Lanzarote ( îles Canaries). De notre envoyé spécial Une femme qui vaut son pesant de poudre. Son visage émacié, sa frêle silhouette, son charisme, son engagement hanteront à jamais le Palais royal. «Mes enfants pourront vivre sans mère mais pas sans dignité.» Aminatou Haïdar n'a décidément rien d'une militante indépendantiste ordinaire. «Elle ne se fixe aucune limite. Un tempérament de kamikaze sans en être une pour autant, car elle se sait trop précieuse pour son peuple», parle d'elle Fatimatou, une infirmière espagnole, Gouroutse Irisar de son vrai nom, engagée dans la lutte sahraouie depuis plus de trente années. 42 ans, divorcée, mère de deux enfants en bas âge, un air de Gandhi. La ressemblance avec la légende indienne est plus vraie que flatteuse. Son parcours de militante pacifiste, d'ambassadrice itinérante de la cause sahraouie, est des plus détonants. Elle fait mal au régime marocain. Plus que la critique des armes, l'arme de la critique dans toute sa superbe. M'hamed Khedad est tout fier de sa protégée. Comme tous ceux qui, connus ou illustres inconnus, viennent saluer ici, à Arrecife, capitale de l'île de Lanzarote, devenue en l'espace de quelque jours La Mecque des hommes et femmes libres, le combat de la Gandhi sahraouie, le coordinateur sahraoui auprès de la Minurso ne tarit pas d'éloges sur Aminatou. «Elle réussit, dit le négociateur du Polisario à Manhasset, là où les armes ont échoué. Haïdar, un infinitésimal grain de sable qui a enrayé toute la machine de propagande marocaine. C'est notre plus grande victoire. Plus belle que toutes celles qu'on aurait pu avoir sur le champ de bataille». «Elle est habitée, profondément, par la cause, les idéaux de justice, de liberté qu'elle défend depuis sa frêle jeunesse.» Ali Salem, doyen des journaliste sahraouis, ancien de la radio et télévision algérienne, boit, sans modération, ses paroles. Une parole d'Evangile. Depuis 2006, année où la présidente du Collectif des défenseurs sahraouis des droits de l'homme (Codesa) quitte les territoires occupés, Aminatou Haïdar sillonne les capitales mondiales, enchaîne conférences, meetings et forums, en Suède, en France, en Italie, En Espagne, aux Etats-Unis. La American Friends Service Committee a proposé, l'année passée, sa nomination au prix Nobel de la paix. Elle décroche de prestigieuses distinctions et prix de renoms internationaux. Une douzaine au total. Le prix de la fondation Robert Kennedy, fondation connue pour son soutien au peuple sahraoui (2008), le prix de la US-Western Sahara foundation, le prix Silver Rose 2007 de «Solidar», une alliance internationale indépendante de 42 ONG de 20 pays européens, le prix Juan Maria Bandres pour la défense du droit d'asile, le Freedom Award 2006, décerné par l'association américaine Defense Forum Foundation, etc. En novembre dernier, quelques semaines avant sa «déportation» vers les îles Canaries, elle recevait à New York le prix du Courage Civil décerné par la Fondation John Train. Le 13 novembre, alors qu'elle s'apprêtait à rentrer chez elle, son courage est de nouveau mis à l'épreuve. Sa destination, Laâyoune, sa ville natale au Sahara occidental, une zone sous administration espagnole jusqu'en 1975, occupée par la suite par le Maroc. L'ONU l'a classée comme territoire «non autonome» et a déployé des casques bleus sur place en 1991 dans l'attente d'un référendum sur son futur statut qui tarde à venir. Un «tank» nommé Aminatou C'est là qu'elle réside, avec sa mère et ses deux enfants. Le journaliste Pedro Barbillo était avec elle, vendredi 13 novembre, dans l'avion qui la transportait des îles Canaries vers l'aéroport Hassan II à Laâyoune. «Elle était zen. C'était une image incroyable. Elle disait qu'elle allait être arrêtée dès son arrivée à Laâyoune, que le Maroc ne lui pardonnera jamais ses témoignages sur les violations des droits de l'homme mais elle y est allée quand même. Nous l'avons accompagné moi et Pedro Guillen (aussi journaliste espagnol, ndlr). «C'est dans les conditions extrêmes qu'il faudrait se montrer libre», nous disait-elle, avant qu'elle ne soit arrêtée et reconduite aux îles Canaries. Lors de son passage au poste de police des frontières, Aminatou présente son passeport et sa fiche de débarquement. Dans la case réservée à «l'adresse au Maroc», elle écrit «Sahara occidental». Un crime de lèse-majesté. Elle sera arrêtée, interrogée toute la nuit par les services de police, les renseignements, le wali de la Sûreté nationale, le patron de la police judiciaire et le procureur du roi qui lui signifie qu'elle allait être renvoyée en Espagne où «elle devrait passer désormais le restant de sa vie». Au petit matin, elle est embarquée de force dans l'avion, direction Lanzarote. Les autorités espagnoles, promptes à satisfaire les caprices marocains, ne se sont pas encombrées de scrupules à violer leurs propres lois. Elles accepteront, sans rechigner, d'admettre dans leur territoire une ressortissante étrangère voyageant, contre sa volonté, et sans passeport. Les deux journalistes, témoins gênants de la sordide collusion entre l'Espagne et le Maroc dans la gestion de cette affaire, seront refoulés et les enregistrements de leur caméra confisqués. Arrivée à Lanzarote, île la plus orientale de l'archipel des Canaries, Aminatou est débarquée manu militari par les policiers de la Guardia Civil. «Ils m'ont dit que je pourrais prendre un autre vol pour rentrer (…)mais quand je suis entrée dans l'aéroport de Lanzarote et que je suis allée prendre un billet, là , la police espagnole m'a dit non, tu n'as pas de passeport, tu ne peux pas sortir du pays.» Dans l'après-midi même, elle entame une grève de la faim. Une grève qui se poursuit toujours. Elle entame aujourd'hui sa 5e semaine de grève. C'est sa deuxième grève de la faim après celle de 2005, observée dans la sinistre «prison noire», El Kahla de Laâyoune, dans laquelle, elle a été jetée pendant 7 mois. Une grève de 42 jours, observée avec d'autres militants sahraouis, arrêtés suite à l'Intifadha de Laâyoune. Lors des manifestations auxquelles elle avait activement pris part, elle sera grièvement blessée à la tête, passée à tabac par les forces armées royales. L'image de Aminatou, la tête ensanglantée, avait fait à l'époque, le tour du monde. «La première fois que je l'ai vue, c'était à la télévision. En 1996 ; Aminatou était dans la même voiture que Mohamed Deddach, le plus célèbre des prisonniers de guerre sahraouis, plus de 20 ans dans les prisons marocaines. Elle tenait dans ses mains un tank en miniature, fabriqué par Deddach au cours de sa détention. Les foules de Sahraouis qui applaudissaient au passage le cortège, scandaient à tue-tête : Aminatou, Aminatou… Déjà, c'était elle, la star», raconte Amane Cheguafi, journaliste à la TV-Rasd. La vie de la Gandhi sahraouie n'a pourtant rien d'une doucereuse vie de star. Son histoire est tout, sauf romantique. Aminatou endurera, dans sa chair, l'occupation marocaine. Les prisons et centres secrets de détention à la réputation patibulaire, la torture, les traitements dégradants, les humiliations, Aminatou en aura tout vu. Tout connu. Elle en garde encore des séquelles indélébiles. «Elle a une vertèbre cassée. Un ulcère contracté en prison. Une plaie cicatrisée au niveau du crâne. Je m'étonne vraiment qu'elle soit encore debout. Il faut dire que mentalement, elle est une vraie force de la nature car sa constitution physique n'a rien d'exceptionnelle. Je la trouve même très faible», témoigne le Dr Chema Anda, coordinateur de l'aide sanitaire pour les camps des réfugiés sahraouis, et médecin de la plateforme de soutien à Aminatou Haïdar. Elle avait à peine 20 ans quand elle séjournera pour la première fois en prison. Une prison secrète située à 25 km à l'ouest de Laâyoune, «El Bir» (le puits). Elle y passera quatre longues années. Elle était portée disparue. «Nous n'avons eu aucune nouvelle d'elle pendant sa détention», affirme un de ses cousins, rencontré à Arrecife. En 1987, Aminatou Haïdar, issue d'une famille modeste, le père, mort très jeune, dans un accident de voiture, y est internée. Elle y subira les pires traitements. Des plus dégradants qu'elle contera pudiquement, dans ses témoignages. Dès sa libération, en novembre 1991, elle reprend la lutte politique. «Vous pouvez me tuer, mais vous ne pourrez jamais tuer mes principes», disait-elle. De l'insoumission, elle en a fait une religion. La nouvelle génération de militants sahraouis s'y identifie. L'icône sahrouie est née. Elle devient l'égérie d'un peuple en lutte pour son droit à l'autodétermination. «Aminatou représente la nouvelle génération de Sahraouis qui n'a pas connu la colonisation espagnole, qui a fait ses études au Maroc (elle est licenciée en littérature, ndlr), mais dont le cœur n'a jamais été conquis, contrairement au territoire, par les Marocains. La souffrance du peuple sahraoui se déclinait jusque-là en chiffres. Sans visage. Du moins jusqu'à maintenant. Désormais, Aminatou offre le sien. Le visage d'une femme, un peu fragile. Une mère, de deux enfants. Son parcours exceptionnel plaide pour elle, en cela qu'elle n'a jamais revendiqué quelque chose pour elle-même, mais a toujours demandé qu'on s'intéresse à la condition du peuple sahraoui. Aminatou a une histoire de souffrance, de lutte pour la dignité, elle n'utilise que la parole. Une parole forte, insoumise, que personne ne peut réellement humilier, même dans les conditions que vous constatez, ce parking d'autobus de l'aéroport dans lequel elle observe sa grève de la faim. Des conditions horribles pour toute personne, encore plus est pour une femme en grève de la faim. Fernando Peraita, comme beaucoup d'«amis du Sahara occidental» est sous le charme de la pasionaria sahraouie. Il est vrai qu'elle en impose. Un «vrai leader. La détermination personnifiée. Enfin une figure charismatique pour le peuple sahraoui», dit d'elle Omar Boulessane, un membre du bureau du Front Polisario. «Aucun homme, aucune femme, libres, ne voudraient la voir disparaître. Elle est trop précieuse pour nous, trop précieuse pour son peuple. Pas question qu'elle s'en aille trop tôt», souligne-t-il. Aujourd'hui, Aminatou Haïder est à son 29e jour de grève de la faim. Combien de jours lui reste-t-il à vivre ?