Us n Des ménages de plus en plus nombreux, à la campagne mais également en ville, renouent, en cette période de moissons, avec la cuisine rustique préparée à base d'orge fraîchement fauchée. «Pour préparer ces plats traditionnels, extrêmement appréciés par les personnes âgées qui s'en sont longtemps sustentées avec délectation, les épis d'orge sont récoltés avant maturité, à la veille des grandes moissons, avant d'être étalés sur le sol et exposés au soleil durant plusieurs jours pour sécher. C'est indispensable pour la préparation du mermez» (grains d'orge concassés) et du boudchiche qu'on appelle aussi d'chicha dans d'autres régions du pays, et qui est issu du tamisage du mermez. El-Hadj Yazid Himeur, un vieil agriculteur de la région de Baghaï, explique que si les quantités d'épis sont importantes, on recourra pour les battre à une bête de trait, mais si la quantité est réduite, on se contentera de longs bâtons pour les battre. Les graines sont ensuite ramassées et écrasées dans un moulin de pierre (matah'na), un ustensile traditionnel qui a pratiquement disparu des foyers. Aujourd'hui, toutes ces tâches, jadis éminemment manuelles, sont mécanisées. Au vieux boulevard Souafa de Khenchela, deux anciennes boutiques continuent à assurer le service de mouture des céréales, mais aussi de graines et d'autres produits comme le café, les pois chiches et les épices. Tenues par de vieux routiers, ces échoppes ne désemplissent pratiquement pas durant le ramadan, les mariages et les moissons. Plus leurs ingrédients (viandes, légumes, lait de vache ou de brebis, beurre de ferme) sont variés et de qualité, plus le goût du mermez et du boudchiche est garanti, surtout si le dessert est constitué de lebkhakh, un autre mets à base d'orge à consommer sucré et accompagné de petit-lait (l'ben) et de dattes. L'on considérait autrefois que ces plats auguraient d'une année d'abondance et de prospérité. Ils sont généralement servis au dîner lorsque tous les membres de la famille sont réunis. Certains ménages ruraux vendent une partie de leur production aux épiciers au prix de 120 dinars le kilogramme et de 10 000 dinars le quintal alors que le prix d'un quintal d'orge brut atteint les 2 500 DA. Ces prix s'expliquent par la forte demande sur ces produits, conservés traditionnellement par les ménagères pour préparer, durant les hivers rigoureux de la région du Chelia, des plats de résistance nourrissants et délicieux avec de la viande séchée (el-kedid ou el khli'). L'orge est conservée sous terre dans un matmor (grande jarre enterrée) pour des périodes plus ou moins longues. Elle sert aussi à la préparation du mechroub, un genre de couscous à base de semoule d'orge, de couleur sombre et dégageant une odeur plutôt forte. De plus, l'austérité étant de rigueur en ces temps de disette, les restes de la mouture de l'orge ne sont jamais jetés : ils servent à la préparation de la galette au mermez et du r'fis el mermez. Ce dernier, mélangé à du miel, est d'ailleurs conseillé pour soigner les problèmes d'indigestion. «Retour aux sources» ou «poids de la nostalgie», la plupart de ces plats, sont aujourd'hui proposés à Khenchela dans de petits restaurants qui se sont spécialisés dans l'art culinaire traditionnel, encouragés par l'engouement plutôt inattendu qu'ils ont suscité.