Une nouvelle journée de juillet commence pour la reine des Ziban. Il est 5 h du matin. L'air est lourd. L'obscurité s'estompe rapidement. Le jour qui se lève s'annonce déjà impitoyable. Des silhouettes de femmes d'un certain âge, seules ou en petits groupes, se dirigent vers l'entrée d'une imposante bâtisse de plusieurs étages de Z'gag Ben Ramdhane, vieux quartier commerçant du centre de la ville de Biskra. Elles s'y engouffrent sans frapper à la porte toujours entrouverte. Certaines ressortent quelques minutes plus tard. Un ballet incessant de rutilantes automobiles ou de vieux tacots anime le quartier encore endormi. Déposant d'autres femmes devant l'entrée de la demeure, repartant immédiatement ou se garant un peu plus loin pour attendre, ces véhicules sont immatriculés dans toutes les wilayas du pays. Toutes ces femmes viennent consulter une des plus célèbres voyantes de la région qui serait capable, dit-on, « de traiter et de résoudre un nombre incroyable de problèmes et de situations désespérées », tels que les vols non élucidés, les déconvenues financières, relationnelles et sentimentales, la malchance persistante, les troubles psychologiques et physiques, le désenvoûtement, l'impossibilité de consommer un mariage, les infidélités conjugales, les résultats scolaires médiocres, la disparition d'un être cher, les échecs professionnels et bien d'autres aléas de la vie. Ne recevant pas les hommes, elle s'occupe de ceux-ci par le truchement d'un vêtement qu'on lui ramène. Chaque acte de voyance est rétribué à hauteur de 600 DA, et des clients n'hésitent pas à donner beaucoup plus en cas de satisfaction. Quelquefois, elle prescrit des décoctions d'herbes médicinales, d'épices et de différentes plantes dont elle connaît parfaitement les vertus thérapeutiques. Elle a tant de clients qu'il faut se lever tôt pour avoir son jeton, lequel détermine l'ordre de passage des clientes, dont certaines viennent de France, de Belgique et d'Italie. Questionnée sur sa présence en ce lieu, une femme confiera être intriguée par son fils de 44 ans, lequel, « beau, gentil, travailleur et croyant », selon elle, n'arrive pas à trouver une femme pour convoler en justes noces. Elle espère qu'elle saura « de quoi il en retourne » après avoir rencontré la « devineresse » qu'elle appelle par son prénom et qu'elle crédite de « sa totale et entière confiance », dira-t-elle. L'exorcisme en vedette Marabouts et guérisseurs, chiromanciennes et diseuses de bonne aventure, sorcières et préparateurs d'amulettes, voyantes et exorcistes ont, de tout temps, existé dans les sociétés maghrébines. En Algérie, même si quelques-uns sont inscrits au registre du commerce national en tant qu'herboristes et qu'ils s'acquittent, comme tout un chacun, de leurs charges fiscales, force est de reconnaître que la grosse majorité officie dans un cadre semi-clandestin. Le recours de plus en plus fréquent à ce genre de pratiques paranormales et supranaturelles semble gagner toutes les franges de la société sans distinction d'âge, de sexe, de niveau d'instruction ou d'appartenance sociale. Les « chouaffettes » et les pratiquants de la « Rokia » ont de plus en plus d'adeptes, bien que cette dernière pratique, très en vogue, consistant à « psalmodier des versets du Coran afin d'expulser une entité étrangère du corps d'un possédé, lequel sera débarrassé de son mal après une ou plusieurs séances », attirent de plus en plus de gens. Flairant le créneau juteux, des charlatans en tout genre s'engouffrent dans le monde des pratiques paranormales et supranaturelles, abusent sans vergogne de la crédulité et de la misère humaine pour se remplir les poches. Chaque village a son « Chikh » attitré ou sa « guérisseuse » que l'on vient voir de partout. On signale aussi que des femmes, se disant douées de métempsychose et de capacités prémonitoires écument les villes et les localités rurales pour faire du porte-à-porte et offrir leurs services. Ces « thérapeutes » d'un nouveau genre, auxquels l'on attribue des pouvoirs extraordinaires, s'avèrent de vulgaires manipulateurs dont les dépassements et les outrages commis sur des personnes vulnérables, passives et tétanisées, emplissent souvent la rubrique des faits divers des journaux nationaux. Dernièrement, à Mila, des adolescentes ont été victimes d'un « exorciste », lequel, pour extirper « un mal rongeant ces jeunes filles », a pratiqué une séance de flagellation de leurs plantes des pieds, leur causant de graves blessures. A M'sila, des étudiantes ont été abusées par un pseudo-guérisseur, qui avait dressé sa tente non loin du campus universitaire pour appâter le plus de clientes possibles. A Sidi Bel Abbès, des femmes ont été condamnées à de la prison ferme pour charlatanisme et extorsion de fonds. Et les exemples ne manquent pas.