La proposition est faite et le débat commence à s'installer. A moins d'un mois de la convocation du corps électoral en prévision de l'élection présidentielle d'avril 2019, l'opinion nationale assiste à une sorte de processus tendant à ajourner le rendez-vous. En effet, on est passé, en quelques semaines, de l'idée d'une 5e mandature du chef de l'Etat à celle de la prorogation du mandat actuel pour entrer dans une période de transition. Des initiatives sont déjà lancées dans ce sens. Deux appels convergents ont été enregistrés au cours de la semaine dernière. Ils ont émané de deux responsables politiques : l'un est dans l'opposition depuis 2012, et l'autre a intégré la coalition gouvernementale il y a quelques mois. Il s'agit du président du MSP, Abderrazak Makri, et du président de TAJ, Amar Ghoul. Le premier a plaidé carrément pour le report de l'élection présidentielle, et le second a appelé à une conférence pour dégager «un consensus national en vue de faire face à la situation difficile que traverse le pays». La suggestion de Amar Ghoul de la tenue de cette conférence sous l'égide du président Bouteflika a été interprétée comme une volonté de donner un sens à celle de Abderrazak Makri et préparer l'opinion à l'annonce officielle du report du scrutin présidentiel. Pour l'instant, la proposition n'a pas reçu de réponse, notamment des partis appelant «à la continuité», en l'occurrence le FLN et le RND. Mais leur silence peut aussi être interprété comme étant un «oui» déguisé. Partie prenante du pouvoir, les responsables de ces deux formations ne se gêneront pas d'épouser cette idée en cas de blocage autour du candidat du «consensus». Il ne restera alors que l'argument justifiant une telle option. Comment faire ? Légalement, le report de la présidentielle dans la situation actuelle n'est pas justifié. C'est ce que pense la constitutionnaliste Fatiha Benabou. «Juridiquement et au plan de la légalité, la Constitution ne permet pas le report de l'élection», explique-t-elle. Selon elle, le report des élections est prévu seulement dans des conditions citées par l'article 110 de la Constitution. «Pendant la durée de l'état de guerre, la Constitution est suspendue, le président de la République assume tous les pouvoirs. Lorsque le mandat du président de la République vient à expiration, il est prorogé de plein droit jusqu'à la fin de la guerre. Dans le cas de la démission ou du décès du président de la République, ou tout autre empêchement, le président du Conseil de la nation assume en tant que chef de l'Etat et dans les mêmes conditions que le président de la République, toutes les prérogatives exigées par l'état de guerre. En cas de conjonction de la vacance de la présidence de la République et de la présidence du Conseil de la nation, le président du Conseil constitutionnel assume les charges de chef de l'Etat dans les conditions prévues ci-dessus», lit-on dans cet article. Cependant, ajoute la constitutionaliste, «la réalité algérienne nous renseigne que la politique n'est pas toujours saisie par le droit». «Il y a toujours un balancier entre la période de constitutionnalité et celle de l'a-constitutionnalité. L'Algérie a vécu de longue période d'a-constitutionnalité où les institutions et la Constitution n'ont pas fonctionné. J'ai en tête la période de 1965-1976 qui, comme l'avait affirmé le professeur Ahmed Mahiou, est la plus stable de l'Algérie. Il y a eu aussi la période 1992-1996», souligne-t-elle. Selon elle, le report des élections peut intervenir s'il y a un rapport de force politique favorable. «Mais il faut qu'il y ait un acteur puissant qui contrôlera cette période d'a-constitutionnalité. Celui-ci peut être l'ANP. Mais la tâche est difficile, car il y a une sorte d'anomie dans le pays. Si elle n'est pas contrôlée, cette période peut déboucher sur une désobéissance civile généralisée», met en garde la constitutionnaliste Fatiha Benabou.