– C'est une nouvelle génération d'acteurs, de réalisateurs et de scénaristes qui ne font plus de la figuration dans le cinéma français. Ils ne comptent plus pour du «beur»… Cela été trop long. Nous avons défriché cette voie, Isabelle Adjani, moi ou Abdel Raouf Dafri pour arriver à imposer notre marque (de fabrique), c'est dire notre mélange. Ce que nous sommes. C'est-à-dire, héritiers d'une histoire algérienne, franco-algérienne, française…Moi, j'ai commencé par Mémoires d'immigrés. Aujourd'hui, on peut se permettre d'avoir notre regard dans ce cinéma, qui est certainement très métissé. Un cinéma qui peut faire émerger des acteurs, des réalisateurs, des scénaristes ( d'origine maghrébine, africaine…) et arriver à hauteur d'homme. – Une sorte d'affirmation malgré le débat identitaire en France… La société est en pleine ébullition sur le sujet identitaire. Je crois qu'ils (ceux qui entretiennent le sujet identitaire) sont très en retard. – Par rapport au thème… Oui, par rapport au thème. Dans le cinéma, nous sommes avant-gardistes sur le débat de société. La meilleure réponse à cela, c'est effectivement Un Prophète de Jacques Audiard, La Journée de la jupe avec Isabelle Adjani, c'est Aïcha, c'est Mémoires d'immigrés, c'est Inch'allah dimanche. Prendre cela à bras-le-corps. Et on sait à quel point l'image est un outil incontournable pour faire bouger les préjugés. Mais de tels préjugés orientés sur le public et ce que veulent les Français. Mais qui est le Français ? Il ressemble à quoi le Français, aujourd'hui. Et pourquoi le débat sur l'identité nationale ? On ne peut plus rien faire contre une société qui est en marche. Une société métissée qui a déjà jeté des ponts un peu partout. Je dirais que le débat sur l'identité nationale est presque derrière nous. Il est obsolète. Il est juste ringard. Par notre travail et notre présence, à travers ces acteurs, scénaristes et réalisateurs (maghrébins), on ne nous a pas laissé faire. Il ne faut pas croire que l' on arrive comme ça et l'on est reconnu. On a tout arraché. Façon maquis, à l'algérienne, je le dis toujours. Ah ! Ils ont dit non au CNC. Allez méthode algérienne ! On y va ! C'est-à-dire qu'on ne lâche pas. On «crève» mais on ne lâche pas. – Avez-vous une production en chantier ? je viens de terminer le tournage d'un film documentaire sur les transports en commun comme ultime «machine» à tisser des liens sociaux. Je viens de finir l'écriture du scénario des films Aïcha II et Aïcha III. Et je commence, bientôt, le tournage du film Le Paradis…portant sur la problématique du manque de carrés musulmans dans les cimetières en France. – Aïcha, ça a bien marché… (rires). Oui, Aïcha a très bien marché, 5, 5 millions de téléspectateurs. Il y a un épisode qui passera en prime-time et qui est intitulé Voyage au bled. C'est quelque chose de très sympathique, très émouvant…Une expression de ce pays (l'Algérie) que nous avons dans notre cœur. Et puis toutes les aventures de la petite Aïcha.. |Biographie – Yamina Benguigui est cinéaste et écrivaine, chevalier de la Légion d'honneur, des arts et des lettres et de l'Ordre national du mérite.Yamina Benguigui est une des premières réalisatrices et productrices françaises d'origine algérienne, profession qu'elle exerce au sein de la société Bandits, dont elle est actionnaire. Elle a consacré son travail de cinéaste engagée à l'exploration de la part humaine de l'immigration maghrébine en France et de l'identité musulmane au travers de sagas documentaires comme Mémoires d'immigrés, l'héritage maghrébin ou Femmes d'Islam, qui ont été tous deux distingués par de nombreux prix internationaux et qui sont aujourd'hui étudiés en section cinéma et sociologie dans de nombreuses universités (Berkeley, N Y, Berlin, etc.). Elle a reçu, en 2003, le prix de la paix, à Florence, pour l'ensemble de son œuvre. Avec sa première œuvre de cinéma, réalisée en 2001, Inch'allah dimanche, l'histoire d'une femme algérienne qui rejoint sa famille en Picardie, film récompensé par plus de 27 prix internationaux, elle renoue avec ses thèmes de prédilection, mais cette fois-ci abordés sous l'angle de la fiction : l'enracinement et la mémoire. Son œuvre de documentariste s'est aussi intéressée aux thèmes de l'érotisme dans la culture musulmane, Le jardin parfumé, ou de l'intégration au travers d'institutions comme l'armée avec Aïcha, Mohamed, Chaïb… engagés pour la France. Elle est actuellement présidente du FIPA pour 3 ans. Elle développe actuellement son prochain long métrage Le paradis, c'est complet ? qui, sous la forme tragi-comique, parle de la difficulté d'enterrer des musulmans en France car, à ce jour, il n'y a que soixante carrés musulmans dans les cimetières français. Yamina Benguigui termine aussi l'écritsure de la série Aïcha, 6 x 52 minutes pour France 2, dont l'héroïne nous fait vivre des situations liées au choc des cultures entre son univers familial, sa famille élargie que représente la cité et le monde de la mode.|