Avant son défilé à l'hôtel El Aurassi pour un grand défilé de fashion africaine demain soir, Imane Ayissi s'est confiée à El Watan Vendredi… Alger n'est pas connue comme étant une ville de la mode. Qu'est-ce qui a motivé votre choix pour participer au Panaf' ? Le Panaf' d'Alger incarne l'espoir qu'un pays comme l'Algérie, qui n'est pas forcément connu pour la mode, s'ouvre à cet art qui est aussi une activité économique importante. C'est pour moi l'occasion de montrer mon travail à un nouveau public. De plus, il me semble important que l'Afrique sub-saharienne et l'Afrique du Nord se réunissent et qu'il y ait des échanges plus intenses pour faire avancer de manière positive l'ensemble du continent. Je vais présenter au public algérien une sélection de robes de haute couture, issues de la collection intitulée « Next Queens ». Une collection créée en hommage et par respect à toutes les femmes du monde et au rôle qu'elles jouent dans nos sociétés. Elle représente aussi le côté haute couture et parisien de mon inspiration. Vous êtes particulièrement connu en Occident. Comment voient-ils vos créations ? Êtes vous considéré comme un styliste européen ? En Europe, je pense que je suis considéré comme un styliste qui explore ses origines culturelles et à la fois comme assez avant-gardiste. J'essaie de mettre en avant un travail qui est un pont entre le monde africain et occidental, entre le passé et le monde contemporain. Je pense que les stylistes africains sont encore considérés un peu différemment des stylistes européens, américains ou japonais. Mais la mode n'a pas de frontières et on voit, aujourd'hui à Paris, des créateurs coréens, chinois, indiens...etc. Mon travail commence donc à être considéré au même titre que le travail de tous les créateurs venus du monde entier et qui présentent leurs créations à Paris. Quelles sont les difficultés pour un styliste dans une jungle comme celle de la mode ? Aujourd'hui la mode est devenue une activité qui demande beaucoup plus de capitaux qu'auparavant à cause des exigences en terme de fabrication, de l'importance de la communication ...etc. Il faut donc être à la fois hypercréatif en permanence, savoir se renouveler tout en comprenant les phénomènes de tendance et les envies de la société, maîtriser les nouvelles formes de communication, les réseaux de ventes et de distribution qui évoluent sans cesse, savoir fidéliser ses clients, tout cela en étant un bon gestionnaire et en sachant gérer avec économie l'argent dont on dispose. En fait, beaucoup de créateurs européens, par exemple, et particulièrement les Anglais, émergent aujourd'hui grâce à l'aide et au soutien de leurs pays qui ont compris l'importance économique et en termes de rayonnement culturel des créateurs et des métiers de mode. Malheureusement les Etats africains ne soutiennent pas, en général, leurs créateurs.... Quelles sont vos inspirations ? Mes inspirations sont doubles parce que j'ai une double culture : celle qui vient du peuple Beti du Cameroun où je suis né, et celle de la France et de Paris la cosmopolite où je vis et travaille depuis de nombreuses années. J'ai eu aussi la chance de beaucoup voyager, d'observer des sociétés très différentes qui m'inspirent également. Donc mes références du côté de l'Afrique sont tous les chefs-d'oeuvre de l'art ancien africain- qui sont plus dans les musées et les collections en Europe qu'en Afrique d'ailleurs- mais aussi les grands artistes contemporains africains, dont certains sont reconnus internationalement et présents dans les plus grands musées européens ou américains, ce qu'on ignore souvent sur le continent africain. Mais aussi la société camerounaise actuelle avec ses habitudes, sa débrouillardise, sa créativité pour fonctionner dans une situation sociale et économique compliquée... Je pense que les sociétés africaines et particulièrement celles de l'Afrique sub-saharienne devraient reconsidérer leur passé, leur culture et leur patrimoine et s'en appuyer pour s'ouvrir à la modernité. C'est ce que j'essaie de faire dans une autre de mes activités, l'écriture. Dans mon dernier livre, Le silence du masque, j'essaie de restituer, dans des contes, une Afrique ancestrale, mais aussi dans d'autres ma vision du monde actuel (le conte La guêpe de Paris). Du côté de l'Occident ce qui m'inspire, c'est évidemment toute l'histoire glorieuse de la mode française, mais aussi les designers, les artistes (peinture, cinéma, littérature, danse et musique...) qui ont permis à l'Europe d'avoir cette vie culturelle et intellectuelle si riche. Ce qui est important, en France particulièrement, c'est l'importance du passé, le respect et la protection du patrimoine qui n'empêche pas la création contemporaine, au contraire. Et puis Paris est une ville particulièrement cosmopolite, mélangée, qui permet à ses artistes de s'inspirer librement du monde entier. Par exemple, j'ai créé une série de robes, sortes d'hybrides de boubou drapé africain et de kimono japonais et dont le résultat est tellement parisien. Voilà un bon exemple de la manière dont je travaille.