Le feuilleton des révélations sur l'affaire des moines de Tibéhirine continue de faire les choux gras de la presse française. Le tour a été donné, hier, au juge Jean-Louis Bruguière qui avait instruit l'affaire des moines assassinés en 1996, qui a tenu à répondre, sur les colonnes du journal l'Express, aux accusations émises à son encontre par l'avocat Patrick Baudoin. Ce dernier, qui est l'avocat des familles des moines assassinés, a accusé le juge Bruguière « d'avoir étouffé l'affaire au nom de la raison d'Etat ». Jean-Louis Bruguière, que Baudoin accuse de ne pas avoir voulu entendre le général Buchwalter, qualifie les propos de son détracteur de « mensongers et injurieux ». « Il affirme qu'il m'avait fourni le nom du général Buchwalter : c'est entièrement faux. L'avocat des parties civiles m'avait adressé une longue liste de personnes à entendre, allant d'Alain Juppé à un spécialiste belge du terrorisme. Le responsable de la DGSE et l'attaché militaire de l'ambassade de France en Algérie figuraient sur la liste, mais sans leurs noms », précise M. Bruguière. Ce dernier souligne que Buchwalter, qui était donc en 1996 attaché militaire de l'ambassade de France en Algérie, « n'a jamais évoqué une participation de l'armée algérienne comme il le fait aujourd'hui. Je rappelle que le général Buchwalter pouvait à tout moment me contacter, je l'aurais entendu sur-le-champ. Il a tout de même mis treize ans pour se manifester auprès de la justice. J'ai entendu à l'époque le général Rondot, mais sa déposition n'a pas, selon toute vraisemblance, plu à Me Baudouin, qui a ses bons et ses mauvais généraux », dit-il. Quant à l'accusation d'avoir « délibérément orienté l'enquête pour écarter la responsabilité des autorités algériennes », M. Bruguière répond en accusant Me Baudoin de « se faire de la publicité avec une polémique purement idéologique ». Revenant sur l'instruction qu'il avait conduite, l'ancien juge d'instruction français indique avoir entendu le père Veilleux, le supérieur des moines, et s'être rendu en Algérie pour recueillir des éléments d'enquête. « Cela n'a pas été facile, car Alger a refusé en 2005 une première commission rogatoire internationale et j'ai dû batailler pour m'y rendre l'année suivante. » Continuant son récit, M. Bruguière indique avoir « récupéré notamment les communiqués du Groupe islamique armé (GIA), qui reconnaissaient avoir enlevé et assassiné les moines. A mon retour, j'ai entendu les quatre personnes au plus près des événements ». A ce titre, le juge cite : « L'ambassadeur de France à Alger, Michel Lévêque », « Hubert Colin de Verdière, directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères de l'époque, Hervé de Charette », « le général Rondot, parti à Alger pour le compte de la DST » et enfin « Jacques Dewatre, responsable de la DGSE ». Me Baudoin, qui accuse M. Bruguière d'avoir été « à l'époque intouchable », d'avoir « fait régner l'omerta au Palais de justice de Paris », et « fait des pieds et des mains pour obtenir ce dossier auprès de la chancellerie », souligne l'engagement du juge aux côtés du « RPR et l'UMP », partis de la droits française. Jean-Louis Bruguière répond pour sa part que « cet avocat, pour les besoins de sa démonstration, selon laquelle j'étais à la solde du pouvoir, va jusqu'à commettre une erreur de procédure : ce n'est pas le ministère de la Justice qui attribue des dossiers aux juges d'instruction, mais le président du tribunal et, en l'espèce, celui de Paris ». Et d'ajouter : « Me Baudouin n'a jamais déposé de requête en suspicion légitime pour obtenir un changement de juge, ce qui était son droit le plus absolu. Ce n'est pas ainsi qu'on défend les intérêts des victimes ni ceux de la justice. » Et de préciser : « Contrairement à ce que tente de faire croire Me Baudouin, je n'ai jamais été de partie prise et toujours ouvert au dialogue. Me Baudouin est un imposteur qui tente d'abuser de la crédulité de l'opinion publique », conclut-il. L'avocat Patrick Baudoin n'exclut pas pour sa part la possibilité de demander à l'actuel juge d'instruction chargé de cette affaire, Marc Trévidic, de convoquer M. Bruguière pour « qu'il s'explique ».