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Nouvelle énigme liée à la gestion du foncier à Blida : Que cache la démarche des autorités ?
Publié dans El Watan le 14 - 06 - 2010

Le mystère enveloppant la démarche des pouvoirs publics s'épaissit lorsque des responsables locaux de Blida — puisque c'est de cette wilaya qu'il s'agit — affirment que ledit terrain devait, il y a un ou deux lustres, servir d'assiette à la réalisation d'une gare ferroviaire. Une infrastructure digne de ce nom fait cruellement défaut aux Blidis qui seront, dans un plus ou moins proche avenir, contraints, pour prendre leur train, de se déplacer à l'extérieur de la ville, de prendre donc un bus ou un taxi jusqu'à Khazrouna où a été excentré le futur projet de la nouvelle gare. On avait également pensé à la réalisation d'une école de formation professionnelle ou encore à un espace-verdure pour permettre à ces quartiers, déjà surchargés, de respirer et à la population d'y trouver refuge en cas de risque majeur. Il devient évident que dans un pays à forte activité sismique, il est maintenant obligatoire de disposer d'espaces ouverts capables d'accueillir des résidants paniqués par une forte secousse tellurique.
On est encore plus frappés par l'attitude de la wilaya et de la commune de Blida à l'égard de ce bien, lorsque plusieurs responsables locaux estiment que le mètre carré dans ces lieux est d'une valeur qui tend à dépasser largement les cent mille dinars. Sa valeur actuelle est tout simplement faramineuse, soit près de quatre milliards cinq cents millions de dinars. En tout cas, l'actuel propriétaire l'a acquis en janvier 2009 pour une somme assez coquette, dépassant quand même un milliard trois cent trente millions de dinars. Comment ce terrain, qui n'a pas cessé d'être un bien de l'Etat depuis 1962, est-il alors tombé dans l'escarcelle d'intérêts privés qui en ont fait un objet de spéculation. Il est passé de main en main, générant à chaque fois d'énormes gains. Aujourd'hui, on y a ouvert un chantier de réalisation d'un gigantesque projet immobilier à haute teneur spéculative. Nous reviendrons sur ce dernier aspect un peu plus loin.
Genèse de l'affaire
La propriété d'un terrain dont la superficie est estimée entre 26 et 34 ha, revendiquée par les héritiers Faïd et consorts, change de main au courant de la décennie 1990-2000 en deux étapes. De 1962 à 2000, ce terrain était une propriété publique (bien vacant). La direction des Domaines en concède à la collectivité plusieurs parcelles (19 ha, 24 ares et 49 centiares), sur lesquelles ont été édifiés de l'habitat collectif (les cités Bounaâma Djillali 1 et 2 et des infrastructures collectives (centre culturel, stade…) Plusieurs autres parcelles plus petites seront par la suite cédées à des entreprises et organismes publics. Et enfin, une autre a servi à la circulation automobile et piétonne (une partie du boulevard des Vingt mètres). En 1998 et 1999, des personnes, proches par alliance des Faïd, vendent à la barbe de nos administratifs deux parcelles à des particuliers, selon un document émis par la direction de la Conservation foncière de Blida en 2008. Le premier lot, de 8,35 ares, est cédé au profit d'un certain Khouli Lyès. Le deuxième, de 26 ares, a été acquis par le sieur Cheradah Ali. Il y a eu litige porté devant la justice à propos de ces cessions.
D'ores et déjà se posait alors la question : comment des particuliers ont-ils pu disposer de ces parcelles alors considérées biens de l'Etat, sans que les autorités réagissent ? Le reste, soit 4 ha et demi, va être vendu par les Faïd et consorts dans d'étranges circonstances, au moment où le terrain faisait l'objet d'un contentieux les opposant à la wilaya et à la commune de Blida. En effet, le bien est cédé au début de l'année 2004 à trois acheteurs qui y programment une coopérative immobilière (Kalma). Le procès, en ce moment, n'est pas terminé.
La cours de Blida et le Conseil d'Etat déboutent les Faïd, argumentant que ce terrain est bien de l'Etat depuis 1962, et qu'en plus les requérants n'ont pas apporté la preuve que le transfert de la propriété a été effectué au profit des héritiers de Faïd Mouloud Ben Saïd, au nom duquel étaient établis les actes au courant de la deuxième moitié du XIXe siècle. Le Conseil d'Etat tranche définitivement le 6 décembre 2005 sans spécifier qu'une partie du terrain est laissée aux Faïd et consorts. Dans pareil cas, et comme un notaire n'est pas exclusivement au service des parties contractantes, mais a également pour rôle de veiller aux intérêts de l'Etat, nous avons posé plusieurs questions à maître Zaânabi Nadia qui a établi les actes de cette cession-acquisition dans son cabinet de Mohammadia (El Harrach). Pour elle, du moment que la direction de la Conservation foncière de Blida lui a délivré les documents nécessaires, l'opération de vente s'est déroulée dans la légalité.
Quelle est la véracité d'une telle «légalité» si le bien objet de la transaction est l'objet d'un contentieux devant les juges ? Et que doit faire un notaire lorsqu'il est confronté à pareille situation ? La raison voudrait qu'il patiente jusqu'à ce que la justice tranche. La même interrogation s'impose à propos de la démarche de Ghodbane Laïd ben Hamani. Ce dernier, qui est expert foncier légalement constitué avec cabinet à Alger-centre, a représenté les Faïd dans l'opération de vente du terrain. Il reconnaît qu'il était au courant du contentieux pendant devant la justice, au moment où se traitait la transaction. M. Ghodbane et deux membres de la famille, dont il a représenté les intérêts, rencontrés à Alger, soutiennent que le terrain appartenait aux Faïd. Pour eux, le conflit ne portait pas sur la parcelle qu'ils ont vendue. Pourtant, leur avocat, en introduisant l'affaire, ne précise ni la superficie ni sa situation en se référant à un bornage opéré selon la loi. Ils n'expliquent pas, par ailleurs, pourquoi la justice n'a excepté aucune parcelle dans l'arrêt définitif du Conseil d'Etat. M. Ghodbane admet même qu'il n' y a pas eu de bornage, et donc de délimitation précise des terrains.
Une direction de la Conservation qui n'a rien conservé
Le plus curieux de l'affaire a trait, comme nous l'avons dit, à l'attitude des pouvoirs publics qui sont la partie adverse. Toutes les thèses sont possibles en 2005 pour expliquer cela. Il y a lieu de signaler que cette affaire s'est enclenchée durant le règne de ce wali maintenant bien connu, à savoir M. Bouricha, qui a été envoyé en prison. Pendant que la wilaya et l'APC renonçaient aux 4 hectares et demi des vingt mètres, M. Bouricha était en train de déposséder, par expropriation administrative et recours à la violence policière, des dizaines de Blidis, à quelques centaines de mètres plus au sud, dans le quartier Takarli.
Les titres de propriété ici ne sont pas contestés et les biens sont occupés par leurs propriétaires depuis des décennies. L'administration dépossédait les gens en arguant de l'utilité publique dans le but, soi-disant, de restructurer la ville.
Au lieu d'aller, décision de justice en main, récupérer le terrain des Vingt mètres, M. Bouricha donna l'ordre à la police de charger lorsque des propriétaires osèrent s'opposer à la spoliation de leurs biens (maisons, commerces et terrains). Ainsi, de nombreuses personnes se retrouvèrent en prison et les problèmes nés de ces décisions arbitraires ne sont pas encore prêts d'être solutionnés, étant donné que nombre d'expropriés poursuivent jusqu'à présent l'administration en justice. Au lieu de voir progresser sa restructuration, la ville s'est engluée avec un immense terrain vague qui restera longtemps en l'état, vu les lenteurs de la justice algérienne. Non moins étrange aussi est la démarche des responsables de la wilaya qui ont succédé à l'administration de M. Bouricha.
En effet, comment expliquer l'attitude de M. Mokrani, le directeur de la Conservation foncière de Blida ? Dans un premier temps, il a tout simplement refusé de nous recevoir, arguant qu'il ne peut rencontrer des journalistes qu'avec l'aval de sa tutelle qui est, en l'occurrence, la wilaya de Blida. Lorsque nous sommes allés le voir, accompagné du responsable de la communication de cette dernière, il nous servit un discours savant sur les prérogatives de sa direction et le droit régissant la Conservation foncière, mais point d'information sur le fameux terrain du boulevard des Vingt mètres. Il nous affirma avec assurance et aplomb tout ignorer du bien en question. M. Mokrani ne savait-il pas que sa direction a élaboré un document daté du 20 janvier 2008, intitulé «Synthèse sur la propriété des Faïd et consorts à Blida» ? Une copie de cette synthèse signée par Ali Hamadache a été adressée le 21 janvier 2009 à M. Belkiz, le dernier acheteur du terrain.
Pour sa part, le premier responsable de la direction des Domaines de Blida nous assura tout ignorer de cette affaire. A la direction de l'urbanisme et de la construction, nous avons été reçus une première fois, mais nous partîmes bredouilles, le premier responsable de celle-ci nous demanda un laps de temps pour retrouver le dossier du permis de construire accordé en 2009 à la Sarl CIT, propriété de la société SIA (automobiles et pièces de rechange), domiciliée dans un quartier cossu d'El Biar à Alger et dont le patron est Abdelaâli Belkiz, un entrepreneur connu à Constantine sous le surnom de Blikaz. Notre chance ne se renouvellera pas puisque le directeur de l'urbanisme ne sera dorénavant plus disponible : notre déplacement et nos appels téléphoniques sont restés infructueux. Le président de l'APC de Blida tomba des nues lorsque nous lui avons fait part des décisions de justice.
Il fit faire des copies, promit de s'informer… Le directeur de la division de l'urbanisme de l'APC de Blida refusa tout net de nous recevoir et de parler et du terrain et du projet de réalisation des 1108 logements du boulevard des Vingt mètres.
«Nous n'avons rien à dire au sujet du terrain et du projet des 1108 logements», laissa-t-il tomber sèchement. Son responsable, M. Foura, le vice-président d'APC chargé de l'urbanisme, se montra tout aussi étonné que le maire. Il y a lieu de signaler que le président d'APC et son vice-président ne sont entrés dans leurs fonctions qu'assez récemment et peuvent, peut-être, tout ignorer de cette affaire. Les responsables administratifs et élus de Blida peuvent-ils se permettre d'ignorer les futures difficultés qui naîtront immanquablement de la réalisation de ce très lourd projet des 1108 logements en plein centre d'une ville dont l'urbanisation anarchique génère déjà d'immenses problèmes, dont la pollution n'est pas des moindres.
Le projet immobilier va-t-il écraser Blida ?
La circulation automobile, difficile en temps normal, devient très pénible dès que tombent trois gouttes de pluie, sans oublier que Blida, qui bétonne d'ores et déjà la plaine, manque cruellement d'infrastructures de base et d'établissements d'enseignement et de formation. Pourquoi donc les premiers responsables de la wilaya se sont-ils engagés dans la création du projet des 1108 logements en allant jusqu'à présider un comité de suivi.
Le dossier de l'agrément du permis de construire a finalement été retiré à la division de l'urbanisme de l'APC pour être confié à la direction de l'urbanisme et de la construction. Lorsque nous posâmes la question à ce propos à M. Foura, il montra une mauvaise volonté manifeste à nous parler, aussi bien du statut juridique du terrain que du projet des 1108 logements, sous prétexte qu'il n'occupe ses fonctions que depuis quelques mois.
L'architecte-conseil de la commune, présent à notre entretien, était pour sa part plus loquace. Malgré les tentatives du vice-président qui le sommait d'être prudent dans ses déclarations, il admit qu'avant la délivrance du permis de construire, le projet a été examiné par la division de l'urbanisme de la commune et que celle-ci a émis de nombreuses réserves, entre autres celles très importantes liées à la consistance du terrain : le sol composé de remblai est tout bonnement pourri sur plus de 7 mètres de profondeur.
Le danger se manifestera lors des secousses telluriques et comme la région est au cœur d'une zone à forte activité sismique, les risques d'un désastre rappelant celui de Boumerdès, ne sont ni à oublier ni à minimiser en le prenant en considération, surtout que les 1108 logements, en question sont localisés dans un mouchoir de poche de 4 ha et demi. Les tours (de 8, 12 et 14 étages) se dresseront donc en forêt dense, et si effondrement il y a, peu de gens parviendront à échapper à un sort tragique.
Autres inconvénients, selon le même architecte, de nombreux logements situés au rez-de-chaussée jusqu'au septième étage n'auront pas d'ensoleillement, ou du moins très peu. Ce n'est pas tout.
La zone, qui compte déjà les cités Bounaâma Djilali 1 et 2, sera tellement chargée que l'ensemble pourrait devenir difficilement habitable d'ici à une dizaine d'années, lorsque les familles grandiront dans un espace où les gens se marcheront sur les pieds. Blida connaît déjà ce genre de difficultés avec le quartier des 1000 Logements de Ouled Yaïch pourtant implanté sur une assiette quatre ou cinq fois plus vaste, et qui est devenu pourtant un exemple à ne pas rééditer. Mais il semble que les autorités algériennes tiennent rarement compte des erreurs du passé.
Le promoteur, M. Belkiz, a investi d'énormes sommes dans ce projet et il défend, bien sûr, son investissement. Nous avons sollicité une entrevue avec lui. Il accepta puis, à l'heure convenue se rétracta, arguant un rendez-vous. Après avoir expliqué à son assistante que nous serons alors obligés de publier sans le point de vue de son patron, elle nous sortit une petite pointe d'intimidation en nous promettant une action en justice. M. Blikaz finit par accepter, mais en battant le rappel de son défenseur, un avocat connu pour sa propension à s'occuper des cas difficiles où la rémunération est consistante, une représentante de son bureau d'étude ainsi que des cadres qui suivent le chantier de Blida. M. Belkiz est sûr de lui concernant l'achat de son terrain avec à l'appui l'acte notarié daté de 2009 et l'historique du terrain élaboré par la direction de la Conservation foncière en 2008.
L'entrepreneur et ses représentants affirment toute leur assurance dans l'ensemble des études, menées avec sérieux et responsabilité, et disent avoir tenu compte de toutes les réserves formulées lors de l'évolution du projet. Concernant la consistance du terrain et la prise en charge du risque sismique, ils rassurent en disant que toutes les dispositions sont prises pour réaliser des bâtiments conformes aux normes requises. Le contrôle technique, basé à Tipasa, est chargé de veiller au respect des normes de construction, et pour ne prendre qu'un exemple, nous excavons jusqu'à 7 mètres de profondeur pour baser les fondations sur un sol ferme et stable, insiste M. Belkiz.


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