Actualité oblige, il aurait été inapproprié de ne pas lui poser la question essentielle qui taraude l'esprit de tous les Algériens : allons-nous gagner ce soir ce match qui s'apparente bien à un Omdurman bis ? Imperturbable, Madani, qui admet n'avoir pas trop d'accointances avec le foot, reconnaît, toutefois, que cette fois-ci il s'est impliqué malgré lui. «Depuis quelque temps, le foot est notre pain quotidien. Sincèrement, à la maison, je ne peux pas voir les matches. Je reste à l'écart. Je n'interviens que lorsque j'entends le brouhaha et les cris de joie de mes enfants. Là, je sais que notre équipe a marqué. Mon espoir est de voir l'Algérie gagner le match, surtout celui-là ; après, je m'en f… Je n'oublierai jamais les insultes des artistes égyptiens, que j'ai connus, envers notre pays, notre emblème et nos martyrs. Pourtant, l'Algérie les a de tout temps honorés. ‘‘Elle les a mis sur sa tête''. Elle a créé des festivals pour eux en leur déroulant le tapis rouge. A la fin, c'est l'exemple suprême de l'ingratitude. Ils nous insultent. Je n'ai que du mépris pour eux.» Un acteur-né Homme de théâtre, comédien, artiste après avoir flirté avec le chant, Namoun Madani, enfant de La Casbah où il est né le 7 mars 1944, ne renie pas son passé. Il a fait ses classes à l'école Sarouy et à la medersa où l'on apprenait par cœur le Coran. «Ça allait de pair, mais je n'étais pas trop porté sur les études.» Cela ne l'empêchera pas de faire un chemin dans la comptabilité. Son sourire large laisse transparaître une dentition carnassière. Dévoré par la passion de la découverte inépuisable des autres, il finira par se découvrir lui-même. «Quand on a à peine 10 ans, il n'y a pas plus excitant que le théâtre et je m'y engouffrais sans trop me poser de questions. Très tôt, j'avais commencé à participer à des émissions enfantines avec Réda Falaki, sous l'égide de l'ortf. Cela se passait à la station de la rue Berthezène. Après plusieurs mois à l'antenne, Falaki me conseilla d'aller voir un autre professeur à plein temps pour m'adonner pleinement à mon activité. Ce professeur est Allal El Mouhib qui m'accompagnera dès 1959 au Conservatoire d'Alger où j'ai pu affiner mes dons.» Le climat de terreur instauré par l'oas paralysera toutes les activités. A 17 ans, Madani rejoint la Révolution, il faudra attendre l'indépendance pour une reprise en fanfare. «El Mouhib s'est attelé à parfaire nos connaissances et il nous envoyait même à Pesenas, près de Marseille, où on se frottait à des artistes venus de divers horizons et avec lesquels on montait des spectacles.»Le jeune adolescent connaîtra son jour de gloire lorsqu'il jouera la grande pièce Montserrat d'Emanuel Robles au tna, en présence de Ben Bella : «C'était l'apothéose et j'entrais de plain-pied dans le monde des professionnels de la comédie. Je poursuivais néanmoins mes études d'art dramatique. A la radio, il est toujours là pour jouer des pièces. A son compteur, près de 8000 pièces. «On travaillait sans discontinuer avec la même constance et le même enthousiasme.» Dans la conversation, comme dans la vie, Madani est un homme pressé. Son regard lointain lui donne l'air d'un gars toujours en partance. Lorsqu'on lui demande pourquoi il a choisi cette trajectoire originale, il répond sans hésiter : «C'était inné chez moi. C'était mon moyen à moi de communiquer. Notez bien qu'avant l'art dramatique, j'avais une sensibilité de chanteur. Abderrahmane Aziz m'avait pris sous sa coupe en 1958. J'ai fait du chant pendant des années. J'ai même pris part avec Aziz à une émission télévisuelle dans une opérette intitulée La boîte magique qui montrait les subtilités de la télé qui venait de voir le jour et qui s'imposait comme une nouveauté à la fin des années cinquante.» Depuis cette époque, Madani hante les scènes, humant l'air du temps, prêt à toutes les découvertes, prompt à faire partager son émotion avec les autres. Il reconnaît que le contexte de l'époque, l'Algérie des années post-indépendance, bouillonnante, avec des projets plein la tête, un foisonnement d'idées extraordinaires, est aussi un autre élément fondateur qui a renforcé sa vocation. Une vocation encouragée par les fréquentes virées au cinéma. «On était des abonnés à l'Elite et au rex à Kouba. On voyait deux films par semaine. On se déplaçait ailleurs pour visionner d'autres nouveautés.» N'y a-t-il pas eu des tentatives de dissuasion de la part de son père Mohamed, qui, comme tous les Algériens de l'époque, voyait dans ces activités de saltimbanque une atteinte aux valeurs éducationnelles et une entorse aux traditions ? «Mon père n'était pas d'accord avec cette orientation certes, mais j'ai fini par le faire abdiquer par ma persévérance», avoue-t-il, d'un air amusé. «On ne pouvait faire autrement, enchaîne-t-il, étant imprégnés par les James Dean, Marlon Brando. On se voyait dans ces personnages, on les imitait même dans leur manière de s'habiller.» L'engouement de Madani pour les planches connaîtra un intermède en 1965, où pour de multiples raisons, dont peut-être l'influence de son paternel, il optera pour l'administration en exerçant à la représentation de l'onu à Alger. Cela durera quelques mois, mais la passion du théâtre reprendra le dessus. Aux côtés de Allal, Alloula, Kateb, Bachetarzi, Madani se forge une personnalité théâtrale incontournable. Il joue dans de nombreuses pièces, mais le souvenir le plus marquant restera sans doute la troupe du théâtre des Tréteaux dont il faisait partie. Le bon vieux temps «Avec Alloula, on a fait l'Algérie de village en village. De 200 à 250 représentations dans l'année. C'était un spectacle itinérant apprécié par le public, on faisait du théâtre universel et les gens qui venaient voir les pièces jouées en classique ou en dialectal repartaient ravis.» Ce qui, hélas, n'est plus le cas depuis des années où le théâtre est plongé dans un coma profond. Qu'est-ce qui explique cette régression ? : «A l'époque, il y avait des monstres des planches comme Kateb, El Mouhib, Alloula, Kaki et bien d'autres qui ont magnifié cet art par leur talent et la force de leur texte. Tout ou presque était concentré dans les grandes villes. Avec la décentralisation, tout le monde pensait que ça allait éclore. Cela n'a pas été le cas et le déclic ne s'est pas produit. Mais comment parler de théâtre sans le situer dans son environnement ? Ici, dans la capitale, tout est fermé avant 19h. C'est la seule ville au monde où tous les magasins sont fermés à 19h. Aller voir un spectacle dans ces conditions relève de l'exploit en pensant au transport inexistant après 23h, en prenant en compte aussi les problèmes de sécurité. Sans oublier que la décennie noire avec son lot de drames a achevé le peu de crédit qui existait. Mais je persiste à dire que si on a perdu le public, il faut aller le chercher.» L'homme a des convictions bien ancrées et le sens de la formule. Les artistes ne sont pas là pour nous dire ce que nous devons penser. Ils sont là pour nous apprendre à penser. La désaffection du public n'est pas seulement due à ces phénomènes. Il y a aussi l'idéologie qui participe beaucoup plus du matraquage que de l'éveil des consciences. Un jour, un artiste avait posé la question de savoir la différence entre un théâtre libre et un théâtre subventionné. Par une subtile démonstration, il avait expliqué : dans le premier, tous les spectateurs dans la salle connaissent le nom des acteurs qui sont sur scène, dans le second, tous les acteurs qui sont sur la scène connaissent le nom des spectateurs qui sont dans la salle. Alloula, Bachetarzi et les autres Le texte et les hommes. Voilà le secret de la réussite. «Avec Bachetarzi, j'ai joué 2 ou 3 pièces. Pour moi, c'est le père du théâtre algérien. C'est grâce à lui que nous avons tous embrassé ce métier. C'est lui qui est à l'origine de l'éclosion des Allel, Habib Réda, Amiri, Rouiched, Medjoubi, un grand ami avec qui j'ai fait le Conservatoire en 1960. Il s'illustrait par sa présence extraordinaire sur scène et sa voix chaude et envoûtante a nulle autre pareille.» Madani a fait du cinéma, mais très peu. 2 ou 3 films avec Mazif dans Leïla et les autres, et Amar Laskri dans Les portes du silence. Sa préférence pour les planches est indéniable. Il use de cette pirouette pour s'en expliquer : «Au théâtre, tu joues, au cinéma, tu as joué.» Madani évoque avec fierté les rôles qu'il a joués au théâtre. «A 10 ans, j'interprétais les personnages qui me plaisaient. Puis, il y a eu des périodes où, en raison de mon physique, j'ai campé le rôle de militaire français, puis celui d'escroc, puis de policier. A la fin, je me surprends à jouer le rôle de grand-père. A mon âge, je ne vais pas jouer tout de même le rôle de jeune premier.» Dans son parcours, Madani peut évoquer à profusion des situations cocasses comme lorsque avec Badri, en jouant le rôle de policier, il était censé, selon le scénario, ouvrir la porte de la chambre froide de la morgue pour voir s'il y avait quelqu'un. Badri est quelqu'un qui n'aime pas refaire les séquences. «En ouvrant, j'ai trouvé un véritable cadavre. J'en étais choqué. Le réalisateur m'a sommé de refaire la séquence, j'ai refusé. Une fois avec Saïd Hilmi, je jouais le rôle d'un escroc blessé qu'on avait mis sur un brancard. Comble de malheur, les brancardiers glissent et tombent sur moi en me blessant. Ils ont failli m'étouffer, j'ai dû user de toutes mes forces pour m'en sortir.» Quand on lui dit qu'il interprète à merveille le rôle de grand-père, il sourit, car son plus grand bonheur est de voir le sourire des enfants. Toujours en quête d'une inaccessible étoile, son ambition pour demain est de voir le pays amorcer un saut qualitatif pour être en harmonie avec les hommes et avec le monde. S'il n'avait pas été comédien ? «J'aurais été pilote ou diplomate. Avant l'indépendance, j'étais subjugué par ces Algériens qui défendaient notre cause dans les arènes internationales et notamment à l'onu. J'estime que c'était une arme redoutable de faire entendre sa voix dans le tumulte des armes. J'aurais aimé en faire autant, même si la politique n'est pas mon dada. pilote ? Ça a un lien avec mon métier, avoir la tête en l'air et être toujours en partance. J'ai toujours rêvé de ça…» [email protected] |Parcours : Namoun Madani est né le 7 mars 1944 à La Casbah d'Alger. C'est dans cette cité antique qu'il a grandi. Féru de théâtre, il a commencé à pratiquer cet art dès son jeune âge. A dix ans déjà, il animait à la radio des émissions enfantines consacrées au quatrième art. Entre les études d'art dramatique et la comptabilité, il sut faire un bon ménage, tout en se consacrant pleinement à sa passion. A 17 ans, Madani rejoint la Révolution. A l'indépendance, il renoue avec sa vocation qui ne lui laissera aucun répit, puisqu'il est soit sur les planches, soit dans les studios de télévision, soit en tournage, soit derrière le micro depuis plus d'un demi-siècle. Personnage attachant, Madani se désole de l'état de la culture dans notre pays qui baigne dans une léthargie regrettable. Madani est marié et père de deux garçons. |