Cet appel, qui avait été diffusé toute la semaine sur facebook et autres sites de partage, faisait la jonction entre lutte identitaire et combat démocratique : «30 années après le printemps amazigh, ce sont des images hideuses de policiers bastonnant des médecins, des enseignants, c'est la corruption dans tous les secteurs touchant le sommet de l'Etat, c'est l'assassinat du chef de la police dans son bureau qui est présenté comme un fait divers qui meublent notre quotidien (…) Ceci confirme que chaque recul sur le plan identitaire s'accompagne d'autant de reculs aux plans social et démocratique.» peut-on lire dans ce document qui poursuit : «30 années après, c'est aussi les questionnements difficiles, mais incontournables, sur la capacité des forces démocratiques à se constituer en alternative tant l'atomisation s'est accélérée (…) Il faut entamer une nouvelle décennie avec optimisme, les nombreuses luttes syndicales, les soulèvements répétitifs des populations dans les quatre coins du pays autour de leurs problèmes quotidiens, le mouvement populaire qui a suivi la victoire de l'équipe nationale sont autant de signes encourageants. La célébration du 20 Avril doit être l'occasion de relancer le travail de rassemblement et de remobilisation autour des questions identitaires, mais aussi afin d'édifier une alternative démocratique.»Et cette marche justement se voulait une occasion symbolique pour fédérer toutes les forces démocratiques en présence. C'est ainsi que rendez-vous fut pris au cœur de cette charmante localité maritime largement berbérophone située à une trentaine de kilomètres sur la côte ouest d'Alger, et qui est connue pour son effervescence militante. Selon les témoignages recueillis auprès de plusieurs participants à cette marche, un groupe de manifestants a commencé à se former à partir de 10h à proximité du marché de Aïn Benian. Dans le lot, il y avait Bélaïd Abrika, figure emblématique du mouvement citoyen, Hakim Addad, secrétaire général de RAJ et élu FFS à l'APW d'Alger, Yacine Téguia du conseil national du MDS. Il y avait également des membres fondateurs du groupe de contestation Bezzzef !, en l'occurrence Chawki Amari, Adlène Meddi et Kader Farès Affak. A citer aussi Salim Yezza du mouvement citoyen des Aurès, ainsi que des militants et citoyens de tout bord. Petites manifs et grandes causes A peine la marche étrennée aux cris de «Pouvoir assassin !» que des policiers ont surgi de toutes parts. «Nous étions à peu près une trentaine de manifestants, et tout autour, il y avait plein de policiers en civil. Très vite, des CNS sont arrivés en renfort. Dès qu'on a entamé notre marche, la police a interpellé Bélaïd Abrika et d'autres manifestants», raconte Chawki Amari. «Ils ont vite brandi les matraques, c'était assez violent, puis ils se sont calmés un peu avant d'opérer une seconde rafle», relate pour sa part Hakim Addad. Dans la foulée, notre collègue Adlène Meddi est empoigné en même temps qu'une grappe de manifestants. Le reste des insurgés s'abrite dans un café. «Les policiers se sont engouffrés dans le café et nous ont tous embarqués», reprend Chawki Amari. Direction : la sûreté de daïra de Chéraga. «Ils nous ont auditionnés un par un. Leurs questions portaient essentiellement sur les mobiles et les mots d'ordre de cette marche, qui était derrière, des trucs de ce genre», témoigne le chroniqueur d'El Watan. «A un moment donné, une avocate a fait son apparition. Elle a exigé qu'on soit immédiatement relâchés s'il n'y avait pas lieu de nous déférer devant le procureur.» Finalement, et au terme d'interrogatoires harassants, toutes les personnes interpellées seront remises en liberté en fin de journée après avoir eu droit à un procès-verbal en règle. «Le pouvoir s'est une nouvelle fois illustré par ses réactions violentes face à des manifestants pacifiques», s'indigne Hakim Addad. «Même si on ne grignote pas beaucoup de terrain, toujours est-il que cette marche réprimée prouve, si besoin est, que dans ce pays, la résistance citoyenne continue, et qu'il y a encore des gens qui luttent pour les libertés et qui n'acceptent pas de se taire. Avec de petites manifestations, comme celle-ci, comme celles de SOS Disparus, comme celles des enseignants et toutes les manifestations sociales et syndicales, on espère que ces petites rivières rejoignent un jour le grand fleuve de la démocratie pour signer l'Acte II de la libération de ce pays.» Chawki Amari confie malicieusement : «Il y avait dans ce commissariat une boîte aux lettres destinée à recueillir les doléances des citoyens. J'y ai glissé un mot sur lequel j'ai écrit : “Ulac smah ulac”.»