Ben Badis est un biopic réalisé par le cinéaste syrien d'origine palestinienne, Basil Al Khatib. Il a été projeté en avant-première nationale à la salle Ahmed Bey de Constantine, mardi 23 mai au soir, et à l'Opéra d'Alger Boualem Bessaih, mercredi 24 mai, avant d'être présenté à Oran, hier jeudi. «On ne peut en aucun cas résumer la vie du réformateur du mouvement scientifique algérien en deux heures», prévient le synopsis du film Ben Badis, présenté, mercredi soir, à l'Opéra Boualem Bessaïh à Alger, après une avant-première à Constantine. Le cinéaste syro-palestinien Basil Al Khatib a tenté de raconter l'histoire de Abdelhamid Ben Badis à partir d'un scénario serré écrit par Rabah Drif. Le cinéaste, habitué aux dramas télévisés, ne s'est pas totalement éloigné de «l'esprit» du petit écran pour monter un long métrage, apparu comme une succession parfois ennuyeuse de plans, de tableaux et d'ellipses. L'enfance de Ben Badis est évacuée en quelques minutes. Quel était le rapport du jeune Abdelhamid avec son maître Lounissi Hamdane qui lui a appris le saint Coran ? Rien, on voit seulement que le petit Ben badis pouvait mener une prière à la mosquée. Les études faites à Zeitouna à Tunis sont réduites à deux plans. C'est pourtant là que l'esprit critique et réformateur de Ben badis s'est constitué avec les enseignements de Tahar Ben Achour et Mohamed Al Nakhli. Le retour en Algérie de Ben badis (Youcef Sehairi) et les retrouvailles avec le père (Mohamed Tahar Zaoui) et l'épouse (Sara Lalama) paraissent plus importants aux yeux du cinéaste. Il s'attarde donc. Le rapport conflictuel de Ben badis, encore jeune, avec son épouse est mis en exergue. «Yamna, je ne peux pas vivre comme les autres», lui confie-t-il. «Il s'agit là d'aspects dramatiques que nous avons ajoutés», se justifie le scénariste. La relation de Ben badis avec son unique enfant est peu explorée. Autant que son ascension dans la société constantinoise en tant qu'enseignant de théologie à la mosquée, puis à la medersa. Ni le cinéaste ni le scénariste n'ont cherché à développer cet aspect pourtant important de l'itinéraire de Ben badis. La contribution du cheikh à l'action culturelle dans l'ancienne Cirta n'a pas été abordée. Ben badis avait par exemple compris le rôle déterminant du théâtre dans l'éveil de la société autant que le sport (il a notamment contribué à la création du MOC). Le regard méchant d'el okbi La jonction entre l'esprit réformiste et l'action politique est à peine effleurée. Tayeb El Okbi, compagnon de route de Ben badis et fondateur de Naddi Al Taraqui à Alger, est réduit au silence. Il n'apparaît que lorsqu'il est accusé, à tort, d'avoir commandité l'assassinat du mufti Bendali, dit Kahoul, en 1936. Kahoul était connu par ses positions favorables aux thèses coloniales et par son opposition à l'Association des Oulémas et aux réformistes. Dans le film, et dans plusieurs scènes, El Okbi porte un regard méchant et réprobateur à l'égard de Ben badis. Etaient-ils en conflit ? Mystère. El Okbi a collaboré aux deux journaux créés par Ben badis, Al Mountaqid et Al Chihab, avant de lancer son propre journal, Al Islah. La création des journaux par Ben Badis était un tournant dans le combat contre l'analphabétisme et la déculturation et pour la reconquête de l'identité nationale. Ce moment sensible de passage à l'écriture n'est pas apparent dans le film de Basil Al Khatib. La relation entre Ben Badis et Cheikh Bachir El Ibrahimi (rencontré une première fois à la Mecque) est réduit à un vague échange épistolaire. Les voyages de Ben badis à La Mecque, en Syrie et en Egypte n'ont pas de traces dans le long métrage, censé être un biopic. La rencontre politique entre Ben Badis et Messali El Hadj est montrée sans aucune mise en contexte. Le spectateur non averti ne comprendra rien à ce rapprochement entre le fondateur de l'Association des Oulémas et le père du nationalisme algérien. Le discours de Messali au stade municipal d'Alger, en août 1936, est montré suggérant que cette prise de parole historique était l'œuvre de Ben Badis, ce qui n'était pas le cas. Le déplacement de Ben badis en France avec des membres du Congrès musulman algérien (dissous en 1937), comme Lamoudi, El Okbi, Tahrat, El Ibrahimi et Bendjelloul est raconté comme un simple épisode. Et, la rencontre avec Léon Blum, le 23 juillet 1936, est présentée comme un échange plus qu'amical dans lequel Ben badis n'intervient que pour évoquer le statut de la langue arabe en Algérie. Tout est construit autour des discours et des prises de parole de Ben badis dans plusieurs endroits. L'encombrement des mots et des phrases devaient, selon cette logique, combler les oublis, les blancs et les omissions. Par paresse ou par calculs politiques, le cinéaste n'a pas voulu aller plus loin dans la compréhension des événements historiques dans lesquels avait évolué Ben badis. Les divergences avec les autres courants politiques sont évacuées ou à peine abordées. Et Ben badis est présenté comme un personnage sans faille. Il est magnifié. Un récit vers le bas Dans le film, Ben badis ne mange pas, ne boit pas, ne sourit pas, ne rit pas. Un personnage déshumanisé. Le comédien Youcef Sehaïri n'a restitué ni la profondeur, ni la hauteur, ni l'épaisseur de la personnalité de Abdelhamid Ben badis. Sans aucune présence à l'écran et n'ayant aucune capacité à dégager de l'émotion, ce comédien, qui a eu un conflit avec le cinéaste au tournage, a grandement contribué à tirer le récit cinématographique vers le bas puisqu'il a joué comme il a voulu. Mal dirigé, Youcef Sehaïri a donné plusieurs figures au personnage de Ben badis, changeant de tonalité dans la voix, dégageant de la froideur en plusieurs endroits et «mangeant» son texte parfois. Une personnalité historique comme Ben Badis ne méritait pas ce sort et cette interprétation décousue et rigide. Par contre, Mohamed Tahar Zaoui, qui vient de l'univers du théâtre, a su camper le personnage Si Mustapha El Mekki Ben badis, père de Abdelhamid avec un jeu correct et une présence rassurante à l'écran. Il est en de même pour Souhila Maâlem qui a interprété le rôle de El Djoher, la fille qui vivait avec son père en dehors dans la ville et qui était attirée par les enseignements de Ben badis. Sara Lalama s'est bien débrouillée aussi. Mohamed Tahar Zaoui, Souhila Maâlem et Sara Lalama sont des valeurs sûres du septième art algérien. Hassan Kachache, qui a interprété le rôle d'un responsable français, n'a pas convaincu cette fois, tombant dans le piège du surjeu. La ville de Constantine est la grande absente du film. Autant qu'Alger et Tlemcen, le cinéaste s'est, en grande partie, appuyé sur les décors d'intérieur et des paysages d'extérieur dépersonnalisés, sans ancrage. On ne retrouve ni les senteurs, ni les parfums, ni les couleurs de Constantine du début XXe siècle. Bassil Al Khatib, qui maîtrise bien la technique de l'image, a resservi ses recettes habituelles, déjà présentées dans ses précédents longs métrages comme Maryam, «Al oum et Souriyoun : abus du gros plans, musique envahissante, effets visuels superficiels, ralentis, bavardage… Ben Badis n'est pas un film historique, il ressemble à peine à un biopic et se rapproche d'un drame social et politique. Il peut être le tout à la fois. Mais, ce mélange de genres n'a pas servi la trame du film. «Ben Badis est une personnalité riche qui comprend beaucoup de choses qu'on pouvait montrer sur les plans humain, religieux, social et politique. Nous avons fait le choix de présenter un film dense qui met en valeur les aspects les plus importants. Ce film est lui-même une invitation pour s'intéresser davantage dans le futur à cette personnalité», a souligné Basil Al Khatib. «Ce n'est pas un documentaire, c'est une fiction. Ni le cinéaste ni le scénariste ne sont des historiens. Ils ont pris de l'Histoire ce qui peut arranger le cinéma. Ben Badis est une fiction qui s'adresse à l'imaginaire et à l'émotion des spectateurs. Une partie de l'itinéraire de Ben Badis est prise en charge dans le long métrage», a relevé, pour sa part, Azzedine Mihoubi, ministre de la Culture, qui a qualifié le film de réussi. Un film qui semble suggérer que Ben Badis était un révolutionnaire avant l'heure. «Si les chefs de parti m'avaient consulté, je leur aurais conseillé de monter dans les Aurès et de déclarer la Révolution», dit Ben Badis dans un discours. «Nous avons montré des aspects méconnus, comme son appel à la Révolution. Il était le père spirituel du Front de libération nationale, FLN. Nous avons fait nos choix dramatiques dans l'écriture du scénario en essayant de montrer Ben Badis autrement que ce qui est connu par l'Histoire. Le cinéma ne donne que des indices. Au spectateur d'approfondir sa recherche», a expliqué le scénariste. Qu'en est-il de l'éparpillement émotionnel et de la fragilité de Ben badis visibles dans le film ? «C'était la seule manière de montrer la force de son caractère et de sa personnalité», a répondu Rabah Drif. Azzedine Mihoubi a annoncé avoir exercé des pressions sur l'équipe technique pour présenter le film avant le début du Ramadhan. «Le film devait être projeté en juillet. Mais là, après ces premières projections, des retouches seront introduites au long métrage pour qu'il complètement soit prêt prochainement», a-t-il dit. Ben Badis est un film produit par le Centre algérien de développement du cinéma (CADC) à la faveur de la manifestation «Constantine, capitale de la culture arabe 2015». Le CADC n'a pas pris soin de préparer un dossier de presse pour le film, comme le veulent les règles professionnelles.