Marie Ladier-Fouladi, socio-démographe et chercheuse à Paris au CNRS, étudie la cartographie électorale de la République islamique depuis plusieurs années. L'universitaire iranienne vient de publier Iran, un monde de paradoxes, aux éditions Atalante. Que se passe-t-il en Iran ? Une révolution ? Une insurrection ? Un malaise social ? C'est moins la révolution de la rue que le bras de fer entre les guides de la révolution l'ayatollah Khomeni et Hashemi Rafsandjani, qui est derrière Moussavi et la contestation des jeunes. Ces derniers demandent simplement qu'on recompte leurs voix. Il n'y a pas de remise en cause du système, ni du guide. Ce n'est pas un mouvement révolutionnaire, c'est un mouvement civique. Il reste que nous assistons au premier bug de la Révolution islamique de Khomeini. Comment expliquer ce bug ? Les différentes factions au pouvoir ont eu de la peine à trouver un compromis. Ensuite, Mahmoud Ahmadinejad veut verrouiller le jeu politique en imposant les fondamentalistes et en virant pour de bon les réformateurs. On se trompe en Occident, quand on pense qu'il y a une vraie opposition à l'intérieur du pays. En réalité, il s'agit de rivaux au sein de la faction fondamentaliste au pouvoir. Cela dit, il est faux de parler d'opposition et de parti politique en Iran. Ça n'existe pas. Tout est décidé par les ayatollahs et les gardiens de la révolution. Le problème, c'est que le régime est à bout de souffle et qu'il cherche à sauver la face. Et la société civile dans tout cela ? Elle est mécontente. La faute revient à la crise économique avant tout. Le chômage touche par exemple la majorité des jeunes qui constituent 70% de la population. Les Iraniens sont aussi fatigués par l'endoctrinement de la Révolution islamique. La jeunesse des milieux bourgeois, qui a manifesté à Téhéran, n'a pas peur de revendiquer plus de liberté sur le plan sexuel, politique... Une majorité d'Iraniens rejette aussi le système politique des mollahs. Ils sont bien conscients qu'il n'est fait que de marchandages au sein d'une élite religieuse qui tient d'une main de fer le pouvoir. Et ces derniers vont encore plus verrouiller la société, même s'ils ont lâché du lest en laissant les féministes s'activer à travers le pays et en laissant les étudiants rêver à un Iran démocratique et pluraliste, voire laïc. Le régime a donc perdu le contrôle ? La société a gagné en autonomie. La baisse de la natalité le prouve par exemple. Elle montre une évolution positive du statut de la femme. Tout cela indique aussi que les religieux sont restés enfermés dans leur logique chiite archaïque. Ils n'ont pas compris la menace Twitter. Un simple site internet a cassé leur propagande. Reste à voir si Moussavi aura le courage d'aller jusqu'au bout ou s'il va, comme d'habitude, rentrer dans l'ordre et sacrifier la population. Tout va donc se calmer … Oui, parce que la répression est très forte et que de nombreux meneurs ont été arrêtés. Mais cela ne veut pas dire que la contestation va disparaître. Les Iraniens qui rejettent les fondamentalistes vont trouver d'autres moyens de combat. Un verrou a sauté. Et les mèches rebelles ne sont pas prêtes de se cacher sous un voile. Aujourd'hui, le régime veut gagner du temps pour remettre de l'ordre au sein des factions parce que Rafsandjani, Moussavi, Ahmadinejad, le guide Khomeni appartiennent à la même famille politique. Ils sont tous des enfants de la révolution. Ils vont trouver des compromis pour redistribuer les cartes. L'objectif est de sauvegarder le système Khomeini. Moussavi n'est qu'un opposant de pacotille… Mir Hossein Moussavi n'a jamais demandé aux gardiens de la révolution de ne pas tirer sur la foule. Les réformateurs comme les ultraconservateurs jouent au même jeu, sur le dos de la population. Bref, on exagère son combat pour un Iran plus démocratique… Exactement. Moussavi est soutenu par Rafsandjani, par une partie des réformateurs seulement et par une partie des fondamentalistes issus du camp de Mahmoud Ahmadinejad. Ils n'approuvent pas sa politique trop rigoriste. Rafsandjani, l'homme qui tire les ficelles … Le guide ne vise pas Rafsandjani mais plutôt sa famille sur qui pèsent des accusations de corruption et de pratiques mafieuses. Les pro-Ahmanidejad accusent les pro-Rafsandjani de s'accaparer des pans entiers de l'économie iranienne. Des membres de sa famille ont été arrêtés puis relâchés grâce à la pression de Hachemi Rafsandjani qui reste un des piliers du régime. Mais les gardiens de la révolution semblent plus que jamais déterminés à se débarrasser de lui. Quelle suite donner aux événements ? Désormais plus rien ne sera comme avant. En deux semaines, des tabous sont tombés en Iran. Qui aurait cru qu'il serait possible de défier, dans la rue et sur internet, un des régimes les plus totalitaires au monde ? Les Iraniens ont bravé leur peur. Depuis la révolution, ils ont toujours obéi au régime des mollahs. Aujourd'hui, avec le feu qui couve dans le sérail des ayatollahs, c'est la République islamique qui est sous pression. La présidence d'Ahmadinejad doit gérer la crise avec les capitales occidentales mais aussi avec une société iranienne qui sait, désormais, dire non et surtout caillasser les chiens de garde de la Révolution islamique.