Sa candidature fut refusée au motif que son statut religieux était contraire aux principes de laïcité sur lesquels est basé l'enseignement supérieur en France. L'administration universitaire craignait que le statut religieux de Bouteyre risque d'influencer la méthodologie pédagogique pratiquée au sein de l'université. Bouteyre intenta une action en justice par devant le juge administratif du conseil d'Etat français contre le refus de concourir que lui opposa l'administration. Il fut débouté (arrêt du conseil d'Etat en date du 10 mai 1912) au motif qu'il appartient à l'administration d'arrêter la liste des candidats admis à concourir, en écartant de cette liste les candidats jugés incapables ou indésirables au regard de l'intérêt du service public. Cet arrêt confirme le principe que l'administration apprécie, dans l'intérêt du service, si les candidats présentent les garanties requises pour l'exercice des fonctions dont ils auront la charge. Le même cas mais à grande échelle s'est présenté chez nous, il concerne des milliers d'anciens fonctionnaires qui ont été licenciés dans le cadre de la tragédie nationale. Une liberté d'opinion conditionnée par l'obligation de réserve et d'impartialité La Constitution de 1996 confirme l'inviolabilité de la liberté d'opinion (art. 29 et 36), l'ordonnance n°06-03 portant statut général de la Fonction publique garantit la liberté d'opinion au fonctionnaire (art. 26 et 27). Cette consécration a deux conséquences : la première est la non-discrimination des fonctionnaires ; toute discrimination entre les fonctionnaires fondée sur leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques, sur leur état de santé, leur handicap, leur sexe, leur origine ou leur appartenance ethnique est interdite ; la deuxième conséquence est de permettre au fonctionnaire de penser librement. Les convictions religieuses ou politiques d'un fonctionnaire ne sauraient justifier ni un rejet de candidature ni une mesure disciplinaire. Aussi, aucune mention faisant état des opinions politiques, syndicales ou religieuses de l'intéressé ne doit figurer dans son dossier administratif (art 93 de l'ordonnance n°06-03). Mais, si la liberté d'opinion du fonctionnaire est un droit garanti et protégé, il n'en demeure pas moins qu'il est astreint à l'obligation de réserve. Le fonctionnaire jouit de ce droit dans la limite de l'obligation de réserve qui lui incombe (art 26 de l'ordonnance n°06-03). On entend par obligation de réserve, l'interdiction faite au fonctionnaire de faire de sa fonction l'instrument d'une propagande quelconque. Il doit s'abstenir de manifester, par des paroles ou par des actes, une quelconque opinion. Ainsi, sous peine de s'exposer à une sanction disciplinaire, le fonctionnaire doit faire preuve de réserve et de mesure dans l'expression, tant écrite qu'orale, de ses opinions personnelles, à l'égard des administrés et des autres fonctionnaires. Par ailleurs, un autre principe fonde l'obligation de réserve, qui n'est pas de moindre importance que les principes sus-énoncés, mais qui est mis plus au service des usagers que du fonctionnaire, c'est le principe d'impartialité. La notion d'impartialité du service public est censée établir la conciliation nécessaire entre la position de subordination dans laquelle se trouve tout fonctionnaire à l'égard du pouvoir politique et les convictions auxquelles, comme tout autre citoyen, il a la liberté fondamentale d'être fidèle. Les services publics existent en effet pour satisfaire l'intérêt public et non les intérêts du pouvoir établi. Les fonctionnaires sont donc au service non du pouvoir politique mais des administrés ou des usagers à l'égard desquels ils doivent faire preuve d'une stricte impartialité. Ainsi, bien qu'il n'est pas lié à l'administration par un contrat politique avec le pouvoir en place, le fonctionnaire est par contre lié dans l'exercice de ses fonctions par l'obligation de réserve qu'il doit observer avec rigueur en s'abstenant de toute expression qui va à l'encontre de son impartialité envers ceux qu'il sert, que ce soit dans ses opinions ou son comportement en général ; c'est l'esprit de l'article 23 de la Constitution de 1996 qui garantit l'impartialité de l'administration, donc du fonctionnaire. L'impartialité du fonctionnaire doit être aussi comprise comme une marque de loyauté à l'égard du gouvernement. L'article 41 de l'ordonnance n°06-03 dispose: «Le fonctionnaire est tenu d'exercer ses fonctions en toute loyauté et impartialité.». La loyauté ne veut pas dire loyalisme. Ce dernier implique que le fonctionnaire sert un pouvoir qui gouverne et non des administrés et usagers d'un service public et de surcroît signifie que le fonctionnaire est sympathisant, adhérent ou responsable dans le parti qui est au pouvoir (obligation de conformisme). C'est ainsi que l'impartialité des services publics, qui implique celle des fonctionnaires, fonde l'obligation de réserve, c'est-à-dire de retenue, de modération dans l'expression d'opinions de toute nature. Dans le cas contraire, c'est une dérive caractérisée par une faute professionnelle grave qui mérite une sanction disciplinaire du même niveau. Des dérives et des errements ont été constatés dans les administrations publiques bafouant les obligations de réserve, d'impartialité et de loyauté, même la tenue vestimentaire a été altérée. C'est dans cet esprit que le gouvernement de M. Abdessalem Belaïd a fait publier le décret exécutif n°93-54 du 16 février 1993 déterminant certaines obligations particulières applicables aux fonctionnaires et agents publics ainsi qu'aux travailleurs des entreprises publiques. A titre d'exemple, l'article 5 de ce décret interdisait au fonctionnaire tout acte, comportement et commentaire réputés incompatibles avec leur fonction. Ainsi, tout acte, propos, attitude ou discours visant à nuire à l'Etat et à ses institutions ou compromettant l'action des pouvoirs publics ou favoriser ou contrecarrer indûment l'action de toute association, groupe ou formation régulièrement déclarés est interdit. Même la tenue vestimentaire et l'hygiène étaient de rigueur. Ce texte a été suivi de l'instruction interministérielle n°384 CI du 10 mai 1993 relative aux modalités de mise en œuvre des dispositions du décret exécutif n°93-54. Cependant, comme tout texte, ce décret a été souvent victime d'une mauvaise interprétation ou d'une utilisation à des fins personnelles, ce qui a généré des excès qui ont débordé du cadre général fixé à ce texte. La réconciliation nationale n'est pas une clé magique Rappelons que pour mettre un terme aux effets et conséquences de la tragédie nationale et afin de rétablir la concorde civile, les pouvoirs publics ont décidé la réconciliation nationale (loi n° 99-08 et l'ordonnance n° 06-01). Un grand pas avait été franchi par les autorités politiques dans ce sens par l'abrogation du décret n°93-54 qui était à l'origine de plusieurs évictions de fonctionnaires et constituait souvent une assisse juridique à des décisions arbitraires graves dont les motifs «inavoués» ne se trouvaient pas toujours dans les dispositions dudit décret. Ainsi, le décret présidentiel n° 06-124 du 27 mars 2006 fixant les modalités de réintégration ou d'indemnisation des personnes ayant fait l'objet de mesures administratives de licenciement pour des faits liés à la tragédie nationale est venu abroger les dispositions du décret de 1993. Des commissions furent installées dans toutes les wilayas en vue d'étudier les demandes de réintégration et d'indemnisation de ces ex-fonctionnaires. Les dernières statistiques données par le ministère de la Solidarité (2006) mentionnent que sur 6448 demandes d'indemnisation, 3992 ont été acceptées pour une enveloppe budgétaire de 15 milliards DA. Le nombre des avis favorables à la réintégration ne dépassent pas 1000 cas. D'où le sentiment qu'il y a une volonté politique à faire obstacle à la réintégration de ces ex-fonctionnaires dans leurs postes de travail. La circulaire n°08 du 9 avril 2006 frappée du sceau de la confidentialité de l'ex-chef du gouvernement, M. Ouyahia est venue confirmer cette volonté. L'indemnisation est privilégiée au détriment de la réintégration, notamment pour les cas ayant déjà exercé dans les administrations publiques de l'éducation, l'enseignement supérieur, la formation professionnelle, les mosquées et les organes de presse, l'ex-chef du gouvernement, actuellement Premier ministre, enjoignit les walis sur l'impératif de : «…Prévaloir la voie de l'indemnisation sur la réintégration dans toutes les situations requises… ». Bien que la finalité d'une telle disposition est connue, celle de priver ces éléments d'un perchoir officiel pour véhiculer leurs idées ou de se positionner en victimes, notamment eu égard à leur situation sociale, économique et psychique, il n'en demeure pas moins que plusieurs voix se sont élevées contre ces décisions qui privilégient l'indemnisation au détriment de la réintégration, arguant que le montant alloué à l'indemnisation était dérisoire par rapport à la cherté de la vie et les difficultés liées à une réinsertion sociale réussie dans les autres domaines, notamment le commerce ou l'agriculture, ils préfèrent de ce fait la réintégration dans leur poste d'origine quitte à perdre le bénéfice du montant de l'indemnisation. Dans la majorité des recours formulés par ces ex- fonctionnaires demandant leur réintégration, la commission s'est opposée en confirmant l'option de l'indemnisation au motif que l'enquête sécuritaire n'était pas favorable. L'attention des walis est attirée sur leur responsabilité directe dans la stricte application de la circulaire sus-citée. Cette dernière disposition donne un large pouvoir discrétionnaire à la commission pour en décider. La commission se basera sur les rapports des services sécuritaires sur les intéressés, voire leur allégeance à l'Etat. L'esprit de l'arrêt Bouteyre trouve ici pleinement sa raison d'être, notamment si on voit les effets et les conséquences d'une réintégration dans le même poste avec les mêmes fonctions, un enseignant universitaire par exemple qui a la charge de donner des conférences à des centaines voir des milliers d'étudiants pourrait avoir des difficultés à se concentrer uniquement sur sa conférence sans déraper sur des sujets auxquels il a été mêlé de près ou de loin. Se cantonner dans les sujets du programme officiel relève donc d'un exercice difficile à assumer. C'est pourquoi l'abbé Bouteyre est refoulé aux portes de l'administration publique par l'ex-chef du gouvernement, M. Ouyahia, refoulement déjà prononcé judiciairement par le Conseil d'Etat algérien (arrêt du 9/4/2001 B.T c/ direction de l'éducation de la wilaya de Guelma), où le Conseil s'est opposé fermement à la réintégration d'un cas similaire au motif que l'intéressé fut condamné par le juge pénal. Cette circulaire réitère la question de la loyauté des fonctionnaires envers l'Etat. Ce dernier juge que l'exercice des emplois et fonctions supérieurs au service de l'Etat et de ses institutions impose à leur titulaire un devoir de loyauté que les contingences matérielles ou idéologiques aussi importantes soient-elles ne devraient pas altérer. Le dispositif prévu vise dans sa finalité à rappeler les fonctionnaires du secteur public à leur devoir et au sens de leur responsabilité et à mettre un terme aux dérives constatées en ces domaines. L'auteur est Doctorant en droit