Il est toujours complexe d'aborder une vie aussi intense que celle qu'avait eue l'Emir Abdelkader, chef de guerre, homme politique, poète, soufi, philosophe, combattant pour la liberté. Le cinéaste algérien Salem Brahimi, aidé par la scénariste française Audrey Brasseur, a tenté de reconstruire l'itinéraire du fondateur de l'Etat algérien moderne dans Abdelkader, un documentaire de 96 minutes produit par l'Agence algérienne de rayonnement culturel (AARC) avec le soutien de «Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011» et projeté hier en avant-première à la salle Ibn Zeydoun à Alger. Le goual, Amazigh Kateb, raconte l'histoire de Abdelkader Ibn Mahieddine en arabe dialectal algérien. «C'est l'histoire de l'Algérie du XIXe siècle, celle qui se poursuit jusqu'à aujourd'hui», dit la voix off. Avec une narration chronologique, appuyée par des animations d'ombres chinoises et une musique bien adaptée de Mehdi Haddab, Salem Brahimi suit le parcours de Abdelkader depuis sa naissance à El Guetna, dans la région de Mascara, jusqu'à son engagement militaire contre le colonisateur français en passant par l'école coranique et la Moubayaâ de la dardara à Ghriss. Le combat contre l'armée française, les massacres de Saint-Arnaud, le traité de la Tafna avec le général Bugeaud, la destruction des trois capitales de l'Emir et la création de la Smala, la capitale itinérante, sont évoqués dans le documentaire à travers les interviews de chercheurs en histoire, d'anthropologues et d'historiens. Le film s'étale ensuite – trop longuement – sur l'exil français de l'Emir à Toulon, Amboise et Pau, entre 1847 et 1852. «La partie française est importante. C'est une transition entre l'homme d'Etat et le parcours spirituel. Nous avons montré le processus que traversait l'Emir à l'époque», a expliqué Salem Brahimi lors du débat après la projection-presse. La rencontre de Abdelkader avec Napoléon III (octobre 1952) est survolée. Quelle était la contrepartie des «honneurs» faits à Abdelkader par Charles-Louis Bonaparte ? Enigme. Le séjour turc à Bursa, entre 1853 et 1855, est vite expédié dans le documentaire. Du long séjour à Damas, à partir de 1855, il n'est retenu que «la médiation» de l'Emir pour protéger les chrétiens d'Orient contre les fanatiques druzes. Salem Brahimi a justifié ce manque par «la situation actuelle» en Syrie qui a empêché le déplacement de l'équipe de tournage à Damas. L'épisode de Léon Roche, le soldat-espion français devenu curieusement «ami» de l'Emir, les liens supposés ou avérés de Abdelkader avec les francs-maçons, «le massacre» de Aïn Madhi, la trahison des tribus algériennes est évacuée du documentaire. Ces blancs, oublis et omissions pèsent lourdement sur le film malgré sa qualité esthétique parfaite et sa fraîcheur narrative. «Nous n'avons rien éludé. Raconter, c'est choisir. Ce qu'on met dans un film est toujours infinitisme par rapport à ce qu'on ne met pas. Ce qui nous a intéressé, c'est le parcours de l'homme. Comprendre ce qui l'animait. On est très près du personnage, pas des événements», a relevé Salem Brahimi, soulignant toute la liberté qu'il a eue pour réaliser et traiter le sujet du documentaire.