui ne voulaient pas que la direction politique de l'action armée leur échappe. A. G.