C'est un pan de l'histoire qui vient de s'écrouler. La disparition, dimanche 22 août 2010, de Lakhdar Bentobal, Slimane pour l'état civil, à l'âge de 87 ans, va laisser une béance dans le ventre de l'histoire moderne de l'Algérie que seule la publication de ses mémoires, consignés dans un livre-entretien avec un éminent historien au début des années 1980, pourra quelque peu combler. L'ouvrage est resté jusqu'à présent à l'état de manuscrit, pour des raisons propres au concerné et à l'auteur. Le troisième «B» vient d'être ravi à l'affection des siens, en anonyme citoyen qu'il est devenu depuis 1962, après Belkacem Krim assassiné le 18 octobre 1970 dans un hôtel à Francfort, en Allemagne, puis Boussouf Abdelhafid, mort le 31 décembre 1980 à Alger. Ces derniers, qui ont joué un rôle de tout premier plan avant et pendant la guerre de Libération nationale, sont partis sans laisser de trace autres que celles que dessinent les documents officiels et les récits qui tiennent souvent de la légende que racontent leurs compagnons. Cet homme très peu photographié, qui se fond dans le paysage comme pour en saisir les reliefs à partir de l'intérieur, a lié son destin à celui de l'Algérie pour laquelle il a consacré sa vie depuis la fin de son adolescence, puisque, disent les rares biographies qui lui sont consacrées, il a adhéré au Parti du peuple algérien (PPA) pendant la Seconde guerre mondiale, alors que cette formation activait dans la clandestinité depuis son interdiction, en 1939. Qu'est-ce qui prédestinait le nom ce milévien, fils de petit paysan modeste, à occuper les pages des archives de la Révolution et de figurer sur le proscenium de l'histoire de son pays ? Membre et chef de l'OS dans la région de Mila depuis la création, en 1947, de cette section paramilitaire du PPA-MTLD, membre des «22» à l'origine du déclenchement. Membre participant au Congrès de la Soummam d'août 1956 en tant qu'adjoint du colonel Zighout Youcef, auquel il succédera à sa mort. Membre suppléant du premier Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) issu de ces assises, Lakhdar Bentobal aura été de toutes les phases de la lutte anticolonialiste algérienne. A partir de 1957 et du départ du Comité de coordination et d'exécution (CCE) organe exécutif du CNRA et son installation, à la demande de Belkacem Krim et de Ben Khedda, au Caire puis à Tunis, son nom sera intimement lié, pour ne pas dire soudé, à ceux des deux autres chefs de la Révolution. La presse française désignera ce triumvirat sous le raccourci journalistique de «3 B», comprenez par là Belkacem et Boussouf. Leurs fonctions au sein du CCE, élargi à la réunion du Caire d'août 1957, feront qu'ils occuperont au sein du gouvernement provisoire, à sa création en septembre 1958, des ministères-clés. Bentobal à l'Intérieur, Belkacem à l'armée et Boussouf d'abord au ministère des Liaisons générales puis il prendra en charge le dossier de l'armement, qui était géré par Mahmoud Chérif. Ces trois noms seront également liés et cités tous trois dans la sombre affaire de l'assassinat de Abane Ramdane, en décembre 1957. L'histoire en la matière, plus que les hommes, demeure la seule juge des actes des uns et des autres. Les historiens s'accordent à dire que ces trois personnalités tenaient leur puissance de leur cursus révolutionnaire qui leur avait fait tenir des responsabilités militaires à l'intérieur, avant d'occuper des fonctions politiques à l'extérieur. Le système de cooptation en vigueur en raison des conditions de guerre et l'importance que prendra l'armée à partir de la réunion du Caire de 1957 placeront Bentobal et ses deux compagnons aux premières loges de la décision. En effet, à partir du moment où les conseils de wilaya, constitués de deux commandants et de leur colonel, étaient membres es-qualité du CNRA, les responsables, qui ont occupé des fonctions à l'intérieur, recevaient systématiquement le soutien de leur wilaya d'origine. Leurs talents d'organisateur et de dirigeant leur ont permis de rester à la tête de la Révolution jusqu'à l'Indépendance. Négociateurs des Accords d'Evian, ils demeureront intraitables quant aux exigences formulées par la proclamation solennelle du 1er Novembre 1954. C'est un grand homme qui vient de quitter l'Algérie. Il mérite le respect de ses fils. Ils lui doivent rendre hommage.