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Pourquoi l'enseignement du tamazight se perd?
Publié dans El Watan le 16 - 04 - 2010


Il n'y a pas de volonté politique
Premier argument développé par Abderrezak Dourari, linguiste et professeur à l'université d'Alger : l'inexistence d'une volonté réelle de reconnaître le plurilinguisme de la société algérienne. «En Algérie, on ne reconnaît pas explicitement et effectivement ce pluralisme. Même si au niveau juridique, c'est déjà le cas, dans les faits, on n'arrive toujours pas à intégrer cet élément juridique dans les actes de gestion comme posture intellectuelle générale», affirme-il à El Watan Week-end. Le berbère est considéré, «si l'on tient compte des actes réels et non pas postulés, ajoute l'expert, comme quelque chose d'extérieur à la société». La manière dont on gère la société a toujours été «autoritaire» et volontariste : on ne veut pas tenir compte de ce qu'il y a, mais on veut imposer la vision du moment, selon lui. «Cette gestion ne tient pas compte de tout ce que peut donner une analyse scientifique de la société, témoigne-t-il. Cela donne une position politique autistique. Dans l'esprit des gestionnaires, la reconnaissance effective de cette langue ne peut ramener un résultat immédiatement palpable. Ce n'est donc pas une aubaine électoralement rentable.»
L'enseignement de la langue reste facultatif
«Du moment que l'école est obligatoire de 6 à 16 ans et que le tamazight est intégré dans le système éducatif, la logique voudrait que la langue soit obligatoire au même titre que les autres matières, explique à El Watan Week-end Youcef Merrahi, secrétaire général du Haut-Commissariat à l'Amazighité. Or, malgré nos demandes réitérées à maintes reprises, le tamazight demeure une matière sujette à "la demande sociale'', un concept par ailleurs inadapté. Il est donc indispensable que cette langue prenne toute sa place au sein de l'école algérienne et qu'elle cesse d'être orpheline.» Mais encore faudrait-il que les jeunes aient envie de l'apprendre. Et là…
A Alger, dans le cycle moyen, ils ne sont que… 17 ! Autrement dit, dans deux ans maximum, le cours disparaîtra. Pour faire face à cette déperdition, il faudrait enseigner cette langue eu égard à sa «fonctionnalité sociale», selon les termes de Abderrezak Dourari. Plus explicite, il affirme qu'elle devrait être enseignée comme langue maternelle pour les berbérophones dans un souci de «réhabilitation et de "prestige identitaire'' et comme langue de patrimoine et utile pour les arabophones algériens ou pour les autres demandeurs». Pour Djamel Arezki, enseignant, formateur, inspecteur et auteur de Tamazight, le problème n'est pas lié au manque de motivation. «Les élèves s'intéressent au contraire à cette langue plus qu'aux autres langues, car la dimension affective est importante, mais les entraves bureaucratiques sont trop nombreuses.»
Youcef Merrahi poursuit : «De plus, les manuels scolaires sont antipédagogiques et trop chers. Autant de facteurs répulsifs et décourageants auxquels on peut ajouter les autorisations paternelles exigées encore dans certaines régions, le manque de sensibilisation quant à la possibilité de choisir de s'inscrire en cours de tamazight, les problèmes pédagogiques (la difficulté de trouver un créneau horaire convenable, l'emploi du temps étant, d'abord, réparti sur les matières dites obligatoires), le coefficient qui n'est pas assez valorisant, notamment lors des épreuves du BEM et du bac… Et la liste n'est pas épuisée.»
Il n'existe pas d'institution pour la normalisation de la langue
«Nous avons toujours demandé que soit mis en place un organe scientifique à même de prendre en charge tout ce qui est inhérent à la langue elle-même, souligne Youcef Merrah. En ce sens, un projet a été soumis aux autorités.» Pour l'instant, cette institution, qui ressemblerait à une académie chargée de mettre au point les moyens didactiques de l'enseignement du berbère : dictionnaire, alphabet, supports pédagogiques… n'est même pas à l'ordre du jour. Pour Abderrezak Dourari, le projet a carrément été «enterré». Or, il faudrait commencer par là. «Car il est inadmissible d'enseigner la langue chacun à sa manière», explique l'expert. «Il est erroné de dire que cet enseignement n'est pas fondé scientifiquement, nuance Youcef Merrahi. Le tamazight est enseigné avec les méthodes d'enseignement qui ont cours en Algérie pour les autres langues. Mais il est vrai que ce ne sont pas les mêmes méthodes qui devraient être appliquées tant il est vrai qu'en Algérie, nous n'avons pas de tradition d'enseignement des langues maternelles.»
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– Djamel Arezki. Enseignant, formateur, inspecteur et auteur de Tamazight
: «L'échec du tamazight est l'échec de toute une politique »
Pourquoi ne pas parler des progrès effectués par le tamazight quinze ans seulement après son introduction forcée dans le système éducatif ? Ces progrès ont été énormes comparativement à l'arabe qui dispose de tout un système entier, bureaucratique et policier derrière elle. Le tamazight est victime de toutes les injustices et lésé sur tous les plans. S'il existe encore aujourd'hui, le mérite en revient à ses locuteurs et à ses militants. Ensuite, si échec il y a, c'est celui de tout un système et de toute une politique. La langue fait partie du système éducatif algérien, jusqu'à preuve du contraire. Il n'est pas possible que son enseignement soit efficace alors que tout le reste coince. Ensuite, tamazight est d'abord victime de son statut de langue nationale et facultative. Mais ses enseignants sont aujourd'hui pionniers dans le domaine de l'innovation pédagogique, puisque pour une bonne partie d'entre eux, à Béjaïa, Bouira et Tizi Ouzou, les résultats sont là. Nous avons enregistré 100% de réussite au bac et au BEM dans plusieurs établissements scolaires, l'année passée, alors que la moyenne nationale ne dépasse guère les 40% !
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– Pas de langue commune, mais des dialectes enseignés à part
Abderrezak Dourari propose d'enseigner les variétés linguistiques à part (kabyle, chaoui, mozabite, tamasheq…). «Le public peut penser que l'apprentissage de cette langue n'est pas rentable dans la mesure où ceux qui ne la maîtrisent pas n'ont pas de problème de communication avec la communauté berbérophone, puisque tous parlent une langue commune : l'arabe algérien, relève-t-il. Ce qui s'est passé avec le berbère jusque-là, c'est que les gestionnaires ont été tentés, à la suite de Mammeri, entre autres, de construire une langue commune pour son enseignement dans les wilayas concernées. Cela est difficilement concevable sur le plan linguistique.» La position d'une langue commune pour les Maghrébins est déjà occupée par l'arabe maghrébin, et il est difficile d'envisager qu'elle cède la place à une autre, explique-t-il encore.
Dourari s'interroge sur la période des années 1990, plus précisément avant 1995, durant laquelle «l'enseignement de cette langue était plus attractif». Comme réponse, il se réfère à la maxime qui dit «chose défendue, chose désirée», ajoutant que si l'enseignement est bloqué, c'est parce qu'on l'a «embrayé sur des idées mythologiques sans tenir compte de la réalité linguistique et sociolinguistique du terrain». En définitive, le constat qu'il dresse est peu optimiste… «Les associations qui enseignaient le berbère avant son introduction dans les écoles avaient plus de motivation et de monde qu'aujourd'hui. En France par exemple, c'est la communauté berbérophone marocaine qui est plus nombreuse à fréquenter les cours de berbère que les Algériens, majoritaires en nombre dans l'Hexagone.»
Et si l'enseignement devenait obligatoire ? Au regard de ce qui s'est passé pour la langue arabe scolaire, massivement enseignée et rendue présente dans les espaces sociaux, et qui n'est pas plus attractive ni mieux maîtrisée pour autant, Dourari doute : «Ce qui est obligatoire, mais représenté comme non nécessaire par la société, sera boycotté.» Alors quels sont les moyens de promouvoir cette langue ? Le linguiste préconise une politique linguistique globale, rationnelle, d'apaisement identitaire, et économiquement et anthropologiquement utile pour la société. Concrètement : apprendre une langue utile dans notre vie quotidienne en fonction de l'endroit où l'on se trouvait.
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– Kaci Amri, 24 ans. Militant et étudiant en 4e année de tamazight à Béjaïa
: «Mes études, un devoir de mémoire pour tous les militants»
– Pourquoi avoir choisi cette
filière ?
J'ai toujours aimé les coutumes régissant mes origines. Le combat identitaire m'a beaucoup influencé dans mon choix, que ce soit le boycott scolaire de 1994, l'assassinat de Matoub en 1998 ou les événements de Kabylie en 2001.
– Quel est ton rapport à la cause berbère ?
J'ai participé à plusieurs marches de revendication animées par le Mouvement citoyen de Kabylie ou les Aârouch. J'ai contribué à plusieurs numéros de la revue Tumast publiée par le Club scientifique du département langue et culture amazighes de l'université de Béjaïa. Je participe périodiquement aux activités de vulgarisation de la cause et la culture berbères à travers le canal associatif. J'ai aussi réalisé un plan de mise en application de la berbérisation de l'environnement dans la commune d'El Kseur. Je considère que mes études supérieures sont un devoir de mémoire et un devoir envers tous les militants de la cause dans toute l'Afrique du Nord.
– Quelle a été la réaction de ton entourage suite à ton engagement ?
Ma famille m'a encouragé. Elle est plutôt fière de mon choix. Bien sûr, certaines personnes n'hésitent pas à critiquer ouvertement mon choix, tandis que d'autres m'ont conseillé d'opter pour d'autres filières. Certains n'hésitent pas à qualifier la langue amazighe de langue morte. Et d'autres pensent que cette langue n'offre aucun débouché.
– Comment vois-tu l'avenir de la langue et de la cause ?
Je pense qu'on arrivera un jour à ancrer définitivement cette langue dans la société et dans les protocoles administratifs. Si la langue arrache ses droits, la cause continuera à s'assagir, car la satisfaction des militants et des chercheurs se répercuterait sur la cause.
– Es-tu pour l'officialisation de la langue berbère ?
Je suis pour l'officialisation de la langue amazighe. A mon avis, elle peut devenir la langue fédératrice de la société algérienne, profondément amazighe par ses pratiques comme les fêtes et les naissances.
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Khaoula Taleb Ibrahimi. Linguiste : «Ne pas enfermer la lutte à la reconnaissance du tamazight»
Que retenir des événements qui se sont enchaînés en ce mois d'avril 1980 ?
Qu'ils ont permis à une société qui semblait bloquée et verrouillée de frémir au souffle de la revendication de la liberté de parler sa langue, de dire sa différence dans le cadre d'une nation qui finirait par reconnaître sa diversité et sa richesse langagière et culturelle.
Certes, ce ne sera que deux décennies plus tard, en 2002, que l'Etat algérien va consacrer cette diversité dans le texte fondamental du pays. Mais que de temps perdu, de larmes, de victimes immolées !
Mais il me semble qu'il ne faut pas enfermer cette longue lutte jalonnée de drames, de larmes et de sang à la simple question de la reconnaissance de tamazight d'une part et de la diversité culturelle de notre pays d'autre part, ce serait la restreindre et oublier qu'elle portait au-delà de la revendication culturaliste, ô combien légitime, les ferments de la revendication démocratique et de l'ouverture de tous les champs de l'expression politique, médiatique, littéraire, sociale et culturelle. Nous devons pour cela rendre un vibrant hommage à tous les martyrs de la liberté de ces dernières années.
Ceci étant dit, et là, c'est la linguiste qui parle, il me semble que le combat continue et il ne doit pas se confiner au champ politique, mais qu'il doit porter son attention à l'immense chantier d'aménagement linguistique, car beaucoup de questions de codification et de normalisation des usages restent en suspens et attendent des solutions pratiques qui puissent répondre à la forte demande sociale. Pour finir, je dirais que ce combat doit être porté par toute la nation et toute la société, car c'est seulement par ce combat pour la démocratie, la tolérance et la liberté que nous pourrons construire ce «vivre ensemble» qui nous réconciliera avec nous-mêmes et avec l'Autre proche et lointain.
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– Youcef Merrahi. Secrétaire général
du Haut-Commissariat à l'amazighité : «On doit trancher pour
un caractère latin ou arabe»
– L'enseignement de tamazight se porte de plus en plus mal…
L'enseignement du tamazight souffre, certes, d'insuffisances, mais n'est pas bloqué. Pour preuve, ces milliers d'élèves qui s'y sont inscrits par choix – encadrés par 1147 enseignants – malgré le caractère facultatif de cet enseignement qui est, déjà en soi, un premier blocage.
– Pourquoi ne parvient-on toujours pas à trouver un alphabet définitif ?
Il ne s'agit pas de trouver un alphabet définitif. Toute langue peut avoir pour support n'importe quel système graphique. Par ailleurs, on retrouve trois systèmes utilisés, d'une région à une autre, dans l'enseignement du tamazight. Il s'agit naturellement de faire un choix entre les systèmes existants et opter définitivement pour un caractère, soit latin, soit arabe.
– Certaines de vos propositions ont-elles été prises en considération ?
Le HCA n'a pas cessé de faire des propositions pour que cesse la durée d'expérimentation de l'enseignement du tamazigh, que son enseignement soit obligatoire dans les régions où il existe, que le tamazight soit introduit dès la première année scolaire, etc. Des propositions qui se résument en une politique linguistique claire, une stratégie et des objectifs bien définis.
– Les linguistes proposent de déterminer la fonctionnalité de cette langue pour pouvoir avancer dans son enseignement et captiver les étudiants et élèves…
Pour qu'une langue se développe, il faut qu'elle investisse tous les terrains, à l'université, dans les sciences sociales et humaines, dans l'administration. De sa fonctionnalité dépendent sa survie et sa pérennité. Il s'agit de faire de tamazight une «langue du pain», une langue avec laquelle on travaille.


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