Débat - Les Grecs, les Arabes et nous est un ouvrage collectif réalisé par 14 auteurs spécialistes en Histoire des religions et sorti aux éditions Fayard (Fayarad). Fruit d'un travail de longue haleine, ce livre, qui a fait, hier, l'objet d'un débat à l'Institut culturel français, a été réalisé en réaction d'un essai publié en 2008 par les éditions du Seuil, intitulé Aristote au mont Saint-Michel : les racines grecques de l'Europe chrétienne de l'auteur Sylvain Gougueinheim, professeur d'histoire médiévale à l'Ecole Normale supérieure de Lyon. Dans cet ouvrage, M. Gougueinheim remet en cause la place donnée aux savants musulmans dans la transmission du savoir à l'Occident. Il reproche l'exagération de ce rôle et de l'ampleur de l'héritage des Arabes. Et de ce fait, les Occidentaux doivent se libérer de toute dette intellectuelle envers des intermédiaires différents, inaptes à la diffusion du savoir grec, qui est dû, essentiellement, aux traductions faites par les chrétiens orientaux dont les syriaques. Une vieille thèse qui remonte à plusieurs siècles, mais ce qui retient sa particularité, c'est qu'elle soit récidivée dans un contexte politique et historique particulièrement hostile à tout ce qui est en rapport avec l'islam. Ce livre a suscité colère et indignation de part et d'autre, puisqu'il a marqué le passage de l'islamophobie du discours politique et des querelles des rues à une autre étape, celle de l'introduction de l'islamophobie dans la science. Un des 14 auteurs du livre Les Grecs, les Arabes et nous, Philippe Bütggen, spécialisé dans la philosophie des religions, conteste le statut universitaire de l'auteur de livre controversé. Les Grecs, les Arabes et nous est un rappel à l'ordre, dira-t-il, et de poursuivre : «Gougueinheim, à travers son livre qui a été reçu par une certaine presse, dont le journal Le Monde comme une révolution scientifique, veut séparer l'Europe diverse de tous rapports musulmans et juifs. Plus grave encore il veut séparer l'Europe de la Méditerranée. Le livre de Gouguenheim a réveillé une querelle vieille de 10 siècles, concernant la transmission de documents, donc la revendication de la propriété du savoir grec. Cette approche a provoqué une violence ultramoderne et rapide à travers l'internet, et nous assistons à une altercation sur les câbles plus virulente.» Gougueinheim ne s'arrête pas là, il ira plus loin dans la revendication de l'héritage du savoir grec, en négligeant le rôle des musulmans. Il effectue une fausse distinction en séparant l'islam religion de l'islam civilisation. Selon lui, la langue arabe qui relève du caractère religieux et poétique, est incapable de produire un savoir ou contribuer à une quelconque action civilisationelle. Sur ce point Philippe Bütggen désapprouve l'approche et de rappeler : «Le savoir grec a connu une éclipse en Occident, et c'est grâce aux musulmans qui se sont intéressés à ce savoir et ont traduit les textes vers l'arabe, que cet héritage a été sauvé. Les savants médiévaux ont pu y accéder grâce à ces traductions. Donc l'intermédiaire du savoir arabe était nécessaire.» Il précisera que le livre de Gougueinhein est venu pour illustrer le choc des civilisations et approfondir le différend entre les religions, notamment l'islam, il marque fort bien la volonté du rejet de l'islam en Europe, la contribution de cette œuvre est révélatrice en interposant l'islamophobie dans la sphère intellectuelle. Pour conclure, le conférencier a tenu à démystifier l'aspect universel des civilisations. Il dira : «Etre universel n'est pas une revendication de compétence, c'est un processus de transmission des valeurs du savoir et des sciences, une transmission qu'on ne peut considérer comme assimilation. C'est la reconnaissance de la diversité et le maintien du contact. Accepter la transmission du savoir en héritage et non en dette, pour pouvoir en faire ce qu'on veut.» Ainsi, Les Grecs, les Arabes et nous vient restituer le mérite de l'apport des savants arabo-musulmans dans la transmission du savoir grec à l'Occident.