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Mohamed Latrache. Réalisateur, scénariste, producteur et distributeur de films : «Je projette la réalisation de documentaires sur El Hadj M'hamed El Anka et Raïna Raï»
Publié dans El Watan le 02 - 02 - 2010

– Votre coup d'essai, le court-métrage Rumeurs, démontre une démarche utile, un témoignage, une implication…
Le projet du film consistait à montrer par le biais d'une comédie dramatique l'ennui, l'attente, l'errance d'un jeune homme dans sa propre ville, une ville de taille moyenne. Alors effectivement, on peut parler de témoignage car le film est autobiographique à travers ce qu'il raconte, bien sûr, mais aussi dans son ancrage géographique et linguistique : filmer ma ville, Bel-Abbès, faire parler mes personnages dans le dialecte de la région relevaient d'un désir viscéral, d'un parti pris intraitable. Je n'aurais pas pu faire ce film ailleurs, dans une autre ville par exemple. C'est donc aussi un film sur l'amour d'une ville, mon attachement à une langue.
– A la recherche de l'Emir Abdelkader est un documentaire initiatique sans concession sur le père du premier Etat algérien …
Les premiers récits concernant l'Emir AbdelKader, je les tiens de mon grand-père. Il est de la tribu des M'haja, voisine de celle de l'Emir ; mes arrière-grands-parents faisaient partie des troupes de l'Emir, des fidèles. Ce travail m'a permis de revisiter et donc de m'approprier de manière personnelle, à la fois l'histoire de l'Emir AbdelKader pour qui je voue un amour sans borne, mais aussi l'histoire nationale et l'histoire de mes ancêtres. Le film est donc à ce titre forcément initiatique. Je peux affirmer aujourd'hui que ce film et Rumeurs m'ont permis de passer réellement à l'âge adulte, de grandir réellement, de me construire comme cinéaste et comme citoyen.
– Un autre regard sur les traces de l'Emir Abdelkader à Mascara, Sidi Kada, Amboise, El Guetna, Hamel, Damas, Alger
Le film est un road-movie, le récit s'est donc construit sur un principe simple : prendre la route sur les traces de l'Emir pour voir ce qu'on peut trouver. Sur cette route, j'avoue que les «connaisseurs» nous conseillaient le plus souvent des sentiers mille fois battus. Notre attitude, un principe de l'éthique du cinéma documentaire, a consisté à ne pas céder à la facilité, en allant généralement là où les gens n'aiment pas aller. C'est là d'ailleurs qu'on a trouvé les matériaux les plus évocateurs, les plus intéressants. Par exemple, du côté de Mascara, on vous oriente en général sur des lieux comme l'arbre de la moubayaâ et de Sidi Kada, ce qui est très bien, mais personne ne vous emmène à El Guetna où l'Emir est né, grandi dans cette zaouïa fondée par son père Si Mahiedine.
La zaouïa, un centre universitaire qui rayonnait en son temps sur l'ensemble du Maghreb et sur une partie de l'Afrique subsaharienne, est aujourd'hui, au moment du tournage en tout cas, quasi fantoche. Détruit en partie par l'armée française, ce lieu fut déserté par la population locale suite à la terreur des groupes islamistes armés. Terrible histoire, à méditer. Même chose du côté de Damas : personne ne cherche à vous emmener dans la demeure de l'Emir à Dommar. Construite par l'Emir lui-même, dans un style architectural occidental, la maison ressemble (en 2003) à une décharge publique. Un lieu où l'Emir aimait se retirer pour retrouver d'autres savants soufis et ses disciples. Le film s'est construit, malgré nous d'ailleurs, sur ce constat assez amer de voir un peu partout l'héritage matériel et immatériel de l'Emir AbdelKader, les éléments qui nous permettent de mieux le connaître assez malmenés.
– Vous avez mis l'emphase sur le personnage érudit, sage, visionnaire, tolérant quant au dialogue inter-religions car lui-même soufi… Et puis le sauvetage des 12 000 chrétiens en 1860 en Syrie …
Ces facettes de la personnalité de l'Emir demeurent assez méconnues du grand public en Algérie, en France comme en Syrie. Pour notre part, le co-auteur du film Mohamed Kacimi et moi, nous portons à l'Emir une admiration totale, pour l'ensemble de sa conduite : pendant la guerre en Algérie comme dans sa captivité en France et lors de la troisième phase de sa vie en Syrie. C'est l'entrelacement de ces différentes facettes – le guerrier, le poète, le soufi, le progressiste, l'intellectuel – qui fait de lui une figure mythique, «immortelle», un grand homme, un homme parfait comme disent les soufis. Il ne faut pas l'oublier, ce film était destiné pour la télévision – il a été diffusé sur TV5 et Al-Arabiya et Beur TV – et il me paraissait important de montrer à un large public, dans un contexte marqué par le 11 septembre, un véritable «héros positif», arabe et musulman. C'est le côté «œuvre de salubrité publique» de ce documentaire.
– Ce film vous tenait tant à cœur. Il est présenté à la première personne du singulier…
L'histoire de l'Emir AbdelKader est à la fois patrimoine national et universel, mais pour Mohamed Kacimi et moi-même, elle provient de notre espace intime, liée et transmise de père en fils. C'est le point de départ et ce qui donne le ton de ce film.
– La fiction dramatique L'Aide au retour est d'une force éloquente et émouvante …
Le mérite revient aux comédiens Mila Savic, Goran Kostic et Aïssa Maïga. C'était un véritable plaisir de travailler avec eux. Ils sont beaux, intelligents, talentueux, des personnalités fortes. Cette expérience marque un changement important dans ma pratique du cinéma. Le réalisateur est certes le responsable de l'allure finale du film. Mais ce sont les comédiens qui incarnent en chair et en os les personnages, qui produisent les sentiments et transmettent les émotions. Donc c'est eux qui font le plus dur du travail.
– C'est toujours cette vulgarisation du drame et la détresse humaine à l'image de ce couple originaire du Kosovo réfugié en France, où on leur fait une proposition financière indécente en guise de retour vers … l'enfer…
Le désir de vulgarisation vient des collégiens qui ont écrit la première mouture du scénario, ensuite avec Yves Caumon, co-scénariste, nous avons introduit cette idée de l'aide au retour car je pense qu'elle est narrativement saisissante .
– Il y a cette scène ironique où la femme kosovar est convoquée par une Française d'origine africaine quant à l'aide au retour… Vous soulevez le problème des réfugiés…
Le traitement réservé aux réfugiés en France est vraiment scandaleux.
L'actualité offre tous les jours des récits qui vont à l'encontre du respect de la légalité et du respect des droits humains alors que le droit d'asile, il ne faut pas l'oublier, est un droit constitutionnel. Il est délicat de traiter de ce genre de sujet au cinéma. On peut aisément tomber dans les pièges du manichéisme, de la dénonciation facile et souvent vaine. Je pense que nous avons réussi notre pari en nous mettant à la bonne distance et en ayant recours, entre autres, à cette scène ironique. Elle porte en elle un double effet : montrer le ridicule de cette mesure, «l'aide au retour volontaire» et susciter une des interrogations chez le spectateur, une réflexion qui dépasse le strict problème de l'octroi des titres de séjour, etc.
– Mohamed Latrèche, vous êtes un réalisateur «engagé» …
Non, ça serait malhonnête pour moi de revendiquer ce qualificatif. Des cinéastes engagés, j'en connais, René Vautier par exemple. Mais pas moi. Pour ma part, j'aspire à être un bon artisan de la mise en scène, bien sûr pas au service de films vains. J'aimerais bien évidemment continuer à faire des films personnels. Si vous voulez, le modèle reste pour moi des cinéastes comme John Ford, Lubitsch, Rohmer ou Truffaut. Ces immenses cinéastes ne se considéraient même pas comme des artistes, mais uniquement comme des artisans : vous imaginez !
– Vous êtes aussi acteur, scénariste, producteur et distributeur de films. Comment arrivez-vous à gérer toutes ces casquettes ?
Je ne peux pas me définir comme acteur ou scénariste à part entière. Il faudrait, pour revendiquer ces métiers, jouer dans les films des autres et écrire les scénarios des films des autres. Cela ne fait en tout cas pas partie de mes vélléités. Pour ce qui est de la distribution et de la production, ce sont des activités que je mène en binôme avec Boualem Ziani depuis six-sept ans ; nous avons à notre actif de belles réalisations. Nous nous sommes mis, dès la création de notre société SORA, au service de la relance du cinéma en Algérie. Notre énergie reste toujours forte et ceci malgré les difficultés.
– Quel serait votre prochain thème d'urgence ?
Réaliser une comédie, c'est un genre que j'adore, j'aimerais dorénavant mettre plus en avant dans mon travail mon goût pour l'humour, la drôlerie et l'optimisme. Et puis réaliser un ou deux documentaires sur la musique algérienne. Sur Raïna Raï et sur El Anka dont je suis super fan.


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