Si le mot a encore un sens, il faut dire que Thalathoun (années trente) de Fadhel al Jaziri est un pur chef-d'œuvre. Il a été montré à la cinémathèque d'Oran dans le cadre du 3e Festival international du film arabe, vendredi 24 juillet. Thalathoun est une œuvre très belle, intelligente,intense, profonde,inoubliable. Oran : De notre envoyé spécial C'est la grandiose épopée de la naissance de la Tunisie moderne, de l'émergence d'un sentiment national. Thalathoun, c'est à comparer à Chronique des années de braise. Le travail de Fadhel Al Jaziri rappelle aussi le chef-d'œuvre de Lakhdar Hamina par l'ampleur fantastique du récit,la foule de personnages au sein desquels naît la cohésion sociale et la nécessité de la lutte pour la liberté. Thalathoun se caractérise par la très belle esthétique de l'image, la langue poétique,le décor souvent somptueux au milieu duquel les personnages eux-mêmes sont beaux,vêtus de costumes splendides. Ce faisant, on voit bien que Fadhel Al Jaziri a tenté brillamment de restaurer la fierté nationale de la Tunisie. On sort de la projection de Thalathoun totalement sous le choc, ébloui par le raffinement esthétique de cette véritable œuvre d'art qui va laisser sa marque dans le programme du Festival d'Oran. Le récit mené à un rythme haletant propulse sur l'écran trois personnages mythiques de la société tunisienne et raconte leur combat contre la sclérose et l'archaïsme imposés par l'époque coloniale. Il s'agit du grand poète Belgacem Chebbi, de Mhamed Ali Al Hammi, fondateur de la première organisation ouvrière tunisienne libre et son cousin Tahar Hadded, militant de la liberté et des droits de l'Homme. Ces trois compagnons cherchent à briser le conformisme politique. Ils veulent que la Tunisie change. Leur lutte est d'abord secrète ,meetings clandestins et textes circulant sous le manteau. Puis leurs idées se propagent à travers d'autres cercles de la société. Il s'agit pour eux de renverser le cours de l'histoire avec un mouvement syndical non inféodé, des revendications d'un juste statut de la femme tunisienne, le refus de l'archaïsme religieux. Dans cette Tunisie des années trente, le changement est en marche. Une grande tempête politique et sociale se prépare. Certes, les gens au pouvoir, le Bey malade dans son palais et l'administration coloniale française résistent par la répression féroce, en détruisant des vies mais pas l'espoir. On voit bien que leur cause est perdue. La Tunisie moderne est déjà née, Habib Bourguiba prend le relais et harangue des foules nombreuses. La merveilleuse poésie de Belgacem Chebbi attise chaque jour l'incendie des vieilles valeurs et de l'ancien temps du mépris. Long et passionnant récit, Thalathoun est la belle histoire d'un rêve vécu dans la lutte et le sacrifice de la vie de personnages réels qui ont eu des pensées justes et qui ont mené le combat pour la dignité.