La crédulité a tué Patrice Lumumba. Il avait été trahi par son entourage. Ses amis étaient trop liés à la Belgique, petit Etat colonial, qui ne voulait pas lâcher d'un seul coup le Congo. En 1966, Aimé Césaire, le poète de la négritude, a écrit une pièce-théâtrale dans laquelle il racontait l'incroyable itinéraire de l'architecte de l'indépendance de l'ex-Congo belge. Pièce montée par la compagnie du Théâtre national Daniel Sorano du Sénégal et présentée, dimanche soir, au théâtre national Mahieddine Bachtarzi, à Alger, à la faveur du deuxième Festival culturel panafricain (Panaf) d'Alger. « C'est l'histoire tragique du Congo à travers son ex-Premier ministre, Patrice Lumumba. Les Belges n'étaient pas dénués d'arrière-pensées néocolonialistes. Ils voulaient, même après l'indépendance, mettre la main sur les richesses du pays. Lumumba avait une passion et une ambition pour son pays. Il voulait que son peuple retrouve sa dignité perdue. Le choc avec les ex-colonisateurs et leurs intérêts était inévitable », raconte Mamadou Sayba Traoré, metteur en scène. Deux heures durant, les premiers instants de la naissance ratée de l'Etat congolais sont racontés dans une pièce à rythme rapide. Le décor est simple : des cubes noirs et une table. Tout est concentré dans le texte, les intermèdes sonores et la lumière. Le jeu des comédiens est parfait. Le spectacle commence dans un bar et se termine par un coup de feu. Patrice Lumumba, qui n'avait été Premier ministre que pendant quatre mois, en 1960, a été exécuté dans une forêt au Katanga avec ses compagnons Maurice Mpolo et Joseph Okito. L'exécution s'est faite sous la conduite d'un officier belge. Les cadavres avaient été dissout dans de l'acide. Le choix du Katanga n'était pas un hasard. Cette province du sud du Congo, riche en étain et en uranium, s'était auto-proclamée indépendante du pays, un mois après le départ des Belges et avait déclaré son hostilité à la politique socialisante de Patrice Lumumba. Les exploitants européens des mines de la région étaient derrière ce coup de force. « Le Katanga sonnant et trébuchant », criait un proche de Lumumba. A travers le Mouvement national congolais (MNC), Lumumba voulait « abaisser le monstre colonial par les narines ». A ses compagnons, il disait qu'il fallait traquer et tuer la bête, « ce buffle qui aime l'argent ! ». Son entreprise fut freinée par des militaires manipulés et revendicatifs. Dans la pièce, et comme pour suggérer que le complot se fait toujours dans les zones sombres, ces « militaires », criaient de derrière le public : « Les belles voitures et les belles femmes pour les députés, pour les politiciens. » Eux aussi étaient contre Lumumba. Et c'est à ce niveau là que « le héros national » congolais commettait l'erreur fatale : pour contenir l'insurrection, il décrétait l'africanisation de l'armée et nommait son ami Mobutu Sésé Seko chef des forces armées. Celui-ci, quelques semaines plus tard, allait organiser un coup d'Etat, avec l'aide des Belges et des Américains (symbolisés par deux drapeaux sur la scène), contre Lumumba. Avant Mobutu, le président Joseph Kasa-Vubu, homme sans personnalité, destituait son Premier ministre, avant qu'il ne soit lui même « remercié » par le Parlement. « Et moi, je vous démets les deux ! », lançait Mobutu fasciné par l'instinct prédateur du léopard. « Lumumba, tu sais bien que Mobutu était un indicateur des Belges, pourquoi lui fais-tu confiance ? », s'est demandé l'épouse de l'homme politique. Mobutu Sese Seko, qui a écrasé tous les soulèvements, y compris des paysans, après la mort de Lumumba, a rebaptisé le pays Zaïre et a régné, sans partage, pendant 32 ans. Il n'avait quitté le pouvoir que les pieds devant, en 1997 ! « Césaire a été touché par les événements du Congo et croyait beaucoup en Lumumba et à l'espoir qu'il avait suscité. En 2008, nous avons joué la pièce en Martinique en présence d'Aimé Césaire. C'était le dernier spectacle qu'il avait vu de son vivant. Il ne devait rester que 15 minutes en raison de sa maladie. Il avait préféré assister à toute la pièce. C'était bouleversant », a relevé Mamadou Sayba Traoré. Selon lui, la pièce a été jouée dans son intégralité sans aucune adaptation. « La pièce n'a pas pris une seule ride. Une pièce d'une actualité douloureuse. Le langage de Césaire est si moderne que son oeuvre semble avoir été écrite aujourd'hui », a ajouté le metteur en scène. Il regrette les difficultés rencontrées par les troupes théâtrales africaines dans leur déplacement dans le continent. « Il est plus facile de jouer une pièce à Paris qu'à Alger, Bamako ou à Abidjan. Les ex-colonisateurs ont tout compartimenté. Pour qu'on se parle entre nous, il faut qu'on remonte jusqu'à eux ! Pour appeler Abidjan à partir de Dakar, la communication doit passer par Paris. Ce n'est que récemment que les choses ont changé », a observé Mamadou Sayba Traoré. Il a estimé que le Panaf est un événement important, en ce sens que les Africains se rencontrent en terre africaine, parlent de leurs problèmes et brisent les frontières. Au Panaf de 1969, le théâtre Sorano (TNDS), qui est dirigé par Joséphine Zambo, était présent à Alger et a décroché le premier prix. Omar Seck et Ismaïla Sisse, deux comédiens, ont refait le voyage d'Alger quarante ans après. « Ils sont là, ils encadrent les jeunes et les poussent un peu », a noté Mamadou Sayba Traoré qui fréquente les planches depuis au moins trente ans. Selon lui, le théâtre sénégalais connaît une nouvelle esthétique portée par les jeunes...