Le juge du pôle judiciaire, spécialisé près la cour d'Alger, va entamer, dès la semaine prochaine, les auditions dans le fond de l'ensemble des mis en cause dans l'affaire Sonatrach, qui avait éclaboussé, le 13 janvier dernier, les dirigeants de la compagnie. Les premières auditions des quatorze prévenus et celles d'une quinzaine de témoins se sont achevées en laissant transparaître une lourde interrogation quant à la responsabilité politique et administrative de l'ex-ministre de l'Energie, Chakib Khelil, dans ce scandale. En effet, que ce soit l'ancien PDG, Mohamed Meziane, placé sous contrôle judiciaire — ses deux enfants sont en détention provisoire — ou les vice-présidents, Benamar Zenasni, chargé de l'activité transport par canalisation — sous mandat de dépôt —, Belkacem Boumedienne, chargé de l'activité Amont – en détention provisoire — et Chawki Rahal, chargé de l'activité commercialisation – placé sous contrôle judiciaire —, il est clair que tous les actes de leur gestion étaient soumis à l'appréciation du ministre de l'Energie, précise-t-on. Mieux, des sources proches du dossier révèlent que Mohamed Meziane, l'ex-PDG, «ne faisait rien sans se référer à Chakib Khelil. Même pour le cas de ses deux enfants, l'un travaillant pour Saipem et l'autre pour Contel, les deux sociétés étrangères détentrices des marchés, objet de ce scandale, il en avait fait part à son ministre». Les marchés de télésurveillance pour les bases du sud du pays ne sont, en général, jamais traités uniquement par le PDG ou ses vice-présidents. «Ils sont tous soumis à l'appréciation de Khelil, dont certaines par écrit…», expliquent nos interlocuteurs. Pour ces derniers, «la responsabilité commerciale» de l'ex-ministre «se profile» à l'horizon, au fur et à mesure que le dossier de l'instruction avance. En fait, le juge avait déjà entendu les cadres dirigeants de la compagnie sur les contrats de gré à gré octroyés au groupe algéro-allemand, Contel, portant acquisition d'équipement de télésurveillance (surestimé), dont les montants avoisinent les 140 millions d'euros. Ces marchés ont été obtenus par Contel (créé uniquement pour la circonstance pour obtenir le monopole), grâce à l'un des fils de Meziane, qui est également associé dans cette entreprise, en contrepartie de commissions importantes versées en devises dans des comptes à l'étranger, ainsi que d'autres cadeaux, portant donation d'appartements à Paris et aux USA à certains membres de leur famille. Le juge a également entendu les cadres sur le marché avec l'italienne Saipem, portant construction du gazoduc GK3, et qu'elle a obtenu grâce à un de ses employés, le deuxième fils de Meziane. Selon nos sources, «lorsque l'ex-PDG avait découvert que ses deux enfants travaillaient pour le compte de sociétés étrangères qui venaient d'obtenir des marchés, il avait demandé conseil à son ministre et celui-ci a laissé faire. Ce qui démontre que Chakib Khelil était au courant de tout ce qui se passait au sein de Sonatrach. Raison pour laquelle de nombreux avocats comptent demander au juge d'instruction la convocation de l'ex-ministre pour être entendu, mais également confondu avec les cadres dirigeants de Sonatrach. Néanmoins, ils craignent que cette demande connaisse le même sort que celle réservée au dossier de l'autoroute Est-Ouest, introduite auprès du juge d'instruction en charge de cette affaire, et relative à l'audition du ministre des Travaux publics, Amar Ghoul». L'on se rappelle que la défense du secrétaire général, Mohamed Bouchama (en détention provisoire), avait réclamé la présence de Amar Ghoul pour l'interroger sur certains points jugés essentiels dans le dossier d'accusation, mais elle a essuyé le refus du juge. «Nous pensons que dans le dossier de Sonatrach, il y a plus de preuves sur la responsabilité du ministre. Ce qui nous permet d'être optimistes quant à sa convocation par le juge. Il y va de la crédibilité et l'impartialité de la justice. Si l'on veut que l'opinion publique croit vraiment à la lutte contre la corruption, il faudra que le juge aille très loin et entende toutes les parties impliquées de près ou de loin dans cette affaire, qui ne peut se limiter uniquement aux dirigeants de la compagnie», a déclaré un des avocats constitués pour ce dossier. En tout état de cause, l'étape des auditions dans le fond, devant être entamée la semaine prochaine, va certainement mettre la lumière sur certaines zones d'ombre restées jusque-là incomprises par l'opinion publique, même si pour l'instant les prévenus jouissent du droit à la présomption d'innocence jusqu'à ce qu'ils soient condamnés définitivement. A rappeler que cette affaire avait éclaté au début de l'année en cours, à la suite d'une enquête préliminaire menée par des officiers de la police judiciaire du DRS (Département de renseignement et de sécurité de l'armée), et qui a abouti à la présentation au parquet d'Alger de l'ensemble des cadres dirigeants de Sonatrach. Sur les 14 personnes inculpées, 7 ont été mises sous mandat de dépôt, dont les deux fils de l'ex-PDG de Sonatrach, ainsi que l'ancien PDG du CPA et son fils, deux vice-présidents de Sonatrach et un entrepreneur privé, alors que l'ex-PDG, 2 autres vice-présidents et trois cadres de Sonatrach ont été placés sous contrôle judiciaire. La défense avait été déboutée dans toutes ses demandes de mise en liberté provisoire par la chambre d'accusation.