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L'historien français Olivier Le Cour Grandmaison au SILA : «Spectaculaire retour en grâce de la colonisation»
Publié dans El Watan le 07 - 11 - 2009

L'abrogation de l'article 4 de cette loi controversée n'a, selon lui, pas annulé toute la philosophie du législateur sur «l'entreprise civilisationnelle» de la colonisation. «L'article premier de la loi du 23 février précise que "la nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, du Maroc, de Tunisie, d'Indochine ainsi que dans les territoires placés ultérieurement sous la souveraineté française". Par quelle grâce ces territoires ont-ils été placés sous cette souveraineté ?», s'est-il interrogé. Nul besoin, selon lui, d'être grand spécialiste de la langue pour comprendre que le terme «œuvre», utilisé dans le texte de loi, est porteur de connotation positive. «La France est le seul Etat démocratique et la seule ancienne puissance coloniale européenne où existe une loi qui sanctionne officiellement une interprétation particulière du passé. C'est pour cela qu'il ne faut pas se contenter de la suppression de l'article 4 de la loi du 23 février», a-t-il précisé. Ce texte de loi est, selon lui, le signe d'une réhabilitation coloniale sans précédent depuis la fin de la guerre d'Algérie, en 1962. Il en veut pour preuve le discours de Nicolas Sarkozy (alors candidat à l'élection présidentielle en 2007) fait à Toulon, ville conquise pendant longtemps par le parti raciste du Front national (FN) de Jean-Marie le Pen. «Sarkozy avait dit qu'il allait chercher les militants du FN un par un. Il a tenu parole ! Cela passe par la réhabilitation du passé colonial de la France. L'autre problème est la mise en place d'un ministère de l'Identité nationale, une première dans l'histoire de la République et de l'Europe !», a expliqué l'historien. Dans son ouvrage, Olivier Le Cour Grandmaison a repris un passage du discours de Nicolas Sarkozy à Toulon dans lequel il appelait à engager «une politique de civilisation» comme le voulaient les philosophes des lumières et les républicains du temps de Jules Ferry.
«Faire une politique de civilisation pour répondre à la crise d'identité, à la crise morale, au désarroi face à la mondialisation. Faire une politique de civilisation, voilà à quoi nous incite la Méditerranée (…). La source n'est pas tarie. Il suffit d'unir nos forces et tout recommencera», avait déclaré Nicolas Sarkozy. Olivier Le Cour Grandmaison a qualifié ces propos d'«apologétiques» de la colonisation. «Guerre des mémoires» et «repentance» sont, pour lui, des pseudo-concepts grossiers inventés par les nostalgiques du passé colonial pour défendre «l'unité et la fierté nationales». «Il y a là un spectaculaire retour en grâce de la colonisation», a-t-il soutenu. Selon lui, les partisans de l'Empire sont plus nombreux aujourd'hui qu'hier. «Nous sommes dans une situation régressive qui affecte modérément l'université. Il y a toujours possibilité d'écrire autrement sur le passé colonial de la France», a-t-il relevé. Il n'a pas manqué de souligner que certains académiciens commencent à entrer dans le jeu de la réhabilitation du colonialisme. Il a évoqué le cas de Max Gallo, écrivain et historien, membre de l'Académie française depuis 2007 (il avait échoué lors d'une précédente élection en 2000). «Max Gallo se pense un grand historien. Il est devenu une sorte de plume officielle du régime. Il soutient toute une série d'initiatives relatives à la restauration d'un passé prestigieux afin, dit-il, de rétablir la fierté d'être français», a observé Olivier Le Cour Grandmaison. M. Gallo est auteur de plusieurs biographies comme celles sur Napoléon, de Gaulle, Victor Hugo et Constantin le Grand.
Pierre Rosanvallon, qui a écrit sur l'histoire de l'Etat français depuis la Révolution de 1789 a, selon le conférencier, négligé le caractère impérial de la République. «Les effets de la construction de l'Empire m'ont plus intéressé dans l'ouvrage que je viens de publier. Les républicains, favorables aux conquêtes coloniales, ont réussi à faire de la France la seconde puissance impériale après la Grande-Bretagne à partir de 1871», a-t-il noté. Selon lui, le code algérien de l'indigénat, qui était l'un des plus durs, a servi de matrice pour les autres codes au fur et à mesure que l'expansion coloniale se poursuivait en Afrique et en Indochine. «Dans les colonies, les colons jouissaient de leurs droits démocratiques. En même temps, les indigènes, comme on les appelait à l'époque avec mépris, avaient un traitement particulier.
Ils étaient considérés comme des sujets français privés de leurs droits, comme celui de voter. A cela s'ajoutent toutes les dispositions répressives», a-t-il relevé comme pour mieux expliquer le caractère impérial de la République, née pourtant pour assurer l'égalité de tous et pour faire oublier les injustices de la monarchie. D'après Olivier Le Cour Grandmaison, Nicolas Sarkozy va continuer à puiser dans le même registre du «passé glorieux» pour entretenir son électorat d'extrême droite. «Il va poursuivre ses déclarations sur la fierté d'être Français», a-t-il prévu. Il a évoqué l'ouverture prochaine d'un musée sur l'histoire de France. «On peut penser que ce musée aura pour fonction de mettre en scène le passé glorieux de la France, des croisades jusqu'à nos jours», a-t-il noté.
Selon Mohamed El Korso, qui a modéré les débats, Olivier Le Cour Grandmaison fait partie d'une minorité dérangeante en France. «L'université française est divisée en deux tendances qui s'affrontent. La première qui fait œuvre d'histoire positive telle que la République impériale et telle que l'actuelle République le voulaient. La deuxième, à laquelle appartient Olivier et Gilles Manceron, qui a une vision sur le colonialisme», a-t-il précisé. «La République impériale, politique et racisme d'Etat» se veut une suite de Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l'Etat colonial, sorti en 2005. Olivier Le Cour Grandmaison est enseignant de philosophie politique à l'université d'Evry-Val-d'Essonne et au Collège international de philosophie. Il a dirigé récemment un ouvrage collectif sous le titre de Douce France. Rafles. Rétention. Expulsions, sur la migration. Mohamed El Korso a souhaité la traduction en arabe de 17 octobre 1961, un crime d'Etat à Paris, autre ouvrage collectif auquel a participé Olivier Le Cour Grandmaison.


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