Quand Léopold Sédar Senghor écrivait son célèbre poème Femme noire, hommage supposé à la femme africaine, ses vers admirables couraient le long d'un corps magnifique : « Femme nue, femme noire/ Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté/ J'ai grandi à ton ombre, la douceur de tes mains bandait mes yeux/ Et voilà qu'au cœur de l'été et de midi,/ Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné/ Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle/ Femme nue, femme obscure/ Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fait lyrique ma bouche/ Savane aux horizons purs, savane qui frémit aux caresses ferventes du vent d'Est/ Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur…. » Mais, pour être admirables, ces vers étaient bien l'incarnation de tous les aspects pervers de sa théorie de la négritude qu'il essaya de défendre face aux critiques acerbes de ses pairs. Parmi eux, l'écrivain et dramaturge nigérian Wole Soyinka, prix Nobel de littérature 1986, qui lui asséna cette phrase terrible : « Un tigre ne proclame pas sa tigritude. Il bondit sur sa proie et la dévore. » Ce poème lui valut aussi la vindicte d'intellectuelles africaines qui, après une analyse du texte, soulignant la relégation de l'Africaine au statut d'objet et de « repos du guerrier », ne manquaient pas de l'achever d'un uppercut en rappelant qu'il avait épousé une Française d'origine européenne. Aujourd'hui, cette vision sensualiste et réductrice de la femme a pris du plomb sur le continent, bien que, de partout, parviennent les infos ou les échos d'une encore terrible condition. Mais, en dépit de cela, il est certain que nos sœurs avancent avec un courage et une pertinence bien plus admirables que les vers de Senghor. Là aussi, le 2e Panaf' d'Alger a agi comme révélateur et marqueur d'évolution. Lors du premier, on comptait certes une Myriam Makéba, en véritable figure de proue de l'évènement, une Nina Simone et d'autres personnalités féminines mais, dans l'ensemble, ce beau monde se concentrait dans le chant et les danses traditionnelles qui, pour être l'incarnation d'un patrimoine immatériel précieux, laissaient quand même un goût de folklorisme dans l'air. Non pas que le folklore soit détestable, bien au contraire, mais il le devient quand il est seul ou dominant. Et si la culture africaine a souffert d'une chose, c'est bien de sa folklorisation et, à l'intérieur, la femme plus encore, en étant sur-folklorisée. En alignant, quarante ans après, des femmes écrivaines, des femmes plasticiennes - et non plus plastiques ! -, des opératrices culturelles, des dramaturges, d'anciennes et d'actuelles ministres de la Culture, des universitaires émérites, des cinéastes, des productrices, des éditrices, des stylistes, des designers, et même « un » ancêtre commun, bien que présent par procuration, etc., ce Panaf' 2009 a souligné un parcours, encore difficile, encore contrecarré, encore incompris, mais engagé de manière probante et en tout cas encourageante. Nous n'irons pas jusqu'à parodier Aragon, en affirmant que « la femme est l'avenir de l'Afrique », car le sort du continent ne tient pas entre ses seules mains. Mais c'est tout comme, car tout ce qui avance fait avancer le tout.