L'affaire de l'assassinat des moines de Tibéhirine continue de faire les choux gras des médias français. Plusieurs voix se sont succédé pour appuyer la thèse de la « bavure » de l'armée algérienne avancée par le général à la retraite François Buchwalter. C'est le président Sarkozy qui a ouvert grande la voie en exigeant la « vérité ». Dans une conférence de presse tenue mardi dernier, il a indiqué que « les relations entre les grands, elles s'établissent sur la vérité et non pas sur le mensonge ». Allusion faite, bien entendu, à l'Algérie. Mais ce ton accusateur a étrangement changé ! Jeudi en marge du sommet du G8 à L'Aquila, en Italie, le président français, interrogé sur le dossier, s'est montré plutôt prudent et mesuré. Tout en maintenant la décision de lever le secret-défense, M. Sarkozy a estimé que cette affaire n'est pas de nature à affecter les relations franco-algériennes. Il a même précisé dans ce sillage n'avoir accusé personne. « Pourquoi voulez-vous qu'avec le président algérien, nos relations s'en trouvent bouleversées. La justice est saisie, que la justice dise la vérité, moi je m'en tiens quand même au communiqué numéro 44 du GIA en 1996 revendiquant l'assassinat des moines. Je n'ai accusé personne, je veux que la vérité soit faite », a-t-il souligné. Le président français semble ainsi reconsidérer le dossier, reconnaissant – jusqu'à preuve du contraire – la version selon laquelle les moines de Tibéhirine ont été égorgés par les terroristes du GIA. Ce groupe terroriste, agissant à l'époque sous les « ordres » de Djamel Zitouni, avait annoncé dans un communiqué avoir décapité les captifs en accusant le gouvernement français d'avoir « trahi » les négociations. Leurs têtes avaient été retrouvées une semaine plus tard à Médéa, à 90 km au sud-ouest d'Alger. Plusieurs versions ont été avancées, par la suite, par notamment des déserteurs de l'armée algérienne qui tentaient de crédibiliser la thèse selon laquelle les moines n'ont pas été exécutés par le GIA. Pourquoi Sarkozy a-t-il accusé, en des termes à peine voilés, les autorités algériennes d'avoir menti pour ensuite s'en tenir à la version défendue par Alger ? La multiplication des récits, autour de la mort des moines, a, certes, créé une confusion inextricable, laissant le doute planer sur les auteurs de ce massacre. Aujourd'hui, nombre d'observateurs s'interrogent s'il ne s'agit pas plutôt d'une affaire franco-française ? Pourquoi ? Aux yeux de certains observateurs, la réforme des services de renseignements français, engagée depuis près d'une année par Sarkozy, semble connaître des résistances, à différents niveaux. La nomination en juillet 2008 de l'ancien ambassadeur de France à Alger, Bernard Bajolet, comme coordinateur des services de renseignements français, directement rattaché à l'Elysée, n'aurait pas été du goût des anti-réformateurs. La dualité entre les différents services de renseignements, notamment la DST et la DGSE, est historique. Et dans l'affaire des moines de Tibéhirine, le désaccord entre les deux services était manifeste. Dès l'annonce de l'enlèvement en avril 1996, se détachent deux visions du dossier : l'une avec la DST qui collaborait avec les services de renseignements algériens ; l'autre avec la DGSE et le ministère des Affaires étrangères français, qui feront cavalier seul engageant des négociations secrètes avec le GIA. Ce conflit franco-français y était pour beaucoup dans la mort des moines. Dans le communiqué revendiquant l'assassinat des moines, le GIA accusait les Français d'avoir « trahi » les négociations. Par sa réforme, le président français semble vouloir créer une cohésion et une complémentarité dans l'action des services de renseignements et limiter les « bavures ». Et si la faillite des services de renseignements français viendrait à être prouvée dans l'affaire de Tibéhirine, cela plaidera sans conteste en faveur de la réforme engagée par M.Sarkozy et fera taire à jamais ses détracteurs. Mais cela n'est pas tout. A cette ratatouille franco-française, on peut rajouter d'autres ingrédients dont l'affaire Karachi. Un dossier dont le président Sarkozy ne serait pas au-dessus de tout soupçon, lui qui était à l'époque directeur de campagne d'Edouard Balladur qui risque d'être éclaboussé dans cette affaire. De nombreux éléments tendent aujourd'hui à démontrer que l'attentat de Karachi au Pakistan – qui a coûté la vie à 11 Français employés de la Direction des chantiers navals (DCN) – serait en réalité une manipulation de l'Etat pakistanais et de ses services secrets, l'ISI, visant à punir l'Etat français, coupable d'avoir suspendu le versement de commissions et de rétro-commissions occultes en marge d'un contrat d'armement datant de 1994. Il s'agit-là de la piste suivie par les juges d'instruction antiterroristes en charge de l'enquête. Ministre du Budget du gouvernement Balladur entre 1993 et 1995, Nicolas Sarkozy a, du coup, vu son nom cité dans un rapport de police de mars 2007. Les enquêteurs, qui travaillent sur une affaire de corruption au sein de la DCN, indiquent qu'en tant que ministre du Budget, Nicolas Sarkozy avait avalisé la création des sociétés implantées au Luxembourg, Heine et Eurolux, qui avaient notamment pour vocation d'abriter les commissions occultes versées à la faveur des principaux contrats d'armement de la DCN. Hervé de Charette et Alain Juppé, respectivement ministre des Affaires étrangères et ex-Premier ministre, en fonction à l'époque de l'assassinat des moines, s'avèrent des témoins-clés dans l'affaire Karachi. Une affaire qui est en cours. Même si ces jours-ci, elle est surclassée par les rebondissements dans l'affaire des moines de Tibéhirine. Une affaire qui en cacherait une autre… Les hypothèses pouvant expliquer les rebondissements dans cette affaire des moines restent nombreuses dont certaines remettent en cause les « bonnes relations » algéro-françaises.