Aristote au Mont Saint-Michel : les racines de l'Europe chrétienne, de l'historien français Sylvain Gouguenheim, était au cœur des débats à l'ouverture, hier à l'hôtel El Aurassi à Alger, d'un colloque international sur «l'Islam et les sciences rationnelles entre passé et présent», organisé par le Haut Conseil islamique (HCI). Parue en 2008, cette thèse controversée s'inscrit, selon Cheikh Bouaâmrane, président du HCI, dans la logique de «l'islamophobie savante» en vogue en Occident. «Ce nouveau type d'islamophobie prend le relais d'une certaine haine de l'Islam en Occident. Même les médias se sont mêlés en présentant de fausses images sur l'Islam», a-t-il estimé. L'idéal, selon lui, est de ne pas répondre par les discours mais par les arguments scientifiques. «Il faut répondre avec courtoisie et présenter les problèmes dans la sérénité. Le livre de Gouguenheim, qui n'est pas un spécialiste de l'Islam ou de la langue arabe, n'aurait pas dû paraître. Mais s'en prendre à la civilisation de l'Islam est une mode», a-t-il plaidé. D'après Sylvain Gouguenheim, Jacques de Venise, un prêtre ermite, aurait vécu au Mont Saint Michel et traduit du grec au latin les œuvres du philosophe Aristote. Aussi, est-il arrivé au constat que l'apport des musulmans dans la transmission de l'héritage grec à l'Europe est nul et que les traductions d'Aristote étaient l'œuvre d'Arabes chrétiens (il cite le nom de Honain Ibn Ishaq). Chose qu'ont contesté plusieurs historiens spécialistes du Moyen-Âge et du monde islamique, dont Philippe Büttgen, Irène Rosier-Catach et Alain de Libera, qui ont publié en 2009 une enquête Les Grecs, les Arabes et nous. «La peur des Arabes et de l'Islam est entrée dans la science. On règle à présent ses comptes avec l'Islam en se disant sans ‘‘dette"», ont-ils écrit, dénonçant les erreurs et l'absence de preuves. Tayeb Ould Arroussi, de l'Institut du monde arabe (IMA) de Paris, a rappelé dans une intervention au colloque que le travail de Gouguenheim relève de l'hystérie. «L'ouvrage est bâti sur des thèses idéologiques et sur des idées préconçues. Des idées qui n'ont aucun rapport avec la science qui, elle, fait appel à l'esprit», a-t-il estimé. Il a rappelé la publication d'une pétition signée par une soixantaine d'historiens dénonçant «les conclusions non scientifiques» de Sylvain Gouguenheim. Cheikh Bouaâmrane a expliqué que Ibn Rochd (Averroès) a été le véritable traducteur de la philosophie grecque dont celle d'Aristote vers le monde occidental. Evoquant le rôle de l'Eglise au Moyen-Âge, il a relevé que les croisades étaient le commencement des conquêtes coloniales. «Il faut rénover le patrimoine par les sciences actuelles», a-t-il soutenu. Le président du HCI n'a pas voulu répondre à une question de savoir si «l'islamophobie savante» avait un fond politique ou géostratégique. «Cette islamophobie est née de l'ignorance», a-t-il soutenu. Ahmed Djebbar, enseignant à l'université de Lille, est revenu sur l'histoire des mathématiques dans la civilisation arabo-musulmane et sur l'ethno-science «qui n'est pas encore enseignée à l'université algérienne». Selon lui, les premiers ouvrages des mathématiques écrits en arabe sont apparus à Baghdad. Al Khawarizmi fut, d'après lui, le premier livre paru en arabe qui a expliqué le système de calcul indien. Système qui a donné naissance aux «chiffres arabes», ceux utilisés de nos jours. Ahmed Djebbar, qui a regretté la perte de plusieurs ouvrages relatifs à l'algèbre au Maghreb, a plaidé pour un soutien renforcé à la recherche. Cet ancien ministre de l'Education s'apprête à publier un nouvel ouvrage à Alger, intitulé La science et les savants en Islam. Meftah Abdelbaki a, lui, rappelé l'itinéraire du mathématicien et astrologue Ibn El Benaa El Marakchi, considéré comme le père des mathématiques au Maghreb et au Moyen-Orient, alors que Boubakr Nadjmi a expliqué l'évolution de la chimie dans la civilisation arabo-musulmane