Des ménages de plus en plus nombreux, dans les campagnes mais également en ville, renouent à Khenchela, en cette période des moissons, avec la cuisine rustique préparée à base d'orge fraîchement fauchée. Pour préparer ces plats traditionnels, extrêmement appréciés par les personnes âgées qui s'en sont longtemps sustentées avec délectation, les épis d'orge sont récoltés avant maturité, à la veille des grandes moissons, avant d'être étalés sur le sol et exposés au soleil durant plusieurs jours pour sécher. C'est indispensable pour la préparation du mermez (grains d'orge concassés) et du boudchiche qu'on appelle aussi d'chicha dans d'autres régions du pays et qui est issu du tamisage du mermez. El Hadj Yazid Himeur, un vieil agriculteur de la région de Baghaï, explique que si les quantités d'épis sont importantes, on recourra pour les battre à une bête de trait mais si la quantité est réduite, on se contentera de longs bâtons pour les battre. Les graines sont ensuite ramassées et écrasées dans un moulin de pierre (matahna), un ustensile traditionnel qui a pratiquement disparu aujourd'hui des foyers. Aujourd'hui, toutes ces tâches, jadis éminemment manuelles, sont mécanisées, le battage étant désormais assuré par des machines et la mouture par des moulins fonctionnant à l'énergie électrique. Au vieux boulevard Souafa de Khenchela, deux anciennes boutiques continuent à assurer le service de mouture des céréales mais aussi de graines et d'autres produits comme le café, les pois chiche et les épices. Tenues par de vieux routiers du métier, ces échoppes ne désemplissent pratiquement pas durant le Ramadhan, les périodes de mariages et de moissons. Plus leurs ingrédients (viandes, légumes, lait de vache ou de brebis, beurre de ferme) sont variés et de qualité, plus le goût du mermez et du boudchiche est garanti, surtout si le dessert est constitué de lebkhakh, un autre mets à base d'orge à consommer sucré et accompagné de petit-lait (l'ben) et de dattes. L'on considérait autrefois que ces plats, très prisés durant les périodes de moissons, auguraient d'une année d'abondance et de prospérité. Ils sont généralement servis au dîner lorsque tous les membres de la famille sont réunis. « Retour aux sources » ou « poids de la nostalgie », la plupart de ces plats sont aujourd'hui proposés à Khenchela dans de petits restaurants qui se sont spécialisés, ces dernières années, dans l'art culinaire traditionnel, encouragés par l'engouement plutôt inattendu qu'ils ont suscité. La nostalgie des bonnes choses du passé, c'est bien, mais « c'est mieux quand ça rapporte, tout en faisant plaisir aux clients », lance en souriant le tenancier des lieux avant de s'excuser pour se précipiter vers un jeune couple apparemment impatient de savourer un « boudchiche bel l'ham ».