L'auteur de Aux Etats-Unis d'Afrique, best-seller mondial, qui a beaucoup travaillé sur les problématiques de l'identité africaine, nous livre ici son analyse sur les significations du 2e Festival panafricain. Ou comment regarder l'Afrique de maintenant, au-delà des clichés et des cadres imposés aussi bien par l'exotisme d'ailleurs et les autoritarismes locaux. L'Algérie accueille le 2e Festival panafricain, 40 ans après le premier de 1969. Le discours officiel place l'événement sous le label « Algeria is back ! Africa is back ! » : j'ai envie de vous poser d'abord la question, avant 2009, où était l'Afrique ? C'est un aveu d'impuissance. Jusqu'à nouvel ordre, les Algériens sont des Africains et donc en mesure de savoir où ils sont. Non seulement eux-mêmes, mais également où et qui sont leurs voisins et les autres habitants du continent. Il fut un temps où les Algériens savaient où ils étaient et où étaient les autres. Il fut un temps où les Algériens savaient qui ils étaient et qui étaient les autres. Dans les années 1960-1970, Alger était le carrefour pour tous les combattants africains mais aussi arabes, asiatiques, caribéens et sud-américains. Puis, sont arrivées les années d'amnésie, de perte de repères, d'oubli de soi d'abord et des autres ensuite. Enfin, cela est une observation plus globale, ce phénomène, qui a ses racines dans la politique au sens noble du terme, n'est pas un mal proprement algérien. On le constate ailleurs aussi. L'Union africaine et les gouvernements africains ont été mobilisés pour la « réussite » du Panaf : peut-on vraiment concilier création culturelle et censure pratiquée par la plupart des gouvernements africains ? Ce que j'ai écrit précédemment vaut également pour cette question. Si mes informations sont bonnes, le Maroc n'est pas présent au 2e Festival panafricain d'Alger. J'ignore à quel niveau se situe la responsabilité. La conclusion que j'en tire est la suivante : si le Maroc n'est pas présent, alors ça ne sert à rien de déployer le tapis rouge pour le Swaziland, le Cap-Vert ou toute autre nation. A moins de me démontrer que le Maroc de Abdellatif Laâbi ou des Gnawas n'est pas africain. A chacun de tirer ses conclusions. Beaucoup a été dit par les officiels sur « l'identité africaine » : existe-t-elle réellement de manière monolithique ? Aucune identité n'est monolithique. Ce que nous désignons imparfaitement sous le terme d'identité est un mouvement qui s'inscrit dans le temps et l'espace. L'identité des différents groupes algériens des siècles derniers, n'est pas la même que celle de l'Algérie actuelle. Idem pour les autres contextes africains. L'un des problèmes des Africains d'aujourd'hui est le suivant : nous nous regardons avec les yeux d'autrui. Nos manières de penser, de faire, de vivre ne sont pas endogènes. Ce n'est pas pour autant que nous devons rejeter ces discours, ces représentations pour nous réfugier dans je ne sais quel passé idyllique. Il faut les interroger, les historiciser, les contextualiser constamment. Bref utiliser les ressources de l'esprit. Comment parler de culture africaine, des arts premiers, de « la beauté, toute l'émotion, tous les rythmes », sans tomber dans le regard ethnocentriste hérité de l'Occident ? Ce regard doit être passé constamment au crible de la raison. Nul n'a le monopole de la raison. Ni les Grecs anciens, ni les Egyptiens de Cheikh Anta Diop. Ni les Occidentaux d'aujourd'hui. On peut très bien utiliser ce que l'Occident (une entité trop vague à mon goût comme toutes les généralisations telle l'Orient, le continent noir, etc.) a produit de meilleur pour le bienfait de nos populations. Le Japon l'a fait hier, d'autres le feront car les échanges sont une constante dans l'histoire humaine. On présente le chorégraphe français Kamel Ouali, l'actrice française Isabelle Adjani comme des têtes d'affiche du festival, sans vraiment parler des stars africaines. Cela ne dénote-t-il pas le syndrome de suivisme culturel ? Pour moi est Africain qui se définit comme tel. Si Kamel Ouali et Isabelle Adjani se considèrent comme Africains, ils sont les bienvenus. On doit mettre en avant les gens de talent, d'où qu'ils viennent. Pour le casting des têtes d'affiche, il faut poser cette question aux organisateurs. L'Algérie vient de créer des centres de rétention de « sans-papiers » africains dans son Sahara et le nombre de reconduites aux frontières a battu tous les records ces dernières années. Comment peut-on concilier panafricanisme et politique d'immigration que nous dénonçons lorsqu'elle est pratiquée par l'Europe ? Je ne voudrais pas paraître cynique, mais les dirigeants politiques ont des intérêts qui ne riment pas avec les bonnes intentions. Il ne s'agit pas pour autant de laisser les coudées franches à la classe politique. Il faut saisir cette opportunité, lors des multiples manifestations du Panaf, pour rappeler aux autorités algériennes qu'elles perdent leur âme dans cette affaire. Je saisis, de fait, moi-même, cette chance que vous m'offrez en publiant ces lignes, pour rappeler aux plus hautes autorités algériennes leur devoir moral vis-à-vis de leurs frères africains. Le visage de tous les hommes est le même. Le sort de tous les hommes nous concerne. On ne pourrait pas se mobiliser le cœur léger pour un ressortissant algérien en difficulté en Europe, par exemple, quand dans le même temps les autorités algériennes laissent dans le désert un sans-papiers nigérian, sénégalais ou camerounais. Je ne suis pas pour autant optimiste car d'autres pays africains, plus riches que leurs voisins, comme la Libye ou l'Afrique du Sud pour ne nommer qu'eux, se rendent coupables de faillites similaires. Tous ces Etats enterrent chaque jour un peu plus les idéaux du panafricanisme et cela ne peut que chagriner les hommes et les femmes de culture, et pas seulement. Remettre en selle les valeurs humaines du panafricanisme et redorer le blason des grands artistes africains (et de la diaspora), tel était le but de mon roman Aux Etats-Unis d'Afrique publié, à ma plus grande joie, à Alger aussi. Puisse ce festival qui est aussi une magnifique plateforme publicitaire pour les autorités algériennes remettre les germes dormants mais vivants des idéaux du panafricanisme. Bio express Abdourahman A. Waberi est né en 1965 à Djibouti. Il a quitté son pays en 1985 pour poursuivre des études en France. Son premier ouvrage, Le Pays sans Ombre paru en 1994, largement primé, obtient le Grand Prix de la nouvelle francophone de l'Académie Royale de langue et littérature française de Belgique. Aux Etats-Unis d'Afrique, son avant-dernier livre a connu un grand succès critique. Le 26 août prochain paraîtra aux éditions J. C. Lattès son roman Passage des larmes.